LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE PARADIS INFERNAL DE TIBURCE KOFFI : LE BLASPHEME COMME VOIE DE SALUT POUR L’HUMANITE

 

Le Paradis Infernal, œuvre dramatique de Tiburce Koffi, a été publiée en décembre 2008 aux éditions  La Maison du Souvenir. Avant même la lecture, on est frappé par le titre… saisissant et déroutant. Le goût de « l’hybridité sémantique », l’usage obsessionnel de l’oxymoron et le mariage des contraires dénote du désir de l’auteur de choquer et de transcender la platitude du commun, la réalité prosaïque. L’œuvre ploie sous le foisonnement de cet artifice (p 24 : sainement malade, saintement pécheurs, P84 : gentille torpeur, P119 : fraternel ennemi…). En fait, c’est du Tiburce craché (cf L’embarras de Dieu) avec toutes les audaces stylistiques qui caractérisent les grands créateurs. Quant à l’intrigue, elle tient parfaitement toutes les promesses annoncées par le titre :

Les hommes repus de toutes les souffrances  de la planète-terre-maudite, décident, par le biais de leurs envoyés, d’aller en Eden pour se délester de tout leur fardeau miséreux. L’Eden est certes insolemment lumineux mais dégage, contrairement à la mythologie chrétienne, la fragrance d’un univers méphistophélique. La tyrannie de Dieu, Maitre de l’Univers, blesse la raison humaine. Finalement, la rencontre avec le Monarque divin a l’effet d’une électrocution. Pour exprimer leur rage, les hommes conduits par une femme, Akissi,  un bloc d’insolence et de lucidité, s’insurgent et humilient l’armée céleste. Dieu, finalement, est traduit devant les tribunaux pour répondre de ses actes. Les chefs d’accusation sont nombreux : viol, adultère, meurtre…

