C’EST IDIOT D’AIMER DE OUMAR N’DAO : UNE DESCENTE AUX ENFERS
Quatre nouvelles, quatre histoires, quatre destins unis par des protagonistes torturés par la vie, en quête d’une autre vie qui ne se laisse pas apprivoiser. Seul l’amour peut les arracher à l’abîme. Malheureusement, si l’amour peut couronner, il peut aussi crucifier…
Un monde en décrépitude … des personnages tourmentés
Oumar N’ Dao, sans pudeur aucune, nous fait arpenter l’autre versant de la vie. Le monde de la nuit et des ombres. Un monde qu’il connait certainement bien de par sa profession de journaliste people. Là, le masque est le vêtement officiel. Et, tous les coups sont permis. C’est un espace en déliquescence, un univers affreux où se côtoient des êtres en conflit avec la vie, en conflit avec le destin, en conflit avec eux-mêmes. Un monde en totale déconstruction, en marge de la vie publique, en marge des espaces officiels régis par la loi. Là bas, la vie et la mort s’entremêlent sans scrupule, le bonheur et le malheur ont les mêmes couleurs. Les personnages qui s’animent sous nos yeux sont des suppliciés de la vie, des loques humaines : « J’avais le cœur déchiré, le corps Sali » (p19). « Cathy se sentait souillée, malade » (p37) « La drogue lui ouvrait les portes d’un paradis dont elle ne pouvait plus se passer…elle était devenue une étrange créature » (p 76) « son corps était presque ravagé » (p81) « Elle avait le visage boursouflé, un œil enflé, le nez cassé, la bouche ensanglantée » (P116). Moralement et physiquement, les créatures de N’Dao semblent être en perpétuelle décomposition. Le vocabulaire de la déchéance écrase de sa laideur toutes les pages. Surtout, il ne faut jamais se fier aux apparences. Derrière la brebis, se cache une louve aux dents acérées. La drogue, les boîtes de nuit, l’homosexualité, le meurtre, le proxénétisme, le tabac et autres paradis artificiels s’offrent comme des voies, des échappatoires pour distraire les pièges de la vie. Nous sommes loin de la littérature à l’eau de rose qu’affectionne le lectorat féminin. Dans ce livre, le rire s’écrase pour laisser place à la réflexion. Le lecteur dérouté en sort totalement haché et émietté.
Une thérapie douloureuse mais nécessaire
Que nous veut Oumar Ndao ? Pourquoi nous offrir ces histoires noires là où le lecteur rêve de lueur et de joie ? Est‑ce là le rôle de la littérature que de nous exposer au traumatisme ? Les êtres malheureux qui hantent les pages de ce bouquin sont, en réalité, en quête de l’absolu, de l’équilibre ou de l’harmonie qui leur a filé des doigts. Ce sont des êtres percutés et dérangés qui cherchent une voie pour soulager leur souffrance. A partir de cet instant, le projet de N’dao est porteur. Le monde a besoin de secousse pour ne pas s’endormir. Il faut peindre les ténèbres afin que le monde comprenne qu’en marge des circuits officiels, il existe d’autres êtres pris aux pièges de l’existence. Il ne faut pas se voiler la face et dire les choses telles qu’elles sont. Car la littérature ne saurait se réduire à un fard visant embellir la vie alors qu’elle ne l’est pas. Le créateur a le devoir de mettre des mots sur toutes les laideurs pour guérir le monde. Et N’dao peut dire avec Senghor : « J’ai porté la cognée dans ce bois mort, allumé l’incendie dans la brousse stérile» (In Ethiopiques, Chaka). Nul ne l’ignore : une plaie qui ne se soigne pas s’infecte. Telle est la démarche de ce journaliste écrivain !
Un style déroutant
Le style de N’Dao se veut un miroir fidèle de son monde. Sa langue, impudique et relâchée, est celle de cet univers chaotique. Rebelle, elle refuse de se plier aux règles et aux normes. Elle se veut hâtive et spontanée, à la lisière de l’ordurier. « un homme…me pilonnait le bas-ventre » (p19) « ce sexe qui forçait le sien dans un va en vient sans ménagement » (P37), « ça peut être une fellation » (P65), « ça doit le faire bander de me faire souffrir sale con » (p79). La réalité est nommée crûment comme pour lui préserver sa véritable écorce. Le rapport de l’écrivain avec la langue va certainement faire rougir les puristes. Il arrive même au lecteur de se demander s’il est dans un texte narratif ou dans un film. Les flash-back et les retours en arrières, envahissants, déroutent le lecteur distrait et lui font perdre le fil de l’histoire. La nouvelle « C’est idiot d’aimer » l’éponyme du livre est le concentré de toute l’audace artistique du nouvelliste. Journal intime et souvenirs se donnent la main pour construire le message. Un message cependant insaisissable qui ne s’offre qu’au regard attentionné.
Oumar N’Dao, dans ce livre déroutant, affirme sa détermination à demeurer un créateur c'est-à-dire un novateur, une plume qui prend le risque de faire les expériences interdites. Malgré sa propension à évoquer aux détours de chaque page « le dessous des ceintures », une tendance aux antipodes de la pudeur africaine, l’écrivain sorti du magazine Gbich, se classe dans la catégorie des écrivains soucieux de sortir des sentiers battus.
Article publié dans LE NOUVEAU COURRIER dix sept février 2012
ETTY Macaire
Critique littéraire
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