LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Seinabou ou le miroir de la conscience collective

Communication à l’occasion de la dédicace de l’ouvrage

Jeudi 4 juillet 2013

Abidjan, Plateau

 

Roman au carrefour du récit initiatique et de la narration historique, « Seinabou, la conquête de la liberté » paru aux éditions Sesames, à Abidjan, en novembre 2012, est un livre de Benjamin Irié. L’œuvre comporte 186 pages et dresse la fresque d’une nation, celle de Toukouzou, prise dans la nasse des soubresauts de l’histoire. Par-delà la bourrasque à laquelle sont confrontés les habitants du pays de Toukouzou, c’est dans le destin particulier d’une famille, celle du Chef Zaduo et de son épouse SeinabouToubouilou que l’on trouve les lignes directrices de  la trame du roman.


Comment Benjamin Irié parvient-il à faire de son héroïne, Seinabou, une métaphore de la conscience et de la recherche pacifique  de la liberté ? Comment l’auteur arrive-t-il à faire de cette veuve une figure de la conscience collective ?

C’est sans doute en donnant à Seinabou les traits d’une femme habitée par le souci de changer le sort malheureux que lui avait avaient fait des circonstances dramatiques de l’histoire collective et individuelle. C’est ainsi que Seinabou devient miroir de la conscience collective en élevant sa pensée  au niveau de norme « validatrice » de l’identité.

Le paradigme du miroir de la conscience se ramifie chez Seinabou en trois pistes que sont le miroir de la féminité militante (1), miroir de la conscience politique et sociale et enfin comme conscience pacifiste. Ces trois positions, elle entend les faire partager à la collectivité. Collectivité, familiale, collectivité villageoise, Collectivité régionale, collectivité nationale, voire continentale.

Examinons pour l’heure, l’image de Seinabou, comme figure de la conscience féminine

 

I.  Seinabou comme conscience de la féminité militante

 

Pour comprendre cet aspect des choses, peut-être faut-il savoir que Seinabou est une veuve, ex-épouse d’un Chef du nom de Prince Zaduo, mort, dans des circonstances non élucidées. Propulsée au-devant de la scène familiale par la disparition brusque de son époux, elle doit faire front, afin d’assumer seule, les charges de l’éducation des cinq enfants du ménage. Alors que certaines femmes se seraient effondrées dans le malheur, cette sexagénaire décide, comme la Grande Royale de Cheick Hamidou Kane d’envoyer ses enfants à l’école des blancs, afin qu’ils apprennent, comme le disait l’auteur de  L’aventure ambiguë  «  l’art de vaincre sans avoir raison ». En plus de conduire d’une main de maitre ses enfants Seinabou affirme son militantisme féministe en organisant les femmes de sa région en syndicat. A la page 21 de l’ouvrage, l’on peut en effet lire les mots suivants : « Seinabou avait organisé les femmes de sa région en syndicat. Il fallait s’armer contre le, myriapode de la fiscalité ; surtout que l’administration est un ogre orgueilleux et vorace. Elle broie dans sa matrice énergivore les plus légitimes revendications des contribuables ».Mais le militantisme féministe de Seinabou se retrouve aussi dans le propos transversal qu’elle délivre ses enfants au soir de sa vie. Parole investie d’un présupposé judéo chrétien, le credo féministe de Seinabou présente la femme comme la voie du salut pour l’humanité. Seinabou affirme ainsi aux pages 135   et je cite :

« Femme toi qui donne la vie

Toi qui transmets l’éducation

Procède autrement qu’Eve

Consomme cette fois-ci le fruit de vie,

Alors tu révéleras la voie du bien ».

Dans la perspective de Seinabou la femme a un rôle essentiel à  jouer dans la moralisation du monde. Ce rôle l’héroïne l’assigne à sa propre fille et par-delà elle, elle l’assigne à toutes les femmes de l’humanité. L’héroïne aurait pu se contenter de jouer seule le rôle de figure rédemptrice de la femme, mais voici que sentant sa mort prochaine, elle entend faire de sa  fille l’héritière du combat rédempteur des femmes. En tant que conseillère, elle se fait donc miroir, puisqu’elle ramène ses interlocutrices à une action de l’image répercutée. Son modèle est donc candidat à la reproduction auprès de celles qui l’écoutent en qui restent de potentielles continuatrices de son action bienfaitrice.

