Gloire et Déclin Apocalyptique de Macaire ETTY/ La lecture de Josué Guébo
Par Josué Guébo
Si l’amour était une femme, sans doute aurait-elle été de nature ondulatoire. Lumière se jouant des sens et des songes des hommes. Flamme se parant d’artifices et d’atours les plus affriolants. Feu se donnant sous l’apparence de la plus évidente corporalité avant de se révéler en son effective immatérialité. Mais par un de ces bonheurs que savent semer les plus belles promesses de polémique, l’amour s’est voulu être un homme. Un homme habité de toute la rage des rêves, un homme fléché de tout les sucs de la passion, un homme oublieux de l’aphorisme désabusé de Grobli Zirignon : « L’amour c’est la mort encore déguisée ».
Mais cet homme là – comme Louverture – aura été une nation. En son cœur enfiévré et haletant, se sera tenu le destin de tout un peuple, frétillant et frissonnant au rythme de la marche d’une femme. Amour pour une femme, bien-sûr, mais aussi amour pour une terre. Champ de passions et promesse de tragédies, par le fait d’une justice escamotée.
Le drame, ici, tient de l’action d’un jeune souverain transigeant avec la loi : celle qu’il entend élever à la dignité de reine, contre les dispositions des règles en vigueur, est fille de l’immigration. C’est que la passion, en lui, a déjà éclaté les lignes de la topographie, non sans amocher – au moins localement – les lois d’accès à la nationalité. Mais déjà sourd la colère ! Rage et furie conservatiste des gardiens du temple identitaire. Croisade inflationniste contre hypothétiques chevaux de Troie. Différence vécue sous le jour du différend. C’est de la toile d’une telle trame qu’est explorée l’âme humaine : obséquiosité de courtisans, rancœurs d’ennemis à vie, intrigues de cour, contours les plus tortueux, livrés aux réverbères enjoués de l’auteur. C’est aussi d’un tel tableau que se joue le drame du rapport de la gouvernance à la rationalité. L’auteur, par un sens délicat de la suggestion, sait rendre contemporaines accession au trône et éclipse du discernement ; une telle recomposition du paysage symbolique, révélant non seulement l’idée – classique – d’une solitude du pouvoir, mais aussi et surtout celle d’une hétérogénéité radicale entre action politique et spéculation spirituelle.
Et s’il reste entendu que Gloire et déclin apocalyptique est ce livre qui demeure ouvert même après avoir été fermé, s’il reste entendu qu’il résonne d’une parole des plus flamboyantes, c’est bien aussi parce qu’il vibre et tinte d’une hymne à la femme aimée. Et le poète de chanter : « A la regarder, des milliers de poèmes s’entrechoquent dans ma tête en ébullition. J’ai toujours cru que le soleil était l’astre le plus brillant jusqu’à ce que je voie Miella. Miella, ô étoile de la province Poro-kly, mon bonheur est de te chanter… ». Or, bien qu’elles aient choisi d’exalter l’amour, bien qu’elles aient décidé de magnifier la magie sculpturale, les pages qui suivent gardent – de bout en bout – ce ton hiératique, cette veine nobiliaire, cette tessiture armoriale qui distingue si heureusement les œuvres d’esprit des forfaits littéraires à l’eau d’acacias ou d’orgueil de Chine.
Il en est ainsi, parce qu’il y a fondamentalement dans la trame et les présupposés de ce texte une apologie de la posture sapientiale. Savoirs techniques et pratiques mais aussi connaissances éthiques et suprasensibles dispensées par la voix d’augures dont la présence, en la présente narration, reste une constante.
Mais s’il y a toujours dans une œuvre d’esprit une part de parole définitivement rétive à la clarté du jour, une part de dire que l’on ne pourra au mieux que sentir, humer ou fleurer, comment passer par pertes et profits l’image de ce voyant aveugle ? Cet oracle dont le regard fermé aux choses matérielles, voit le mieux les êtres insoupçonnés ? Couverts du sarcasme des puissants, repus du quolibet des miséreux, il n’en est pas moins porteur du message de la vérité et légataire des vérités éternelles. Parce qu’habité du soleil de la probité, l’aveugle-voyant voit plus loin que la réalité conjoncturelle. Koundi, l’aveugle-voyant devient une métaphore de l’homme d’esprit, une allégorie de l’artiste, une périphrase du penseur, bref, un schème de tous ceux qui, se gardant des ors et des lambris mensongers – se défiant de la camelote des postures à la mode – ont décidé de fermer les yeux sur le tangible, pour mieux voir l’intelligible.
Macaire Etty a le mérite de nous ouvrir à cette cécité apparente, cette cécité bénéfique, ce trouble heureux de la vision qui sait être vœu de pauvreté oculaire pour s’éclairer de trésors essentiels. La vision qui s’élève, dialectiquement, de Gloire et déclin apocalyptique est celle qui veille encore la ville, même aux heures des beuveries – éthyliques ou conceptuelles –, celle qui lit l’alphabet du réel dans le firmament d’un cœur désintéressé, cette merveilleuse voyance par laquelle Bernard Dadié a pu dire :
« Je suis le vieux guetteurQui monte la garde sur les remparts,J’ai dans les yeux, les aurores des temps anciensEt dans la tête, la chanson des temps futurs » .
Macaire Etty nous fait don de cette vision – qui parce qu’elle est précisément méta-vision – glisse nerveusement, à l’image du fleuve Pororo, toujours en partance vers un horizon de désir et de devoirs, un horizon de rêve et d’idéal, un horizon précisément tissé de réalisme !
Josué Guébo
Président de l'Association des écrivains de Côte d'voire
Macaire Etty, Gloire et Déclin Apocalyptique, dhart éditions, Ontario-Canada
in Le Nouveau Courrier du 30 Août 2013
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