LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

« John Koutoukou : Le Sida tue, et alors » de Benjamin Kouadio : Des bulles pour dénoncer et sensibiliser

L’efficacité de la bande dessinée dans toute entreprise de sensibilisation et de conscientisation n’est plus à démontrer. L’artiste Benjamin Kouadio nous en donne encore la preuve avec cet ouvrage de sa série humoristique « John Koutoukou».

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Le microcosme que nous peint le crayon de Benjamin Kouadio est un espace désespérant où tout semble, de prime abord, condamné au chaos et à la dégénérescence. La morale va à vau-l’eau ; les remparts spirituels sont rompus. Imaginez un monde où le sexe, sujet tabou dans l’Afrique traditionnelle, est désacralisé, profané. L’activité sexuelle, étalée au grand jour, occupe maladivement le quotidien des humains. Adultes et jeunes comme piégés par un esprit pervers s’adonnent à cœur joie au vagabondage sexuel. La belle Sita vend son corps à toute brise. Difouétê, « drageur devant l’éternel » veut épuiser tous les plaisirs faciles que lui offrent les chairs fraîches. Tant pis pour ses enfants et son épouse !

 

C’est dans cet espace de concupiscence que Benjamin Kouadio « dépose » son héros, John Koutoukou ; un artiste rêvant de pureté et de dignité. Ce dernier souffre de ne pas pouvoir s’accommoder au relâchement des mœurs qui sévit autour de lui. Comme un intrus, il ne comprend pas le milieu dans lequel il vit, et le milieu ne le comprend pas, non plus. Ses tentatives pour sensibiliser ne donnent pas les fruits escomptés. Il est hué, vilipendé, tabassé, chassé comme une peste. « Il faut faire quelque choses » répète-il pour traduire son désir d’arrêter la putréfaction morale. Heureusement que sa guitare lui donne l’occasion de se récréer. C’est seulement avec les plus petits, vêtus de leur innocence, qu’il retrouve la paix.

 

Mais l’inconscience ne peut aller sans conséquence. Commence alors pour les personnages de Sita et Difouetê une chute libre. Leur séropositivité déclarée, les voilà livrés à eux-mêmes. Plus que la maladie qui les « mange » à petit feu, c’est l’intolérance intransigeante des autres qui les cloue au pilori.

Cette bande dessinée de Benjamin Kouadio remet au goût du jour la problématique du Sida avec dans son sillage les préjugés, l’exclusion, les incompréhensions dont souffrent les victimes. Au passage le bédéiste stigmatise l’irresponsabilité des parents qui pour des raisons bassement matérielles livrent leurs filles à la prostitution. Il fustige par ailleurs ces hommes qui, en raison de leur aisance financière, se donnent le droit de crucifier leur famille au profit de leur soif libidinale.

 

Benjamin Kouadio une fois encore, avec des bulles suggestives, fouine dans les dédales de la société africaine pour mettre à portée d’yeux tous les « virus » qui la minent. Les mots, les formes, les couleurs en parfaite harmonie se conjuguent pour réveiller les consciences endormies sur la réalité du Sida. Y a-t-il espoir ?  La fin de  cet épisode avec John Koutoukou, le moralisateur, pourchassé suscite des interrogations et nous laisse dubitatif. La mort de Difouêtê et Sita, apparemment n’a pas donné lieu véritablement à un sursaut moral. Les hommes et les femmes ne veulent pas toujours entendre parler de préservatifs et d’abstinence. Benjamin Kouadio serait-il un artiste pessimiste ? Le Sida continuera-t-il donc sa trajectoire macabre ?  A notre avis, le créateur aurait pu nous offrir une autre fin, une fin qui « prend plus de mouches ».

 

La série « John Koutoubou », née à la fin des années 90 est revenue en librairie sous la forme d’une nouvelle trilogie : « Le Sida tue, et alors ? », « Abidjan est gâté » et « Quittons dans ça ».

 

Macaire Etty

 

Benjamin Kouadio, « John Koutoubou : Le Sida tue, et alors ? », Bd, éditions Eburnie, 2013

 

In Le Nouveau Courrier du 02 Mai 2014

 



07/05/2014
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