LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

UNE RELECTURE DE LES QUATRAINS DU Dégoût : Le Sourire d’Adieu du Maître

 

Au cœur des chœurs des hommages rendus au Maître, guidé par l’Esprit, je décidai de m’immerger dans la « source sacrée » qu’il nous a léguée pour prendre comme un disciple qui doit quitter son maître le bain sacrificiel de purification. J’ai alors, avec un autre œil en quête de fleurs, plus attentif aux murmures de son dôdô, relu Les Quatrains du Dégoût.

 


 

A ma visite, le jardin du maître gardait encore sa fraicheur printanière. Toutes les fleurs que j’ai humées resplendissaient du scintillement de l’instant de l’épanouissement floral ; car les poèmes de Zadi sont des fleurs à la jeunesse éternelle. Pendant mes randonnées, allant d’un poème à un autre, avide et tâtonnant, l’Esprit m’a ouvert l’esprit en m’éclairant sur ce que je n’avais pas vu auparavant. Surce que je n’ai pas entendu jadis.

Son dôdô pleurait la vie et chantait la mort.

Pourtant j’avais déjà lu et relu ce livre.

Pourtant je connaissais ce jardin « de petits régals traités au miel naturel et pur de nos sylves africaines ».

Ah Zadi ! ce livre, c’était donc un adieu enveloppé dans de la soie des mots, un adieu tissé de vers quadrupèdes. Le futé magicien ! Certes, dans la chair du livre, le poète exprime son dégoût pour cette vie ingrate où la maladie et la méchanceté des hommes, réunies traitreusement, se sont abattues sur sa vie. Mais à bien creuser j’y ai lu le testament du Maître. Par intermittence, au milieu de ses larmes dorées, il distille des aphorismes et des maximes pour nous dire les hommes tels qu’il les a connus :

 

 « L’homme est l’homme

Et la boue sommeille en chacun de nous »

 (page 80),

 « Seuls prospèrent en nous l’arbre du lucre et ses fruits maudits

Non ! Il n’y a rien de bon dans le cœur de l’homme »

 (page 98).

 

 C’est le sage qui, formé dans le feu des épreuves, nous livre ses expériences du monde en paroles d’airain. Certes, il n’a pas sans souillures mais, il se veut un modèle de probité :

 

« Je quitte cette terre et je pars

Sans n’avoir rien convoité rien dérobé

Ni or, ni château, l’âme chargée des souillures de mon corps

Je pars hélas l’âme chargée des souillures de mon corps » (page 141).

 

Au tournant de certaines pages, le barde Zadi coule des larmes sur son Eburnie, comme Christ pleurant sur Jérusalem, en stigmatisant les errements et les tâtonnements des politiciens lors de ces deux dernières décennies.  Sa rupture avec la politique ‑ cet univers déroutant ‑ éclate joliment dans ces vers :

 

« Hurler avec les loups

C’est reconnaître qu’on est soi-même un loup

Étranger à la caste des hommes de proie

C’est sans remords ni regret que je dis adieu  à l’arène »

 

Le livre 4 de son recueil est un dialogue mystique et avec la vie et avec la mort. C’est là que le poète murmure la parole testamentaire. Voyant de loin brôlô (1), comme Moïse,  par la foi, la terre promise, Zadi clame :

 

« …un matin je déserterai les jardins de la vie

Crânement je voguerai, âme altière assaillie de regrets

Vers les rives boréales où brille un doux soleil d’éternelle félicité »

(page 126).

 

 La mort l’attire comme un espoir, une délivrance. N’est‑ce pas l’auberge mystique dont parle Baudelaire ? :

 « Et maintenant, Koussa, fais tes adieux à la ville.

C’est le temps du « Grand départ » (page 129).

 

 Conscient de sa fragilité mais aussi de ce qu’il a semé comme esprit dans ce monde, il avoue avec une pointe de tristesse :

« Ma vie n’est qu’une brindille fragile

Un rien des restes d’un iroko qui fut puissant »…

 

 Zadi de l’autre côté de la vie, libéré des liens de la chair, devient esprit pur. Le mort n’est pas mort, la boue s’est muée en étoile. L’Ancien est devenu un Ancêtre (2).

Ouvrez les yeux pour attendre le trémolo de son dôdô enchanté. Ouvrez les oreilles pour voir comment il nous parle. Bottey le dyali, Koussa la Parole domptée.

Zadi le sensuel, Zadi l’amant de la vie, crucifié par la maladie savoure les délices de brôlô. Sa vision s’éclaire. Le monde des vivants devient du coup « la glèbe funeste ». Il soupire et aspire à l’autre vie pour se libérer de « tous les maux de la terre », lui l’avide des mots de notre terre :

 

 « Mon âme qui s’élance vers les mondes de paix éternelle ».

 

Il rêve de rejoindre « Ogoun et tous les génies du panthéon ». Il se fait impatient :

 

« Ah ! que le temps me dure de voir sur les ailes d’un condor

Mon âme quitter à jamais la glèbe funeste ! » (137)

 

Oui ! je l’ai vu là bas au milieu du jardin, avec une couronne de mots sur la tête, tout le corps lumineux appuyé sur une canne sertie d’une pierre précieuse. Orphée était là avec sa lyre. Et Prométhée. Et Balla Fasséké armé de son mystique balafon. Tous les dieux de la poésie et du verbe les entouraient. Et j’entendis monter cette clameur poétique : « Zadi l’aède, Bottey la beauté ».

Je compris alors que le barde a acquis l’immortalité.

 

ETTY Macaire

Critique littéraire


 

Lexique :

Brôlô : l’au-delà en langue baoulé

L’Ancien est devenu un Ancêtre : Une belle formule de Clémentine Caumauet

 

publié dans Le Nouveau Courrier du 30 mars 2012

 



04/04/2012
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