Mais si Seinabou est un miroir de la conscience collective, c’est aussi parce qu’elle garde un esprit critique en face des divers gouvernements qui se succèdent à la tête de Toukouzou. Son rapport au pouvoir n’est pas mû par une admiration benoite. Seinabou n’est-elle pas ainsi une image de la conscience  de la critique  sociale et politique

 

 

II. Seinabou comme conscience  de la critique  sociale et politique

 

Depuis à son accession à l’indépendance, la terre de Toukouzou a vu se succéder au pouvoir cinq régimes politiques. Le premier de ceux-ci est celui des « Inconditionnels ». Il est incarné par le Président Douba décrit par  l’auteur comme ayant été « un habile négociateur » doublé d’un « héros de la lutte anti-coloniale »[1]. Comme le hasard sait bien fait les choses, Douba est mort, selon l’auteur, « le sept décembre mil-neuf-cent-quatre-vint treize »[2].  Le deuxième régime qui émerge à la suite de celui de Douba est incarné par un homme GrahLeiyi, un proche du président qui prendra la succession du Président Douba. Un troisième régime intervient. Il est mené par un militaire au nom bien indicatif deSodjaAmanzan. A SodjaAmanzansuccedera Dally décrit par l’auteur comme « le maitre à penser de l’opposition ». Dally Manego  sera aussi, nous dit l’auteur le chef des « Innovateurs ».  Même si le livre n’aborde pas ouvertement le cinquième des règnes de Toukouzou, il est abordé en filigrane car l’auteur fait remarquer à la page 39 du livre : «  Les fils et les filles de Toukouzou se divisèrent et se rangèrent aux côtés de Moctar Douby, ancien administrateur du palais de Douba, GrahLéiyi et SodjaAmanzan pour la conquête du pouvoir ».  Il y a donc un cinquième protagoniste, à savoir Moctar Douby, qu’il faut verser à la liste des dirigeants politique jouant le destin de Toukouzou.

Mais quel rapport entretient Seinabou Toubouilou avec chacun de ses dirigeants ? Se laisse-t-elle porter par l’admiration benoite et la contemplation inconditionnelle ? Non Seinabou Toubouilou, en tant que conscience critique et miroir de la conscience collective, entretient un rapport critique avecchacun de ces pouvoirs. A tous ces différents régimes elle adresse une critique constructive. Même quand elle choisit de collaborer avec un tel ou tel autre pouvoir, sa conscience critique reste en éveil et en alerte.

Contre le régime du Père de la lutte anti coloniale Seinabou Toubouilou énonce une critique de complicité avec l’occident. Bien que l’opinion publique perçoive le Président Douba comme le héros de la lutte anti coloniale, le regard original de Seinabou la conduit dépasser les sentiers battus. Elle pense que le président Douba est complice de l’occident dans l’assassinat qui a coûté la vie à son époux. A ce sujet l’auteur souligne : « Seinabou accusa le Président  Douba et ces blancs de complicité. Les travailleurs pour la plupart de Droh ne pouvaient tuer Prince Zaduo. C’est un complot exécuté par ces hommes blancs. Pourquoi Douba n’avait-il pas réagi suite à cette mort tragique d’un chef de surcroit ».

 

En plus de la critique que Seinabou énonce contre le Président Douba elle a un regard tout aussi critique sur ses partisans. Ce regard s’exprime dans la dénonciation des actes nocifs qu’elle croit lire dans la politique des « Inconditionnels ». Elle critique ainsi le deuxième régime, celui de Grah Léiyi qui succède au premier président Douba.

