LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Les envahisseurs de Benjamin Kouadio : une satire sociale littérairement dessinée

Benjamin Kouadio  a publié chez L’Harmattan Bd un album intitulé « Les Envahisseurs ».  Dans sa création il associe l’humour et la satire d’une manière admirable. L’histoire qu’il accouche par le dessin et l’écriture  est un regard critique porté sur la société africaine.

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 Sika Saibon, comptable dans une entreprise, appartient, à la bourgeoisie citadine. Avec sa famille, il mène une vie d’aisance qui attire les convoitises des parents au village. Ces derniers forment une forte délégation et atterrissent chez lui armés de leur misère, leur avidité et leur méchanceté. Dans le groupe, les intentions des visiteurs indélicats ne sont pas les mêmes. La sorcellerie est aussi au rendez-vous. Il est question de détruire la famille de leur hôte pourtant si généreux. Benjamin Kouadio en narrant cette histoire réaliste flétrit le parasitisme, la sorcellerie et les légèretés des cadres africains.

 

La critique du parasitisme africain

 

Les parents qui envahissent Sika Sainbon le citadin brûlent d’envie de jouir de tout ce que la ville offre comme plaisirs. Leur  « fils » qui est comptable, serait le propriétaire « d’ une plantation d’argent». Autant se goinfrer et se saouler la gueule ! Leur quotidien est rythmé par des orgies, la buverie et des excès de table. L’intention qui anime les visiteurs indélicats est inquiétante et ils ne la cachent pas : « Si nous sommes ici, c’est pour en profiter au maximum même si c’est pour les appauvrir » avoue la seule femme du groupe. Les doléances qu’ils exposent à Saibon sont vertigineuses. Mais, lui attend bien les satisfaire.  Dans le peloton venu du village, se distingue négativement une dame, la tante du hôte prodigue. Sorcière déclarée, elle a pour projet de détruire le foyer et la famille de Saibon.  A l’aide des incantations et autres pratiques mystiques, elle réussit à déstabiliser la famille. Entre l’époux et l’épouse, la crise enfle. Percuté de toute part, Saibon use de moyens scélérats pour satisfaire les siens. Il échoue en prison pour détournement d’argent. Les envahisseurs devant la dégradation de la situation choisissent de retourner dans leur village. Il s’agit ici d’une part de stigmatiser le cynisme et le sadisme de tous ces parents qui comme des piranhas dévorent leurs « enfants » en service dans l’administration publique ou dans des entreprises privées. Et d’autre part de dénoncer la sorcellerie, un véritable poison de la société africaine. Si les coups de crayons de l’artiste « noircissent » les visiteurs, elles n’épargnent pas non plus le généreux hôte : Sika Saibon.

 

Sika Sainbon, victime complice et naïve

 

Le personnage central de l’album bien que victime des méchancetés des « envahisseurs » n’est pas exempt de reproches. Face à l’invasion des visiteurs incommodants, il est resté passif. Il n’a pas pu dès les premiers jours, avoir le courage de dénoncer l’attitude de ses « parents. Bien au contraire, il s’est cru en devoir de satisfaire leurs caprices et leur désidérata.  Comme le Roi Christophe, il est resté sourd aux mises en garde de son épouse. Il est allé jusqu’à la soupçonner de les détester. « c’est pas tes oignons » « je m’en fous » « j’en ai marre » sont autant d’expressions traduisant son état d’âme face aux préoccupations de son épouse. Pressé, stressé, aveuglé par le devoir de fils généreux et bon, il n’a pas pu garder la lucidité nécessaire pour décortiquer les faits et paroles des visiteurs. Alors que même les enfants ont pu se rendre compte des intentions lugubres de leurs hôtes, Sika Saibon est resté le grand naïf, le sourd et l’aveugle. En fin de compte, il porte une lourde part de responsabilité dans les malheurs qui ont frappé sa famille. Il peut être considéré comme l’archétype du fonctionnaire qui, par excès de zèle, se livre mains et pieds liés aux serres et engrenages de la famille africaine.

 

Les coups de crayons qui parlent

 

Où sont passés les géniteurs de Saibon ? L’absence des figures du père et de la mère suscite en effet des interrogations. En sus, l’attitude des visiteurs peut sembler, au lecteur, excessive. Mais la caricature a justement pour but de grossir les traits pour les rendre plus frappants. Par des images expressives, Benjamin Kouadio met en évidence l’aspect odieux et répugnant des « envahisseurs ».  Le lecteur rapidement éprouve envers eux mépris et antipathie. Les dessins que nous propose l’artiste sont en harmonie avec la trame de son ouvrage. Le goinfre est doté d’une bedaine parlante et la sorcière d’une unique dent furieusement singulière. Dans cet album, Benjamin Kouadio a réussi par l’image et le texte à donner à la caricature toute sa force satirique. La BD en tant que « littérature dessinée » peut être exploitée efficacement dans toute entreprise en faveur de la lecture dans une population où les lecteurs ne sont pas légion. A nos éditeurs et autorités de la culture d’œuvrer pour la promotion de ce genre artistique ! Vraiment important !

 

Macaire Etty

In LE NOUVEAU COURRIER du 26 juillet 2013

 

Benjamin Kouadio, Les envahisseurs, L’Harmattan Bd éditions, 2012.



28/07/2013
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