LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Envoûtements d’Amidou Cheikh Soilé : un chapelet de poèmes succulents !

 

 

 

Publié au Canada par dhart éditions, Envoûtements est le premier livre de Soilé Cheikh Amidou. Et voilà déjà le jeune poète au seuil du cénacle des plus grands.

 

 

« Du belvédère de ma thébaïde mosane

Derrière la gaze des traîtres rideaux

Une géante flamme pétillante de bougie

Me sert ta silhouette en tenue d’Eve.

Quelles étrennes sublimes ! »


Ces vers ne sont ni du barde ivoirien Bernard Zadi ni du Mauricien Edouard Maunick mais de bien de Amidou Cheick Soilé. Comme Césaire, les premiers « rejetons » du jeune démiurge sont d’abord poétiques. La coulée qui dégouline de sa plume a la brûlure du talent appelé à s’empâter. La sensibilité à fleur…de plume, la poésie semble être celle du cœur. Ce cœur, il nous le livre sans pudeur. Il le dissèque et nous l’offre, enveloppé dans la soie des mots tamisés. Cœur en liesse, cœur gambadant et  jubilatoire. Cœur malheureusement en lambeaux, éclopé, blessé par les griffes de l’amour. L’inévitable thème de l’amour avec son cortège de frissons et de supplices y occupe un livre sur les trois. Comme un amant comblé, la plume de Soilié, portée par un lyrisme exacerbé, chante la femme aimée. Le cœur aimant n’a aucun mal pour traduire ses émotions. Les vers jaillissent purs, imagés, évocateurs. Un sublime hymne à l’amour :

« Fée aux yeux envoûtants

Muse à la croupe enivrante !

Les rayons de soleil sont jaloux

Jaloux de ton velours étincelant » (page 26) 


 Si l’amour couvre le poète du manteau d’un dieu, l’amour souvent l’empalme et le crucifie.  « La trahison de Pénélope » laisse échapper la fragrance d’une affreuse affliction. Les mots qui giclent bien que dans la douleur ont l’éclat des larmes diamantines :

« Envolé mon papillon

Pour un autre nénuphar délicieux…

Tu continues de papillonner

Après le serment de Pénélope

Me laissant dans un désert nu et asséché

Sans tendresse

Sans câlins » (page 34)

 


 

41 poèmes, 41 rasades jaillies d’une âme sensible, d’une plume qui se veut en harmonie avec la vie. Pas de rêvasseries loin de son « alcôve ». Non plus de divorce avec son peuple au profit d’un ostracisme démodé. Les textes de Soilé tirent leur aliment de l’humus de sa vie et son Eburnie. Si ses idylles et ses déceptions amoureuses occupent bon nombre pages, le poète refuse de se taire devant la bêtise humaine. Le séisme militaro-politique ivoirienne est disséqué sans complaisance. Refusant les incantations politiciennes et les encensements improductifs à l’endroit d’un camp, il prend parti pour l’homme, pour la vie. La sensualité observée dans le premier livre cède le terrain aux dards d’une plume acérée. Le lyrisme passe la main à la satire. Mais les vers gardent leur splendeur d’aurore tropicale et leur solidité de bois bété. Heureusement !

Lisons ensemble ces vers extraits de « La tanière des chacals » à la page 50.

« Une nuit tourmentée couverte de poudre de canon.

Des baïonnettes à la barbe hirsute

Ont violé la cité… »

Un peu plus loin à la page 58, s’enfle dans la « Nuit d’agonie », l’amertume du poète :

« Le Wâli, croulant à l’agonie

Les espoirs lépreux nourris la veille

Sombrent dans le visqueux étang de la nuit

Qui a porté un châle borgne à la toile

D’ébène enveloppant la nature »

 

Talentueux poète, Soilé l’est certainement. Mais ne lui est-il pas possible de se défaire de l’emprise des références onomastiques occidentales, substrat de ses pérégrinations littéraires ? Les noms tirés de la mythologie gréco-latine tels que « Diane », « Phèdre », « Dionysos » « Aphrodite » « Pénélope » « Apollon » « Orphée » « Mercure » « Zeus » « Hermès » etc. inondent de façon obsédante l’univers poétique du jeune poète nègre.

 Notre position est la suivante. Si la quête de l’universalité est à encourager, elle prendra un sens lorsque les créateurs africains chercheront à offrir au monde des valeurs et des mythes de la cosmogonie noire.  C’est ce qu’ont compris Césaire, Pacéré Titinga, Paul Dakeyo et autres Bernard Zadi. La déesse « Venus » incarnerait-elle mieux l’amour que Nolivé ou Rama Kam ? « Aphrodite » serait-elle plus belle que Marie-Thérèse Houphouët-Boigny ? « Zeus » serait-il plus puissant que « Ogun », un dieu Yoruba ? A « Orphée » ne pourrions-nous pas préférer Balla Fasséké ou Madou Dibero ? A nous créateurs africains d’imposer nos mythes.

 

Le grand dompteur de mots que Soilé est appelé à devenir doit pouvoir s’enraciner ou du moins enfoncer sa plume dans  le trésor culturel nègre qui fourmille de mythes qui n’attendent qu’à être exploités. Pour nous, cependant, « Envoûtements » est un ouvrage poétique qui mérite une grande attention. Le choix des mots et leurs agencements, le goût de l’image et de la suggestion sémantique relèvent d’une grande habileté artistique. Les notes qui s’échappent des roucoulements et des gémissements de Soilié ont la beauté à la fois d’un hymne et d’une complainte. Emmaillotés dans des vocables exquis, l’espoir et le désespoir, se confondent dans leur rendu poétique.

Rapidement le lecteur est conquis, séduit. Envoûtements ! Le titre de l’œuvre ne peut être mieux choisi car les poèmes de Soilié se consomment avec une joie toute gourmande. On se laisse ensorceler, emporter par ce style à la fois exalté et épuré qui élève les mots au faîte de leur puissance évocatrice. Les vers du poète sont charpentés, nattés avec soin, souvent même fardés à émouvoir les « cœurs de pierre ». Pour mieux goûter à ce banquet de mots, il faut lire les poèmes à haute voix, sur les notes d’un balafon. C’est de cette façon, et la meilleure qui soit, pour se rendre compte qu’il s’agit bien d’un exploit artistique. « Envoûtements » est une broderie de mots réussie, un creuset d’images outrecuidantes.

C’est un « vaste tableau intérieur » où les couleurs grises et gaies se côtoient. Pour nous, Envoûtements prend souverainement sa place dans l’antre des plus grands recueils poétiques ivoiriens de ces cinq dernières années. Il faut désormais compter avec ce nom : Soilé Cheick Amidou ! Demain lui appartient !

 

 

Soilé Cheick Amidou, Envoûtements, dhart éditions, Ontario, Canada, 2012

 

Etty Macaire


in Le Nouveau Courrier num. 650 du 09 novembre 2012

http://dharteditions.over-blog.com/article-envoutements-99593779.html



10/11/2012
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