Dans un entretien avec Dally Manego, le chef de l’opposition, Seinabou Toubouilou, conscience critique de son temps énonce les mots suivants :

« - Dally mon fils (…) depuis l’assassinat de mon époux, j’ai accusé les Blancs du malheur de notre peuple. Maintenant regarde un tant soit peu ce que fait Grah Léiyi à ses propres frères. Aucune raison ne peut justifier ce comportement exécrable. Mes parents sont opprimés par le pouvoir. Et là, ce ne sont plus les Blancs. Ce sont mes propres partisans, les Inconditionnels ». En clair Seinabou accuse le deuxième régime de réprimer ses propres partisans. Mais en présenter les choses de cette façon, l’interlocuteur de Seinabou estime qu’elle tend à exonérer le pouvoir du premier Président, faisant peser sur son seul successeur la cause des dysfonctionnements constatés. Son interlocuteur qui n’est personne d’autre que Dally Manego, alors leader de l’opposition  aura une réplique cinglante : « - Mère, tu es réveillée parce que cet orgueilleux de Grah Léiyi réprime les tiens. Moi, je dis que c’est la continuité du pouvoir de Douba. Grah Léiyi et Douba, c’est pareil. Douba exploitait le peuple avec diplomatie. Il égorgeait sans faire couler le sang. Il avait le don de dissuader ses ennemis. Mais, sache aujourd’hui que le pouvoir, chez nous, à Toukouzou est celui des Blancs de Flanci. Nos dirigeants ne sont que des pantins dans leurs mains. Tu as toujours en face de toi les Blancs ». Qu’à cela ne tienne, Seinabou en tant que conscience critique relativise le propos du chef de l’opposition : « - Dally ! Certes les Blancs sont la cause de nos malheurs mais dans ce cas-c, ce ne sont pas eux qui ont demandé à Grah Léiyi  de tuer ses propres frères. ».

 

Or, bien qu’elle semble avoir été en phase avec Dally Manega, elle ne restera pas dans l’admiration benoite lorsque celui-ci parviendra au pouvoir. En effet quand Dally Manego arrivera au pouvoir à la suite du militaire SadjaAmanzan, Seinabou saura aussi garder son sens critique se plaçant toujours du côté du peuple.

La position critique de Seinabou prend une forme plus concrète. Alors qu’elle aurait pu négocier une entrée au sein du système politique de Dally qu’elle connaissait pour l’avoir rencontré, Seinabou prend une position, on ne peut plus claire : elle crée un parti politique. Bien qu’elle ait été par le passé du nombre des inconditionnels et bien qu’elle ait rencontré jadis Dally Manégo, parvenu entre temps au pouvoir, elle s’éloigne des deux pôles du pouvoir, ancien et nouveau. Elle crée le Parti pour le Renouveau de Toukouzou (RPT). Sa posture est peu aisée mais elle décide faire front. En effet, les Inconditionnels des rangs desquels elle est issue ne ménage aucune circonstance pour être incendiaire envers elle. L’auteur fait remarquer à ce propos que « Les ‘ inconditionnels’ à qui elle faussait compagnie se retournèrent contre elle. Les journaux proches de leur bord politique et idéologique la présentèrent comme une traitresse… ».

 

Mais pourquoi Seinabou ne se joint elle pas aux ‘innovateurs’ dont le chef semble avoir une vision claire de la lutte à mener contre l’oppression néocoloniale ? La réponse est sans doute dans la description que fait ici l’auteur et je cite : « La plupart des innovateurs qui profitaient de la guerre en s’enrichissant de façon illicite, foulaient aux pieds l’idéal de la lutte pour le changement (…) Si le programme de gouvernement des ‘innovateurs’ s’adaptait au temps, ils étaient incapables de dominer leur penchant : le goût du luxe et leur appétit mondain. L’on se demandait s’ils ne se rachetaient pas de plusieurs années passées dans l’opposition à combattre les ‘Inconditionnels’ (…) Dally était à la barre, mais affaibli par le comportement malsain de ses pairs. Cependant le peuple, surtout la jeune génération, consciente de la réalité de l’enjeu de la crise de Toukouzou soutenait Dally Manego, le symbole de la lutte patriotique… ».

 

Mais quel regard jette Seinabou sur Sodja Amanzan  et Moctar Douby, les autres protagonistes de la lutte de succession au premier président Douba ?

