LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

RENCONTRE AVEC SERGE BILE

Serge Bilé est journaliste et écrivain ivoirien. Installé depuis des années en Martinique, il a réussi par son talent et sa pugnacité à s’imposer comme un intellectuel incontournable dans tous les débats qui concernent l’Afrique. Avec une régularité extraordinaire, il creuse l’histoire du continent pour révéler des vérités enfouies. Il a bien voulu nous entretenir sur son travail…

 


 

Quelques mots sur votre dernier livre Sombres Bourreaux…j’avoue que  je ne l’ai pas encore lu.


C’est un livre sur un aspect méconnu de la seconde guerre mondiale. Ça parle de civils et soldats noirs qui ont choisi de se ranger du côté d’Adolf Hitler. C’est hallucinant, mais c’est hélas la vérité. Quelques égarés africains, antillais, ou encore réunionnais, ont collaboré avec la Gestapo et même combattu avec la Wehrmacht. J’essaie, à travers ce livre, non seulement de raconter ces parcours individuels, mais aussi de comprendre comment ces opprimés de l’époque, victimes du racisme nazi, ont pu basculer pour prendre fait et cause pour leurs oppresseurs.

 

Combien de livres comptez‑ vous aujourd’hui ? Qu’ont‑ils en commun ?


J’en ai publié une dizaine. Ils ont en commun de parler de l’Histoire, d’évoquer des thèmes qui n’ont quasiment jamais été abordés, et d’explorer le monde noir, sous toutes ses formes.

 

Par vos œuvres ont peut dire que depuis plusieurs années vous semblez être préoccupé par le passé de la race noire…une véritable obsession.


Non, c’est un intérêt. J’aime le continent dont je suis issu et la diaspora qu’il a engendrée, malgré lui, dans la douleur. C’est un monde multiple et extraordinaire, qui regorge de tant d’histoires méconnues. Et, comme je ne suis pas homme à compter sur les autres pour explorer tout ça, alors je le fais moi-même. Le jour où nos enfants connaitront notre Histoire, plurielle et étonnante, aussi bien que celle des autres, et seront de ce fait mieux armés pour prendre toute leur place dans ce monde, alors je pourrai passer à autre chose.

 

L’Afrique est confrontée chaque jour à des défis et vous vous semblez vous arc-bouter sur son passé. Que recherchez‑vous ?


Moi, comme chacun sait, je m’intéresse à l’Histoire et donc au passé. C’est ma nature. C’est ma passion. Vous ne me changerez pas. Dans toutes les sociétés, il y a des gens, et par conséquent des écrivains, qui ont des centres d’intérêt différents. Et, c’est la somme de tout ça, qui créé la richesse culturelle et offre un héritage fort aux générations suivantes. D’autres, plus qualifiés que moi ou plus intéressés que moi par l’aujourd’hui, peuvent écrire sur tout ce qui fait l’actualité de l’Afrique et du monde. Une actualité que je traite néanmoins, comme tous mes confrères, au quotidien, à travers mon métier de journaliste. Alors, de grâce, qu’on me laisse faire ce qui me plait avec mes livres !!

 

La résurrection de notre passé peut‑elle véritablement avoir une influence positive sur notre futur ?


Encore faut-il déjà le connaitre. Et c’est en cela que mes livres sont utiles, parce qu’ils contribuent, comme d’autres, à apprendre ou réapprendre ce passé, dans un style journalistique abordable, tout en s’appuyant sur des archives incontestables. Cela dit, pour répondre à votre question, oui, la connaissance du passé peut aider à comprendre le présent et à envisager le futur. C’est une vérité.

 

Votre livre Quand Les Noirs Avaient Des Esclaves Blancs continue de susciter des débats. Ces esclaves, selon certains, étaient des berbères et des arabes et non des Blancs d’Europe. Le titre de l’ouvrage n’est‑il pas trompeur ?


Je suis toujours surpris d’entendre des gens parler de livres qu’ils n’ont pas lus. S’ils avaient lu ce livre, ils ne soulèveraient pas ce genre de débats. Tout y est dit clairement et le titre est le reflet de ce qui est écrit dedans. Il faut arrêter de voir le monde d’hier avec nos yeux d’aujourd’hui.

A la lecture de ce livre, on ne peut s’empêcher de se demander…pourquoi l’Afrique si prestigieuse par le passé est‑elle arrivée à connaitre une telle déchéance ?

Je n’ai pas la réponse, parce que je ne me sens pas qualifié pour cerner tout ce qui a conduit à cette déchéance, comme vous dîtes. Ce qui m’intéresse c’est d’exhumer les archives pour dire comment étaient les choses à telle ou telle époque. Après, il appartient à d’autres d’en tirer les conclusions. Apprenons à faire bien ce que nous savons ou pouvons faire, et laissons à plus spécialistes que nous le soin d’aller plus loin.

 

 

L’Afrique n’a-t-elle pas fait preuve de naïveté dans ses rapports avec l’Occident ? Sa générosité et son hospitalité, d’après ce que nous rapporte votre livre, sont tout de même démentielles


Oui, c’est étonnant. C’est, sans doute, une des leçons à tirer du passé. Les Etats n’ont pas d’amis, mais que des intérêts.

