LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Mes dernières paroles pour l’Afrique de Bernard Zadi : Le testament du maître aux intellectuels africains

 

Publié à titre posthume,  un an après sa mort, « Mes dernières paroles pour l’Afrique » de Bernard Zadi est un manifeste clairement destiné à l’élite intellectuelle ivoirienne, et par de là, africaine; car les problèmes qui se posent à l’intelligentsia ivoirienne sont les mêmes dans tous les pays africains. 


Zadi part d’un constat douloureux. Face à la désertion des intellectuels ivoiriens et africains de leur mission de guide, d’éclaireur et de sentinelle, en faveur du champ politique, la cité (dans le sens que l’attend Platon) ivoirienne, sans lumière et sans guide, a sombré dans un état de déliquescence avancée.  Dans ce livre, il relève parmi tant d’autres, cinq causes de cette déréliction : l’âpreté au gain, le refus de l’autocritique, la capture linguistique, le hiatus entre les régimes politiques et les traditions africaines et enfin la balkanisation de l’Afrique. Ces « ténias » ont, lentement mais sûrement, déconstruit la société ivoirienne, l’exposant à tous les dangers et à tous les prédateurs. Au bout du processus, menacent l’inertie et le chaos. Et le maître de réagir à travers cette interrogation rhétorique : « L’élite ivoirienne et africaine doit-elle s’accommoder, insouciante et aboulique, de cette situation de naufrage ? » (page 32). La réponse tombe sans ambigüité : «  Non ! Elle doit perdre ses illusions, s’organiser pour découvrir sa mission et l’accomplir, courageusement, dignement, afin de mettre fin au processus de pillage de notre continent » (pages 33). Mais comment procéder ?  C’est une telle  problématique, qui a amené le maître,  après une longue observation de notre société, à proposer comme thérapie le « MODEL », (mouvement des élites pour les lumières), dont le présent livre est le manifeste. Il s’agit d’appeler les enseignants, les chercheurs, les étudiants, les journalistes de haut niveau, les créateurs d’art et de littérature, tous ceux qui se réclament intellectuels à se « rassembler autour d’une idée : la renaissance de l’Afrique-mère, l’édification de puissants mouvements de lumière », « à se débarrasser de tout complexe d’infériorité vis-à-vis de tout pouvoir, de toute puissance et de toute force que ce soit » et à « mettre à l’ordre du jour » de leurs réflexions, les valeurs propres à aider au renouveau de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique » (page 53). En termes autres, il urge que notre pays se pousse une tête bien sienne, une élite déterminée à éclairer de ses lumières la masse et à se constituer en contre-pouvoir de sorte que ses vues infléchissent sur la marche de la nation. Car comme le dit si bien Gustave Le Bon : « Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule vers l’élite » (in Hier et demain).

Une lecture attentive du livre de Zadi révèle qu’il constitue un document de référence, un guide, une boussole pour réorienter l’intelligentsia ivoirienne, qui, il faut le dire, déboussolée, émiettée, navigue à vue. Il pose des bases solides d’unification des tendances intellectuelles ivoiriennes et africaines. L’ouvrage se veut la fondation d’un édifice d’idées appelé à illuminer toute la nation voire toute l’Afrique. Le livre de Zadi, par son projet philosophique, exploité à bon escient, est susceptible de désenvoûter tous les intellectuels « possédés » par des esprits comme la politique, l’argent et le tribalisme. Il a le pouvoir de recentrer les valeurs qui fondent la société humaine et africaine.

Au niveau de la forme, l’ouvrage se distingue par sa brièveté, sa clarté et son pragmatisme. L’utilisation d’un niveau de langue moyen, accessible…est aussi impressionnante. Un acte d’humilité qui traduit le souci de Zadi de communiquer et de se faire comprendre. De ce fait le livre a une valeur didactique énorme et une admirable dimension pédagogique.

Bien que doté d’un élan « enthousiasmant », les intellectuels ivoiriens qui doivent se l’approprier ont le devoir d’approfondir certains points du manifeste en faisant preuve d’esprit critique et d’ouverture. Les rapports entre le mouvement et la politique ont besoin d’être mieux expliqués à partir des questions suivantes : le mouvement est certes apolitique, mais prendrait-il position face à des questions cruciales politiques engageant le destin de la nation ? Se garderait-il d’être un mouvement de dénonciation et de critique ? Les membres ayant le droit de militer dans des partis politiques, s’ils sont élus députés ou ministres, continueront-ils être membre du mouvement avec tout le risque que cela contient ? D’autres obstacles méritent d’être évoqués. La société à éduquer est viciée et corrompue. Les intellectuels ou du moins les universitaires depuis 1990 sont devenus les idéologues des partis politiques. Ils ont troqué leur toge avec des postes de responsabilité dans l’administration publique et l’argent. Les journalistes clochardisés ne doivent leur survie que par la production de « papiers alimentaires » et souvent porteurs de germes de division et de haine. La graine du maître aura-t-elle une terre où s’ensemencer et germer ? Trouverons-nous dans ce pays un homme détaché, désintéressé, mu par de nobles intentions pour tirer le train ? Jean Dion écrit : « La richesse, le confort et, accessoirement, l’ineptie d’une nation se mesurent aux sujets de préoccupation de ses élites » (in le journal québécois Le Devoir du 11 février 1999).

Le maître a fait son devoir en laissant aux Ivoiriens un testament. A l’élite de jouer sa partition en s’imposant comme un véritable modèle.

Etty Macaire


Bernard Zadi, Mes dernières paroles pour l’Afrique, frat-Mat éditions, 2013.

in Le Nouveau Courrier du vendredi 12 avril 1013



12/04/2013
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