L’amour est un grand pleur de Tiburce Koffi : Au cœur du royaume de Venus
S’il y a un genre dans lequel Tiburce Koffi excelle, c’est bien la nouvelle. A la publication de « Terre de Misère » la critique salua le recueil avec enthousiasme. Puis suivit « L’embarras de Dieu » un autre recueil de nouvelles dont l’éclat et la profondeur charmèrent plus d’un lecteur. Avec « L’Amour Est un Grand Pleur », il signe son troisième recueil avec un titre qui fait bondir les cœurs romantiques.
Par son caractère impitoyable, par son allure sentencieuse, ce titre crie d’emblée le désir de Tiburce Koffi de balayer les préjugés liés à l’idée de l’amour. L’amour serait-il synonyme de plénitude ? La réponse de Tiburce semble être négative. En parcourant ses nouvelles, on en arrive à dire avec lui que l’amour est loin des mythes et autres historiettes qui le présentent comme un état d’extase éternelle. S’il est vrai que l’Amour couronne, il aussi vrai qu’il crucifie (Khalil Gibran).
Dans la première nouvelle « Le ticket de la délivrance » Jacques et Eliane après la venue au monde de leur deuxième enfant voient leur foyer se désagréger. Ils ne connaissent plus la magie de l’acte sexuel. Aux escapades de l’époux répondent les infidélités de l’épouse. Puis surgit un enfant adultérin. Et enfin le divorce comme le signe de l’échec de l’amour et du mariage. De la deuxième nouvelle «la grande correction » à la dernière «Pleurer d’Amour », Tiburce nous peint en couleurs clair obscur les mystères de l’amour. Dans ces récits, les personnages se battent pour tirer, le plus souvent en vain, de ce sentiment toute sa saveur. Aline Kla aime Georges mais ce dernier est marié et n’est pas près de divorcer d’avec son épouse et la marier comme il le lui avait fait croire. Georges ne retrouve son équilibre qu’en partageant sa vie entre ses deux femmes. Les deux dames, l’épouse (mme Nouantê) et la maîtresse (Maimouna) qui s’invectivent dans « La guerre des pagnes » sont loin d’être des personnes heureuses. Adémola de « Pozo » et Ama de « …Blusy ! » sont en quête respectivement de reconnaissance et d’amour. Alors que le premier est furieusement humilié, la seconde, doit accepter de laisser partir son amant, un saxophoniste talentueux et mystérieux sans être rassurée du lendemain. Mais l’amour n’est pas seulement supplice. La dernière nouvelle « Pleurer dd’Amour » vient à contrepoids atténuer les ombres. La lumière prend place. Une rencontre hasardeuse d’un journaliste et d’une étudiante prostituée sous une pluie battante dans le studio de la dernière donne lieu à un tableau idyllique où l’amour s’offre comme une fleur enchantée. Si l’Amour est un long sanglot, il est et peut être aussi rire gras, peut-on dire, soulagé.
Ce recueil, à l’analyse, est une exploration du cœur aimant, peint ici comme un lieu de tourments et de contradictions. Aimer est un bonheur. Aimer est aussi un chemin de croix où ricanent des épines. Certaines pages se présentent comme de véritables révélations sur des aspects méconnus du cœur aimant. Tiburce va au fond des choses. Chaque problème abordé, l’est minutieusement. Sa prose ne se contente pas de narrer ; elle explique, elle décortique.
« L’Amour est un Grand Pleur » apportera sûrement du bonheur à toutes les lectrices ivoiriennes qui n’ont pas apprécié le traitement qu’Ademola, l’anago, a administré à Majok dans « L’Embarras de Dieu ». Leur soif de vengeance se trouve, ici, grâce à la magie de l’écriture étanchée.
« L’Amour Est un Grand pleur » est, il faut le reconnaître, un ouvrage littéraire bien écrit comme on le trouve très peu ces dernières années. Le style de Tiburce est suave et plaisant. Sa plume, exercée, manie les adjectifs avec une virtuosité inégalée. Sa prose se veut ciselée, émotive et lyrique. Et la nouvelle « …Blusy ! », apparaît comme un chant poétique célébrant en une polyphonie heureuse l’Amour. L’une des forces de l’auteur, c’est la rigueur avec laquelle, il use de la ponctuation comme l’exige le Bon Usage. Chaque virgule, point virgule et deux points sont là où il faut. Rigoureusement, sans fantaisie ni complaisance.
L’humour de l’auteur et sa maîtrise de l’art de la description des scènes érotiques ou charnelles achèvent de donner à ses récits une élégance formidable. Des pages, comme c’est le plus souvent le cas chez Tiburce, sentent le fagot. L’artiste se laisse aller à des vocables et des expressions crus, voire « libérés ». La pudeur du lecteur se trouve souvent blessée sans retenue. Du Tiburce Koffi comme on le connaît ! Et celui qui a lu « L’embarras de Dieu » ne peut qu’aimer davantage, et pour sûr, « L’Amour Est Un Grand Pleur ».
ETTY Macaire
Tiburce Koffi, L’Amour Est Un Grand Pleur, frat mat éditions, Abdjan, 2012
in Le Nouveau Courrier du vendredi 3 Mai 2013
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