LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

RENCONTRE AVEC François D’Assise N’Dah

 

 

Nominé au Grand Prix Ivoire de littérature pour son roman Le Retour de l’Enfant Soldat, François D’Assise N’Dah manie la plume avec dextérité.  A l’occasion de la sortie de ses deux derniers livres Sur les Traces de l’Amour (roman) et le Sublime Sacrifice (Récit de jeunesse), l’artiste a bien voulu échanger avec nous. Entretien.

 

 

 

Bonjour M. N’dah, parlez- nous un peu de vous…

 

Je suis François d’Assise N’dah, natif de la ville de Tiébissou. Je suis enseignant de Français depuis une vingtaine d’années. Depuis à peu près la même période également, je m’essaie à l’écriture que je considère aujourd’hui comme ma seconde profession tellement elle me passionne. J’ai à mon actif,  quinze livres jusqu’à ce jour. Cinq de littérature de jeunesse, deux de littérature sentimentale (collection adoras), quatre de littérature générale et quatre ouvrages collectifs.  

 

Vous avez séjourné en France à l’occasion du Salon du Livre …

 

Quel grand honneur ! Ces grands rendez-vous-là vous transcendent pour de bon. C’était fabuleux tous ces gens qui vont d’un stand à l’autre, tous ces écrivains venus d’horizons divers, tous ces critiques, ces hommes de lettres… rien que pour célébrer le livre, le vénérer. Quand vous avez vécu un tel moment, votre rapport avec le livre, votre rôle d’écrivain, tout cela ne peut que changer dans le bon sens. C’est une tribune qui m’a aussi permis de côtoyer de près certains écrivains ivoiriens d’ici et d’ailleurs et d’échanger nos expériences. A tout point de vue, ce fut une expérience merveilleuse. Merci encore au Ministère de la Culture pour cette opportunité qu’elle nous a offerte.

  

Vous avez deux ouvrages au programme dans l’enseignement secondaire en CI. Comment tout cela est arrivé ?

 

Je voudrais dire que pour l’instant, c’est un seul livre qui est au programme au secondaire, précisément en classe de cinquième. Il s’agit de Le retour de l’enfant soldat. Le deuxième, Le sublime sacrifice, attend encore l’agrément officiel du Ministère de l’Education Nationale et nous espérons qu’il nous sera accordé cette année (...) ma maison d’édition, que je remercie au passage, ayant vu que ces œuvres avaient un intérêt pédagogique certain, en a déposé des exemplaires à la commission d’agrément qui les a trouvés dignes d’intérêt et qui les a donc validés. En plus, ces deux ouvrages abordent des questions suffisamment intéressantes à mon sens pour laisser indifférents les pouvoirs publics. Je voudrais enfin dire un mot de gratitude à l’endroit de tous ces professionnels qui m’ont aidé à la correction de ces textes.

   

Certes le contexte de guerre vous a inspiré Le retour de l’enfant soldat … mais, le plus important est que vous avez voulu faire passer un message essentiel…


Exactement. La guerre a été une parenthèse douloureuse pour notre pays qui cherche à présent les voies et moyens pour retrouver sa stabilité d’antan. Et contrairement à ce que certains avaient pensé, cela se révèle plus difficile que prévu. Car, la réconciliation ne se décrète pas. Elle se construit par petites touches et se fonde surtout sur des valeurs dont les plus importantes sont : la patience, l’amour de la patrie et le dépassement de soi. L’itinéraire tortueux de Zango, le personnage principal, et l’extrémisme du chef du village, montrent que les efforts individuels et collectifs que nous devons entreprendre doivent être soutenus. Et seule notre volonté de vivre ensemble pourra nous permettre d’y arriver. Evitons surtout de faire croire que la réconciliation peut se faire en excluant certains et que la Justice ne saurait s’accommoder de compromis. La culture africaine doit en cela nous servir de modèle. C’est quelques-uns des messages que j’ai voulu faire passer à travers ce petit livre que j’invite tout un chacun à lire sans aucun a priori.

  

Sur le thème de l’amour, votre recueil La Saison des Amours Perdues, à mon avis, est certainement une grande réussite esthétique. Une œuvre littéraire ne consiste pas simplement à raconter une histoire. N’est-ce pas ?


Cela a toujours été ma conception de l’écriture et nous sommes sur la même longueur d’onde, vous et moi. L’histoire n’est que la matière sur laquelle l’artiste travaille. Le caractère artistique et esthétique de l’œuvre littéraire naît justement de la façon dont l’écrivain soumet les mots, les  façonne pour en faire une œuvre d’art. Surtout quand il s’agit du thème de l’amour, il importe de soigner son style, de l’épurer afin de rendre l’histoire plus digeste, plus captivante. C’est à cette activité que je me suis adonné dans La saison des amours perdues. Un style à la limite de la prose poétique, où les émotions sont suggérées avec délicatesse, peintes avec finesse…  Et si vous pensez que c’est une réussite esthétique, vous m’en voyez ravi.   

