« Porteurs d’espoir » de Sery Bailly/ Le Maître entre la critique et l’hommage
La publication d’un livre de Séry Bailly est toujours un événement hautement intellectuel. Le professeur est certainement l’une des voix les plus porteuses et les plus régulières parmi quelques unes qui se battent pour maintenir éveillés les Africains pris dans le tourbillon de la vie. « Porteurs d’espoir, Itinéraires d’intellectuels » son dernier-né se veut un hommage à dix intellectuels, deux femmes et huit hommes.
« La nation ivoirienne…a besoin de héros. Ce sont soit des politiciens, des sportifs, des artistes ou des acteurs économiques. Dans leur rang doivent figurer des intellectuels. En effet, dans le domaine de la pensée (…) nous avons besoin de repères, de leaders » (p 11). Tel est le sens du titre de l’œuvre. Elle est un recueil de textes-hommages. En vedette, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et les Ivoiriens Dailly Christophe, Niangoran-Bouah, Coulibaly Yédiety, Benié Tanoh, Harris Memel Fotê, Bathélemy Kotchy-N’guessan, Simone Gbagbo, Angèle Gnosoa et Laurent Aké-Assi. En même temps qu’il brosse le portrait de ses « héros » de la pensée, il déploie une réflexion critique sur leur parcours, leurs choix, leurs attitudes. Retenir, par une alchimie toute personnelle et subjective, des « héros » parmi tant d’autres qui peuplent nos mémoires est un projet à haut risque. Il y aura toujours dans ce type d’exercice des choses à dire, à redire et une occasion à médire. Il ne s’agit pas de disputer une primauté mais de proposer des portraits susceptibles de ne nous nourrir, de nous rassasier, de nous tenir en éveil. Face aux mille raisons de désespérer de l’Afrique, Sery Bailly nous invite à garder espoir. Car malgré la déchéance des valeurs, dans le brouillard scintillent encore des étoiles. Les intellectuels décrits ici ne sont pas des saints. S’ils suscitent et nourrissent les controverses, c’est parce que justement, ils ont refusé la tranquillité et le conformisme. Souvent, ils ont ramé à contre-courant. Souvent ils ont brisé des icônes. Mais le plus important pour l’auteur c’est de mettre en valeur le versant le plus brillant de leur personnalité et tirer de leur vie mouvementée, le nécessaire levain de notre élévation intellectuelle.
Par delà ces portraits, se révèlent à nous la vision et la lecture de l’auteur de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique, avec leur cortège de contradictions, de complexité, de coups d’arrêt et d’accélération. Le combat de l’intellectuel n’est-ce de décrypter les signes du temps afin que le peuple éclairé, puisse faire des choix pour l’avenir ? En cela l’auteur lui-même s’affirme comme un « porteur d’espoir ». Plus on suit sa manière de nous conduire sur les traces de ces intellectuels, plus on se surprend à admirer l’auteur lui-même. Le porteur d’espoir a pour fonction de penser sa société pour la panser, de produire des idées et les offrir comme des voies. En cela l’auteur est lui-même « un porteur d’espoir ». Dans une Côte d’Ivoire envoûtée par la politique politicienne, Sery Bailly, par ce livre, vient nous secouer de notre torpeur, de notre passivité. « Si nous ne nous mettons pas en selle, aucune chevauchée n’est possible » nous conseille-t-il à la page 23. Séry Bailly qui l’a compris nous invite, par ses saillies, à refuser l’inertie pour devenir tourbillon. Pas pour détruire mais pour danser. Danser dans le sens de quêter le beau et le bien.
Le livre de Séry Bailly est peuplé de références onomastiques, littéraires et mythologiques. Il déborde également de renvois bibliographiques mettant à portée de nos yeux le savoir encyclopédique du maître. Le français populaire ivoirien et le nouchi sont présents dans la sauce. Le savant par cette piste veut nous montrer que nous devons assumer notre part dans l’enrichissement de la langue française. L’écriture de Séry Bailly n’est pas une forteresse lexicale et sémantique, encore moins un dédale ésotérique où le lecteur peut s’égarer au bout de deux paragraphes. Elle tisse par des mots de tous les jours des phrases dégoulinant de sens. Les citations et les comparaisons se succèdent comme pour donner plus de crédit à ses réflexions. Piochant dans les lettres anglophones et francophones, Sery Bailly étale la richesse et la complexité de sa culture. Il a un sens incroyable de la formule. Chacune de ses idées est comprimée et exprimée de manière frappante et expressive.
Ce recueil d’hommages, loin de faire de son auteur un laudateur complaisant, traduit sa grande humilité. Car ce n’est pas tout le monde qui accepte de parler des qualités des autres d’autant plus que la calomnie et le dénigrement sont des choses les mieux partagées.
Etty Macaire
Porteurs D’espoir, Itinéraires d’Intellectuels, L’Harmattan-Côte d’Ivoire, 2013
in Le Nouveau Courrier du 13 Septembre 2013
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