LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Au-delà de « c’est idiot d’aimer » d’Oumar N’Dao : le masque de meursault

 

Apres avoir lu le recueil de nouvelles d’Oumar N’Dao, « C’est Idiot D’Aimer », Sylvain Takoué, écrivain et critique littéraire ivoirien s’est voulu s’intéresser au thème de l’amour que lui inspire ce livre. Une brève réflexion qui va effaroucher tous les partisans de l’amour parfait.

 


 

 

"C'est idiot d'aimer". C'est le titre du petit recueil de quatre nouvelles que nous propose de lire le nouvelliste ivoirien Oumar N'Dao. Autant dire un bréviaire du mal-être d'amour, ou un abécédaire des intrigues d'amours rongées, ou encore un syllabaire des vices d'amour... Bref, la chose est simple à décrire: mise en scène sado-masochiste de quelques personnages lyriques pris au piège de l'amour masqué, cagoulé, qui les vide des réalités romantiques illusoires et conduisant à la souffrance, au mal-être, à ces blessures morales si peu enclines au pansement des plaies invisibles mais présentes.

 

C'est une petite fresque roturière dont le thème, cependant, rappelle le personnage de Meursault qu'Albert Camus peint dans son roman "L'Etranger". Et le commentaire que j'en fais commence par soulever cette question fondamentale: est-il possible de vivre, dans notre société humaine, sans ce masque qui cacherait aux autres notre véritable identité? Meursault, lui,  n'avait pas voulu porter de masque. Il avait voulu, au contraire, vivre tel que sa "nature" le lui dictait, c'est-à-dire en homme qui ne se désole devant rien, qu'aucun évènement ne bouleverse, qui ne vit pas, comme les autres, dans les élans sulfureux et émotifs du sentimentalisme. La preuve: la mort de sa mère âgée qu'il avait placée à l'asile des vieux de Marengo, l'arabe qu'il a tué, un dimanche, par légitime défense sur la plage, "ébloui" par les reflets du soleil qu'il avait en plein dans les yeux, les absurdités mondaines et amoureuses que vivait avec passion et frénésie son ami Raymond et qui happaient tant les autres, etc., n'avaient pas réussi à le faire "plier", puisqu'il n'éprouvait, dans son for intérieur, aucun sentiment, aucun ressentiment devant ces épreuves et situations qui auraient fait vivre à d'autres des émotions fortes de douleurs, de regrets, d'afflictions ou de passions. Cela a suffi pour que Meursault soit jugé "inhumain" par la société, pris pour quelqu'un qui n'avait pas de cœur, parce qu'il fumait le jour de la veillée funèbre de sa mère...

 

Et nous y voilà, avec ce thème, celui de l'amour, qu'aborde le nouvelliste Oumar N'Dao dans son recueil "C'est idiot d'aimer". Y a-t-il sincérité en la matière? Les scènes ou situations d'amour que nous vivons, tous, ne sont-elles pas factices? La société, qui aime tant les conformismes béats, ne nous oblige-t-elle pas à porter un masque à la couleur de cet "amour" qu'il nous faut à tout prix exprimer à l'autre? L'idiotie n'est-elle pas, finalement, le nom même de ce masque que chacun porte pour "aimer" l'autre du sexe opposé?

 

L'homme peut-il prétendre aimer une femme sans désirer autre chose d'elle? La femme peut-elle prétendre aimer un homme sans désirer autre chose de lui? Ne se joue-t-on pas la "comédie humaine" les uns à l'égard des autres en matière d'amour? L'amour vrai existe-t-il? Les soucis de cœur, les souffrances d'esprit, les tortures morales que les uns font subir aux autres, pour raison d'amour, ne sont-ils pas la preuve que chacun avance vers l'autre, certes, avec le masque coloré de l'amour "parfait", mais en portant en lui tous les penchants sado-masochistes possibles et imaginables et qui sont autant de vices dont nous sommes tous doués? 

 

A vrai dire, nous sommes tous happés par la ventouse de l'amour imaginé parfait au début, et emportés par la suite dans la spirale vertigineuse du cercle vicieux de l'amour de cœur. Nous sommes tous des tortionnaires, hommes et femmes, dans le supplice des amours illusoires où chacun est livré en pâture à l'autre pour laisser faire des imaginations irrationnelles qui nous ramènent sur terre, comme Icare de la mythologie, passé le temps où l'on ment amoureusement à l'autre. Et le nouvelliste Oumar N'Dao ne nous montre, dans son livre de nouvelles, que quelques aspects abjects de ce que nous sommes véritables les uns à l'égard des autres: des êtres cruels portant le masque de l'amour, des loups portant le pelage de l'agneau, une main de fer dans un gant de velours.

 

Sylvain Takoué,

Ecrivain, Critique littéraire

Contact (225) 58 30 40 00.

 



24/02/2012
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