 

Ces dernières années les productions littéraires autour du thème de l’amour foisonnent… pouvez‑vous nous en donner les raisons ?


Je vous répondrai d’abord par cette boutade, « l’amour, c’est la vie. » (…)Eh bien, c’est comme ça, on n’y peut rien. Parce que, l’amour est le seul thème qui touche tout le monde à la fois, sans distinction de race, d’âge, de condition sociale ni de sexe. En plus, il a un impact significatif sur notre bonheur quotidien. Or, contrairement à l’argent, la quête de l’amour n’obéit pas à des techniques figées, préétablies. Et c’est cette volonté de s’inspirer des expériences des autres qui pousse les gens à s’intéresser à cette thématique. Un énorme lectorat existe que certaines maisons d’éditions essaient de courtiser à travers leurs collections sentimentales. Mais moi, j’aime écrire sur le thème de l’amour parce que je suis de nature sentimental, romantique et très introverti. C’est donc un thème qui correspond parfaitement à mon tempérament.

 

Vous venez de publier un roman d’une centaine de pages intitulé Sur les traces de l’amour… J’ai envie de dire : encore l’amour ?


Oui, vous n’êtes pas le seul à le dire et moi, je vous répondrai, et pourquoi pas l’amour ? L’amour est un sentiment si complexe qu’il est difficile à cerner. Et chacun de mes écrits tente d’en percer un mystère. Vous verrez qu’en ce qui me concerne, les histoires que j’écris sur l’amour n’ont rien de banal. Au contraire, c’est une invitation au lecteur à s’interroger avec moi sur le sens profond de cette réalité et de ses éventuelles répercussions sur notre vie.

 

L’attitude d’Elvis, ton personnage, qui pour une femme s’engage à effectuer un voyage imprévu relève d’un entêtement incroyable,…vous exagérez !


Non, pas du tout ! L’amour rend parfois aveugle et entêté. Entre nous, ne vous est-il jamais arrivé personnellement de faire une folie parce qu’amoureux ? (rire) C’est souvent un secret que chacun garde jalousement quelque part dans son cœur parce qu’on a peur justement d’être traité de fou, comme Elvis ! Et quand nous lisons un livre et que nous nous reconnaissons en certains personnages, nous laissons éclater notre joie ; nous sommes rassurés de savoir que nous ne sommes pas les seuls « fous » au monde.

 

Le lectorat féminin ne manquera pas de nous dire que l’homme est intrinsèquement un mâle lascif et concupiscent

Ces qualificatifs ne sauraient en aucun cas s’appliquer à Elvis qui au contraire a su faire preuve d’une très grande élégance et a su élever l’amour au rang de quête vitale. Tous ses gestes et ses paroles, tout au long de cette histoire, ont révélé une très grande sensibilité et un respect profond pour la femme. C’était une femme au sens noble du terme qu’il cherchait et non quelqu’une pour satisfaire une libido récalcitrante.   

 

 

L’accident d’Elvis, révélé à la fin de l’œuvre, pourrait être lu comme une sanction de ses excès…


Pas forcément. Moi, je l’interprète plutôt comme un coup du sort qui a gâché la fête. C’est dramatique pour Elvis d’échouer si près du but, mais il y a certainement une autre leçon à tirer de cet accident. Peut-être avait-il choisi de disparaître après son accident parce que, devenu handicapé, il avait peur d’être rejeté par Roxanne, cette femme pour qui il était prêt à tout. Aurait-il supporté qu’elle le laisse tomber ? Assurément non ! Quant à Roxanne, aurait-elle été capable d’accepter un homme qui n’était plus le même que celui après qui elle avait couru pendant toutes ces années ? On ne le saura jamais, mais le livre a le mérite d’ouvrir ce débat.

 

Votre roman est vraiment bien écrit. Le titre et le parcours palpitant de Roxanne nous amènent à dire que cet ouvrage est l’histoire d’une quête…


Exactement ! A travers l’itinéraire de Roxanne, j’ai voulu montrer que l’amour, le vrai, est le résultat d’une quête. Que nos convictions et certitudes ne résistent pas toujours à l’épreuve du terrain. Que le prince charmant ou la princesse charmante n’est qu’une illusion qu’il faut absolument tuer si nous voulons vivre heureux un jour dans un foyer. Sinon, ils nous empoisonneront la vie pour toujours. Dans la vie à deux, il n’y a jamais un ailleurs qui soit meilleur que ce qu’on vit. C’est une erreur que de le croire. Non pas se résigner, mais comprendre que le bonheur n’est pas toujours aussi loin qu’on le croit.  