 

Les références bibliographies de  Quand Les Noirs Avaient Des Esclaves Blancs sont variées et riches. Mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi vous n’avez pas consulté ne serait‑ce qu’un seul livre d’Anta Diop qui est…


J’ai lu Cheick Anta Diop. J’admire ses écrits et ses recherches. Ses livres trônent en bonne place dans ma bibliothèque. Lui a fait son travail. Moi, je fais le mien. J’ai fréquenté Aimé Césaire, en Martinique, pendant plus de dix ans. Mais, quand j’écris, je ne fais pas du Césaire et je ne cite pas Césaire, ce qui n’enlève rien à mon respect pour lui. Chaque génération, comme disait Frantz Fanon, doit faire sa part. Je m’attache à faire la mienne.

 

Véritablement, pourquoi avez‑vous écrit Et Si Dieu N’Aimait pas Les Noirs ?


Comme tous mes autres ouvrages, par le plus pur des hasards, parce qu’un jour, quelqu’un, en l’occurrence une femme, m’a alerté. C’était en 2005. Avec le succès de mon livre « Noirs dans les camps nazis », j’ai été invité à donner une conférence à Turin. Une femme italienne est venue me voir et m’a tendu la photocopie d’un télégramme, que le pape Pie XII avait envoyé, pendant la guerre, au commandement allié, pour lui demander qu’aucun soldat noir ne soit envoyé au Vatican, au moment de la libération de Rome. Ça m’a estomaqué. Partant de là, j’ai voulu savoir si ce racisme religieux existait encore aujourd’hui, et où il prenait sa source. C’est comme ça que j’ai démarré mon enquête, en y associant le journaliste camerounais Audifac Ignace.

 

Comment avez vous réussi à faire témoigner ces hommes de Dieu et ces religieuses ?


Chaque journaliste a sa méthode. Moi, j’ai la chance d’inspirer la confiance. Le succès de mes livres antérieurs et mes prises de position clairs, sur des sujets touchant aux droits de l’homme, ont prouvé à mes interlocuteurs qu’ils avaient à faire à quelqu’un, qui n’a pas peur de mettre les pieds dans le plat et de l’assumer.

 

Je devine que vous avez souvent essuyé des rafales de colères de la part de certains fideles, n’est‑ce pas ?


Oui, mais c’est le dernier de mes soucis. J’ai fait mon boulot et contribué à ouvrir les yeux de certains Africains et Antillais, qui ont fini par réaliser qu’ils avaient embrassé la religion catholique, sans jamais, par exemple, s’interroger sur le rôle qu’elle a joué dans l’esclavage et la colonisation.

 

Parlez nous des Editions Kofiba qui semble être titulaire en CI pour publier vos livres.


J’ai été confronté à une réalité. Face au succès de mes livres, beaucoup d’Ivoiriens se plaignaient de ne pas les trouver à Abidjan,  à un prix abordable pour leurs bourses. Les éditeurs parisiens n’étant pas intéressés par notre continent, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes. J’ai donc investi mon propre argent pour créer cette case d’édition, et imprimer mes livres sur place, qui sont vendus, non seulement en Côte d’Ivoire, mais aussi au Mali, au Burkina Faso et au Sénégal. Ça me coute, mais c’est le moins que je pouvais faire pour les miens. J’espère pouvoir amortir cette opération d’ici 3 ou 4 ans.

 

Je ne peux vous laisser sans vous demander vos commentaires sur l’actualité en CI : le transfèrement de Gbagbo à la CPI, l’emprisonnement des journalistes, le faible taux de participation des Ivoiriens aux élections législatives.


Sur les journalistes, je me suis largement exprimé, y compris à la RTI, pour dire que je condamnais, aujourd’hui, comme hier, ces atteintes à la liberté de la presse, même si je reconnais qu’il reste beaucoup à faire pour parfaire la profession, comme il reste beaucoup à faire pour que nos politiciens soient également irréprochables. Sur le faible taux de participation aux législatives, si j’en crois les spécialistes, c’est une tradition. Donc, je n’ajouterai rien de plus. Quant à Gbagbo, j’aurais préféré qu’il soit jugé en Côte d’Ivoire, parce que ça aurait permis une catharsis générale, pour exorciser ce mal, qui gangrène ce pays depuis si longtemps. Si ça n’a pas été fait, c’est bien parce que ceux qui sont actuellement au pouvoir se sentent aussi morveux que lui. On attend donc de voir ce que la CPI dira pour Alassane Ouattara, Soro Guillaume, et quelques autres. Vous remarquerez, par ailleurs, que l’homme qui a véritablement emmené la haine dans ce pays, n’a, lui, pas été inquiété. Et pourtant. Qui a détourné le concept de l’ivoirité à des fins racistes ? Qui a encouragé ses partisans à dire dédaigneusement que Ouattara était mossi ? Qui a lancé un mandat d’arrêt international contre le président du RDR ? Ce pays a décidément la mémoire courte. Or, on le sait, ceux qui ne se souviennent pas du passé, sont condamnés à le revivre.

 

Vos projets littéraires actuellement


J’ai une demi-douzaine de livres en chantier, dont 3 qui sont très avancés, mais je ne sais pas lequel sortira en premier : un livre, que je coécris avec le journaliste ivoirien Serge Grah, sur l’histoire des Agni ; un deuxième livre sur le siècle de Louis XIV ; un troisième livre enfin sur l’histoire du racisme en Italie.

 

Merci Serge Bilé


Merci !

 

ETTY Macaire

 

Cette interview a té publiée par LE NOUVEAU COURRIER N°409 du Vendredi six Janvier 2012 



06/01/2012
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