Sur le premier le Regard de Seinabou est sans appel. Elle affirme : «  Sodja m’a trahie. Il m’a trahie (…) il a tué ses propres frères pour le pouvoir. Dis-moi si on doit, pour de l’argent, commettre pareil crime ». A propos de Moctar Douby, Seinabou n’a pas le temps d’exercer son œil critique car au moment où il arrive au pouvoir elle a déjà atteint les rives de l’éternité. Peut-être faut-il alors s’en tenir au regard du narrateur pour comprendre le regard critique qu’aurait posé Seinabou sur l’avènement et le règne de Moctar Douby. Voici comment le narrateur campe la scène d’avènement de Moctar Douby : « La crise politique atteignit son paroxysme avec l’organisation des élections présidentielles à Toukouzou (…) Et toute l’attention de la société se porta sur la course au pouvoir. Cela attisa tellement la haine que les ‘inconditionnels’ et les ‘innovateurs’ prirent les armes pour s’entretuer au nom de la démocratie. (…) Moctar  Douby accéda au pouvoir. Quant à Dally Manego, il fut fait prisonnier et déporté au pays des Blancs. A la face du monde, Dally Manego jura à ses partisans qu’il ira jusqu’au bout. Ceux-ci lui promirent de maintenir la flamme de la résistance… ».

Mais si l’on opère une lecture à rebours de la vie de Seinabou, l’on se rend bien compte que l’affrontement armé n’était pas son idéal.  Son idéal n’était-il pas tourné vers la paix et la quiétude entre les hommes de Toukouzou ?

 

III. Seinabou comme conscience pacifiste

 

La conscience collective, comme lieu de réflexion en vue d’une moralisation de la société, s’affirme chez Seinabou, par une quête résolue de la paix entre les hommes. La paix constitue l’un des idéaux par lesquels la veuve du Prince Zaduo se révèle comme une conscience au service de  la collectivité. Cette quête de paix, passe chez Seinabou par « l’assimilation de l’amour divin »[3]. Si la veuve du prince Zaduo est à l’origine dominée par la haine et le souci de vengeance, elle est devient par la suite une adepte de la non-violence. Les épreuves qu’elle vit deviennent pour elle, un parcours initiatique lui permettant d’accéder à l’élévation spirituelle. Parvenue à ce niveau de hauteur métaphysique, elle prône la grandeur de la paix et prêche les valeurs de réconciliation et d’amour du prochain. A ces enfants, qui sont en proie à la querelle elle prêche la concorde. Sur un ton  quasi christique elle signale aux siens : «  Je vous ai donné le jour comme des melons. Ayez de la saveur et les rois qui  vous auront sur leur table de festin se réjouiront à votre sujet. Ne devenez pas de la paille qui flambe à la moindre étincelle. Menez de bonnes actions afin d’être utiles aux autres quand m’engloutira le fleuve de la mort ».[4]

 

Conclusion

 

Seinabou est un miroir de la  conscience collective, car le combat qu’elle mène est celui de la délivrance collective. Ce ne sont pas ses intérêtspersonnels qui la guident mais ceux de la communauté. C’est ainsi qu’elle passe de la lutte régionale à la lutte nationale, puis de la lutte nationale à la lutte continentale. Elle est habitée par un profond idéal collectiviste qui la fait aimer la cause du peuple et la pousse à organiser les opprimés en vue de leur libération économique et politique. Même quand elle sent venir sa fin, elle invite son fils à tenir le flambeau de l’idéal qui caractérise son rapport à l’existence.  Son idéal est certes un idéal de transformation, mais c’est avant tout un idéal d’unité, de réconciliation et de paix.  Qui donc, mieux que Wassa, le fils de Seinabou exprime au mieux l’idéal de sa mère Seinabou ? Dans un hommage posthume que rend le fils à la mère,  Wassa magnifie l’Amour et l’unité, gages de résurrection de la terre balafrée par la haine et la discorde :

«  Fils et filles de Toukouzou !

Fils et filles de l’Afrique !

Fils et Filles des peuples opprimés

Ayez donc de l’espoir.

Moi, Wassa !

Etoile filante, en avance sur le temps.

Je tiens ma cora pour chanter

La liberté des peuples bâillonnés

La liberté des peuples incarcérés

La liberté des peuples opprimés.

Moi Wassa !

Je tiens ma cora pour chanter

L’unité des enfants déchirés

L’unité des consciences désunies

L’unité de la terre première

Je chante la liberté

Je chante l’unité

Je chante l’amour

Je chante la vie »

            

 

[1]Page 8

[2] Idem

[3] P.134.

[4] P.116.


Josué Guebo

Président de l'Aeci



07/07/2013
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