LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Une lecture critique de « Sous le joug de Dangadéh » de Mahoua Bakayoko

Sous le joug d’un Dangadéh est la seconde œuvre littéraire de Mahoua Bakayoko après la trilogie Toungah. C’est un roman constitué de 135 pages réparties en cinq (5) chapitres de tailles différentes.  Il s’ouvre sur un prologue et se ferme sur épilogue. Le narrateur (ici une narratrice) est homodiégétique.

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Le titre de l’œuvre

Le titre est constitué de mots français et malinké. Par son hybridité linguistique, il souligne l’une des caractéristiques du style de l’écrivaine. Il s’agit de l’association de termes malinké et français inaugurée magistralement par Ahmadou Kourouma. Ce choix souligne souci de Mahoua d’être le point d’intersection de deux civilisations. Bien qu’ayant bu à la source de l’école occidentale, elle  a les racines bien ancrées dans son terroir.

Dans ce titre les mots « sous » et « joug » évoquent le faix,  ce qui écrase. Ils suggèrent la servitude, l’oppression voire l’esclavage.

Quant au mot Malinké « Dangadéh ». Il est constitué du mot « Dangah » qui veut dire « malédiction » et « Déh » qui signifie « enfant ». Il est question donc d’un enfant maudit. Le titre, comme nous venons de le voir,  plante une atmosphère oppressante et crée un terrible malaise. Par ailleurs, si l’autrice a laissé le mot « Dangadéh » dans sa robe originelle c'est-à-dire africaine, c’est pour conserver le sens qu’il véhicule véritablement. Car comme on le sait, il y a toujours une once de trahison dans toute expression traduite.

Si le titre par sa charge sémantique inquiète l’image de la première page de couverture l’est également.

 

L’image de la première page de couverture

Nous y voyons la silhouette d’un être difficilement identifiable. Bien que baignant dans un flou artistique nous percevons une sorte d’être humain. Mais quel être humain ! Un être affreux, insaisissable, une sorte de monstre, placé sur un fond glauque. Le lecteur ne peut que s’interroger et sursauter face à une telle image qui n’inspire que répugnance. Une telle réaction serait la preuve que l’effet recherché par l’artiste a été atteint. La conjugaison du titre et de cette image abjecte annonce inéluctablement une histoire sombre et abominable.

 

Alors, de quoi s’agit-il dans cette œuvre romanesque ?

Lance Berté, jeune collégien à Abidjan est venu passé les vacances dans le Kabadougou chez oncle Berté Mery. Le jeune citadin ne tarde pas à se signaler par le vol de la boîte de bijoux de Coumba, l’épouse de son oncle. Alors que toutes les preuves clament sa culpabilité, sa mère Nènè venue précipitamment d’Abidjan, est déterminée à défendre son fils becs et ongles, poussant l’outrecuidance jusqu’à accuser Coumba de complot destiné à salir la réputation de son fils. Mais selon des lois séculaires, voler de l’or c’est signer un pacte avec le malheur, à vie. Nènè Berté, sans le savoir, venait d’ouvrir la boîte de Pandore. Les malheurs et les tourments s’acharnent sur elle avec une rage et un rythme vertigineux. Lance Berté, son terrible fils par qui, le mal est entré dans la famille, comme possédé par un esprit satanique accumule les frasques et les inconduites jusqu’au point de non-retour. La descente aux enfers est irréversible.

Sur un rythme haletant, le récit de Mahoua nous fait voyager sur le chemin escarpé de la malédiction, avec ses crevasses, ses détours, ses venins. Le lecteur étourdi vole d’horreur en horreur. L’itinéraire du fils de Nènè est parsemé de délits de tout acabit. Vol, association de malfaiteurs, bradage, cambriolage, trafic de drogue, violence, agression…tout y passe. Le viol de la mère par le fils est certainement le point culminant de ce cauchemar. Et pourtant tout au long de ce périple périlleux, la mère Nènè, la fibre maternelle démesurée et exacerbée n’attend pas laisser son fils choir seul dans l’abîme. Ecorchée vive, elle est enclin à boire la malédiction jusqu’à la lie.