Une fois encore, Tiburce Koffi est allé loin, très loin. Il a atteint la crête acérée de l’innovation artistique et du blasphème fécondant. Sa hargne à profaner le sacré et à briser les icônes l’élève au rang d’un disciple de Lucifer, l’ancêtre de tous les quêteurs de Vérité et de tous les savants. Satan n’est-il pas celui qui a veillé pendant des millénaires sur la « torche » du savoir…en faveur des hommes…« au nom de la Vie, de l’Histoire, de la Liberté » (P69) ? Une fois encore, Tiburce Koffi nous plonge dans l’univers grave du Règne divin (comme il l’a si bien réussi avec son œuvre L’embarras de Dieu). L’espace édénique est démystifié par la plume impie du talentueux blasphémateur. L’autorité de l’Incréé est bousculée brutalement sans aucune considération pour sa divine Souveraineté. L’univers fantastique de la bible est dérangé outrageusement et insolemment renversé. Nous sommes loin du vraisemblable et du raisonnable. Normal, le dramaturge nous initie au Didiga, l’art de l’impensable. Alors, tout devient possible : Caïn, Judas et Lucifer, damnés pour l’éternité selon la mythologie biblique, sont réhabilités ; le lecteur est même tenté de leur tendre la main. Jésus-Christ, Marie-Madeleine, Jean-le-Baptiste, Jean-de-l’apocalypse, les héros-vedettes de la littérature biblique sont ici émasculés, castrés, déchargés de leurs privilèges spirituels. La plus célèbre araignée de notre enfance, Kacou-Ananzê devient un avatar de Satan, le Libérateur. Dieu lui-même est écorché dans sa sainteté. Quelle outrecuidance ! L’écrivain ne doit-il pas resté avant tout moral ? Emile Zola nous répond : «Je ne sais pas ce qu’on entend par un écrivain moral et un écrivain immoral ; mais je sais très bien ce qu’est un auteur qui a du talent et un auteur qui n’en a pas. Et dès qu’un auteur a du talent, j’estime que tout lui est permis » (In De la moralité en littérature, 1881). Tiburce Koffi peut alors se débarrasser des dénominations classiques de la dramaturgie pour donner libre cours à son inspiration indomptable. A coup de plumes, il assassine Tableaux et Actes en faveur des Délires. Le mot en lui-même n’est pas innocent. Car nous sommes en pleine hallucination. La liberté de l’Art lui ouvre la porte de tous les périls et de tous les hasards. Tiburce Koffi est-il donc un athée endurci, un incroyant pervers? Que reproche-t-il au Pouvoir divin ? En vérité, par ses audaces iconoclastes voire impies, l’artiste veut amener l’homme et surtout le Nègre à s’interroger et à réviser ses rapports avec Dieu. Ce n’est donc pas Dieu en tant que Créateur qui est mis en cause (le Tribunal n’a pu le condamner car Dieu reste Dieu, Tout-Puissant, Insondable), mais c’est l’utilisation que les hommes en ont fait. Pour notre écrivain, si Dieu doit être l’antithèse de la réflexion, de la responsabilité et de la fécondité intellectuelle, alors il doit « disparaître de l’Histoire » (P 94) « afin de permettre à l’Homme de courir sa chance » (P91). Le dramaturge s’insurge contre la dictature spirituelle et le mensonge des hommes de Dieu qui « enferment chaque jour le peuple dans des croyances obscures et stupides, pendant qu’ils s’engraissent de nos erreurs » (P 94). Le personnage du prédicateur dans ce sens a un volume sémantique certain. Mais mieux, au-delà du Pouvoir divin, le dramaturge vise tous les pouvoirs politiques. Le pouvoir divin n’est-il pas le Pouvoir par excellence, le modèle duquel sont nés tous les pouvoirs humains ? Ainsi, Le Paradis infernal, œuvre iconoclaste, préfigure le combat inlassable, parfois agaçant, de Tiburce Koffi contre les dérives de tous les gouvernants ivoiriens qui se sont succédé. Rappelons que l’œuvre a été écrite en 1985. L’écrivain, dans sa vision, n’est seulement un démiurge mais une sentinelle dont le génie doit servir de contre-pouvoir au Pouvoir politique. Il faut lire et relire la pièce pour comprendre les prises de positions (auxquelles nous nous sommes souvent opposés farouchement) de l’artiste dans le débat politique. Sa soif est que « les dieux doivent reconnaître leurs erreurs »(P91). Le blasphème devient alors comme une voie, voire la Voie, pour pousser les dieux (les tenants du pouvoir politique) à assurer le salut de l’Homme. Pour cela il faut briser les idoles qui nous maintiennent dans l’obscurantisme. En parodiant les saintes-écritures, l’artiste traduit son mépris pour le dogmatisme stupide, la résignation stérilisante et la vénération aveugle. Briser les icônes est le prélude de la fécondation. Car le feu « brûle le corps, mais libère l’esprit qui régénère le corps. Telles sont les trois étapes vers la lumière et qui mènent à l’accomplissement de l’initié » (P67). Le salut de l’homme n’est possible que par l’acceptation de sa Mort en vue d’une Nouvelle Naissance. C’est d’une invitation au Refus, au Réveil, à et à la Conquête de la Vie qu’il s’agit.

Le Paradis infernal a un précieux mérite: l’œuvre a réussi le pari rare d’accomplir l’équilibre heureux entre la forme et le fond. En cela, la relève des grands Bernard (Dadié et Zadi),  les plumes monstrueuses de la littérature des planches en CI, est assurée. Le livre, cependant, ne perdrait aucune de ses plumes colorées quand bien même elle se serait débarrassée de ses nombreuses allusions lubriques. L’authenticité africaine nous impose la pudeur comme une valeur cardinale.  Dans tous les cas Le Paradis infernal est un grand livre, multiforme et riche en pistes de lecture.

 


ethimacaire@yahoo.fr




06/10/2011
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