« Tel Que Je Suis » de Charles Nokan : Une autobiographie poétique et révolutionnaire
Les éditions Néi-ceda ont publié cette année 2012 une autobiographie d’un « monstre » des lettres ivoiriennes : Charles Nokan.
Le titre du livre se veut un engagement à se dévoiler, sans fard, ni circonlocution. Nokan semble vouloir refuser la complaisance, autant envers lui-même, autant envers tous ceux avec qui il a entretenu quelque commerce. Le nom de Nokan est bien connu dans les milieux littéraires, universitaires et politiques. Ce nom évoque la révolution, le refus de tout Ordre, le rejet des courbettes et des allégeances couardes. Ce Nokan est-il le même que celui du sujet de Tel Que Je Suis ?
Tout au long du livre, Charles Nokan démystifie Charles Nokan. Avec générosité. Avec passion. Ses péchés il les confesse. Ses manquements il les reconnaît. Ses choix il les assume. Ses succès il les revendique. Son parcours est palpitant. Avec des pauses brusques, des avancées inattendues, des virages dangereux, des hasards heureux, des audaces plaisantes. Sur son chemin, des crevasses souvent, des monts parfois. Mais rien n’arrête l’avancée de l’enfant de Yamoussoukro. « Le récit de ma vie est comme une rivière dépourvue d’îlots. Il coule sans coupure, se transforme en torrent » (page 7). Oui en torrent. Tourmentée fut sa vie.
Charles Nokan, ce sont des arrestations et des incarcérations. Et ce, dès l’école primaire ! Pas pour quelque scélératesse mais le plus souvent pour avoir dit Non ou refusé de plier le genou. Il a souvent maille à partir avec ses chefs hiérarchiques. Il a du mal à intégrer l’ordre politique de son pays et s’attire les flammes colériques du « Vieux », un parent proche sien.
Bien qu’issu de la famille du dictateur, il s’est refusé de le servir et de le subir. Il lui revenait d’entrer dans le « moule » du parti pour voir son chemin s’aplanir et son avenir luire, mais Nokan a choisi de servir sa conscience et ses convictions.
Charles Konan, est une boule d’audace et de persévérance. Son cursus scolaire débute avec difficulté. Placé dans un environnement austère, il connait la faim et la misère. Du secondaire au supérieur, rien ne lui est tombé du ciel. Il a toujours bu « au creux de sa propre main et non dans une coupe enchantée » (Alain). Ses études, ses avancées, sa maturation ont été des conquêtes, des combats épiques. Son départ en France en vue d’y poursuivre les études, à l’époque coloniale, relève d’un exploit digne d’un roman d’aventure. Au début des années 50, sans une bourse gouvernementale mais seulement avec l’aide de ses parents qui sont loin d’être pleins aux as, il réunit l’argent nécessaire et se jette dans un bateau, seul, pour la France alors qu’il était encore au premier cycle.
Charles Nokan, c’est aussi une âme sensible, amoureuse. De jeunes femmes peuplent son chemin et parfument son univers. Il aime les femmes des deux races, blanche et noire. Mais il épouse sa « parente » pour ne pas heurter les préjugés raciaux. Tel Que Je Suis est ouvrage qui se lit avec plaisir. Le personnage-sujet réunit les qualités d’un héros attiré par un Objet pluriel: Le savoir, la liberté, l’épanouissement.
Le livre frappe par son souffle poétique. Normal : l’autobiographe est poète. Il est sensible à la musique des mots, au rythme des phrases, aux images originales. La prose à maintes reprises épouse les « déhanchements » de la poésie. Sa cithare retentit sans interruption. Dans les dernières pages du récit de la vie du personnage, coule les laves heureuses d’une plume d’airain. L’évocation de la femme, de son village, de la France, de son état d’âme lui arrache des roucoulements miraculeux. « Le printemps titillait mon imagination…L’été ne tarda pas à poindre. Quand il écartait ses lèvres, ses dents sur lesquelles se reflétait un rai de soleil scintillaient » (page 80). L’ouvrage de l’académicien se veut également déclamation révolutionnaire. L’idéologie communiste est défendue bec et ongles. Sa vision politique est expliquée et justifiée. Malgré ses peines et ses déceptions, le poète garde espoir. Pour lui le peuple tôt ou tard entendra la trompette du réveil. Et alors, seul, sans gourou, il empruntera, d’un pas ferme, les sentiers de la liberté et de l’agilité.
Fondée sur une vie agitée et tourmentée, soutenue par une écriture lumineuse, cette œuvre ne verse que plaisir mâle et ininterrompu.
Etty Macaire
in LE NOUVEAU COURRIER du Vendredi 02 Novembre 2012
A découvrir aussi
- L’amour est un grand pleur de Tiburce Koffi : Au cœur du royaume de Venus
- « Porteurs d’espoir » de Sery Bailly/ Le Maître entre la critique et l’hommage
- « On N’échappe Pas à l’Amour » de Lusiano N’Dohou : Le cœur a toujours été plus fort que la raison
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 284 autres membres