 L’univers de ce roman est sombre et maculé. Les lueurs s’éteignent successivement  pour céder le terrain à la pénombre. Les destins sont brisés, les vies sont en lambeaux. Tout est en décomposition autour du couple maudit constitué de Nènè et son fils Lance.

« Sous le joug d’un Dangadéh » est un roman qui nous met aux prises avec les mystères du continent noir.  Les balises érigées par les Anciens ne sont point fantaisie. Il y a des bornes qu’il ne faut pas déplacer et des lois qu’il ne faut pas violer. La malédiction est consécutive aux violations des règles séculaires qui régulent les relations humaines et assurent la protection de certaines valeurs morales.

Dans le sillage de la malédiction le sujet central, la plume de Mahoua flétrit toutes sortes de tares sociales : l’infidélité, le maraboutage, le mensonge, la polygamie, la violence conjugale, le mépris de la femme, l’égoïsme.

 

Quelques mots sur l’écriture

L’insertion des termes du terroir, précisément malinké, imprime à son histoire son souffle africain. Le maniement des proverbes qui fait la dextérité de l’artiste et des esprits sages en Afrique occupe aussi une bonne place.

« La parole n’a pas d’os mais elle peut briser l’os » (p 17).

« Un cadavre qui veut arriver propre dans l’au-delà ne cache pas son corps à son laveur » (P 78)

« Rire de l’anus de son voisin n’est pas un crime, mais convier toute sa famille à le faire est inadmissible » (p 123

A tous les points saillants de l’histoire, le proverbe est lâché pour avertir, édifier et éclairer. A côté du proverbe, Mahoua ose des métaphores, des hyperboles et des comparaisons qui impriment à son récit toute sa beauté. C’est ce que j’ai appelé l’audace stylistique.

Des morceaux choisis :

-P 21 : « mon miroir, ce juge sans cœur, qui m’écarquillait grandement les yeux, sur mon nez épaté qui avait le don d’épater, que dis-je, d’effaroucher tout le voisinage »

-P 31 : « Djatou possédait deux obus qui faisaient office de postérieure. Deux boules incendiaires, sataniquement arrondies qui s’entrechoquaient dans un feu d’artifice à chacun de ses déhanchés, pour finir en un énorme braisier donc les victimes se trainaient à ses pieds pour lui rendre grâce »

-P31 : « elle laissait tomber son pagne à la moindre petite brise masculine »

-P24 « excité comme un pou solitaire sur un crâne chauve »

Le sarcasme et la truculence de certaines scènes atténuent quelque peu l’atmosphère oppressante de son récit. En effet, à maintes reprises, l’autrice a recours à l’humour et à l’ironie, deux artifices qui rendent sa narration vivante. Ce sont deux procédés de distanciation qui permettent d’aborder des problèmes graves sans en avoir l’air. On ne peut s’empêcher de penser à l’art oratoire des griots traditionnels, surtout de l’espace malinké, qui quelque soit le sujet, réussissent, par leur talent, à tenir le public en haleine.

Mahoua assume son africanité. De son port jusqu’à dans son style de narration en passant par sa thématique, elle est restée elle-même. C’est dire que le séjour américain n’a aucunement entamé son âme.

 

Amis du livre, que dire de plus, pour vous faire comprendre que le roman de Mahoua Bakayoko « Sous le joug d’un Dangadéh », a réussi un bel équilibre entre la forme et le fond, entre le message et le style. L’histoire jaillie de son imagination, par son originalité, nous permet de réviser nos pas dans cette Afrique mystérieuse qu’on n’a jamais fini de conter et d’exploiter artistiquement.

 

Macaire Etty

 



15/04/2014
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