 

 

A défaut d’Elvis, cloué sur une chaise par un accident, Roxanne se résout à     « donner en cadeau » (P103) son amour à son nouveau mari. J’avoue que j’ai été choqué. Je me suis demandé si l’amour existe vraiment, M. N’dah.


Vous ne devriez pourtant pas. La vérité, c’est que c’est ce que Roxanne aurait dû faire depuis longtemps. Elvis, après son accident, avait, lui, déjà compris que sa vie venait de prendre un autre tournant, que certains de ses rêves venaient d’être assassinés par ce drame et qu’il ne serait plus jamais le même homme. Il en a donc tiré toutes les conséquences. Il a trouvé une autre femme qui l’aimait comme il était, ce qui n’était plus certain avec Roxanne. Quant à cette dernière, il aura fallu cette rencontre inopinée au supermarché pour enfin comprendre et se libérer de ce poids énorme qui inhibait toutes ses actions et l’empêchait de vivre. Il n’y a pas de trahison, l’homme qu’elle aimait n’existait plus. Désormais, c’est la compassion et la pitié qui se lisent dans son regard. Dès lors, l’amour qu’elle avait réservé à Elvis, elle pouvait à présent le destiner à quelqu’un d’autre. Aime-t-elle vraiment son mari ? Je n’en sais rien. L’amour existe-t-il vraiment ? Je n’en sais rien non plus.

 

 Finalement, quel est le résultat de cette quête ? L’amour est-il une illusion ?


Non, l’amour n’est pas une illusion. C’est plutôt le contenu que nous donnons à cette notion qui est erroné. Nous voyons l’amour comme un conte de fée, une croisière sur un bateau de plaisance. Roxanne a compris que tout cela était faux. Elle a compris que l’amour était plus noble que cela et se trouvait tout proche d’elle. A elle de savoir en profiter pour construire sa vie.

 

Vous êtes également l’auteur de Le Sublime Sacrifice paru chez Valesse édition… Il est clair en lisant ce récit que c'est la légende de la Reine Pokou qui vous a inspiré.


Vous avez absolument raison. J’ai toujours été obsédé par cette légende qui dit-on, détiendrait des secrets importants sur l’origine du peuple baoulé. Mais il y avait trop de questions sans réponses, notamment celles-ci : qui était réellement Abla Pokou ? Comment avait-elle vécu ? Pourquoi est-ce elle, simple femme, qui conduit ce peuple de fuyards ? En tant qu’écrivain, je ne pouvais pas laisser perdurer ces zones d’ombre que j’ai essayé de combler avec le fruit de mon imagination.

 

Indirectement, le livre dénonce l'usurpation et la violence comme moyens pour accéder au pouvoir...vrai?


Tout le substrat idéologique de l’œuvre se trouve dans cette vérité-là. Koussi Obodoun est la caricature de ce type de dirigeants rancuniers, adeptes de la violence politique et assoiffés de pouvoir. Regardez comme ses agissements ont conduit à la désagrégation d’un des royaumes le plus puissant et le plus prospère que l’Afrique noire eût jamais connu : le royaume Ashanti. Or, il aurait juste suffi qu’il respecte les règles de la tradition pour épargner à son peuple cette cascade de malheurs.   

 

 

Le sacrifice semble être présenté comme la condition de la délivrance et d'une renaissance. Votre avis?


J’ai surtout été inspiré dans cette œuvre par le sacrifice du Christ qui a versé son sang pour sauver l’humanité. Toute la portée spirituelle de l’œuvre a été calquée sur ce modèle-là. C’est dire que tout peuple qui traverse de tels moments, doit être capable de donner ce qu’il a de plus cher s’il veut accéder à la terre promise. Mais encore faut-il que ce peuple sache qu’il possède un tel trésor.

 

Le sacrifice d'un bébé innocent peut véhiculer une idéologie dangereuse, M. N'dah!


Non, il ne faut surtout pas prendre les choses au pied de la lettre. Ce qu’on a de plus cher n’est pas forcément une vie humaine. Le texte, faut-il le rappeler, s’est inspiré d’une légende qui ne livre son véritable sens que par le décryptage des symboles. Et le sacrifice de Moyé Kouakou en est bien un.  

 

Un dernier mot à l’endroit de tous ceux qui n’ont pas encore lu Sur les traces de l’amour.


Je leur dirai simplement de ne pas se priver de ce plaisir immense qu’offre ce livre pour porter un regard nouveau sur la question de l’amour et sur leurs propres relations amoureuses. C’est un livre peu volumineux et qui ne les laissera pas indifférents, j’en suis convaincu. Alors, à chacun son livre et bonne lecture à tous.  

 

Par ETTY Macaire



 

 



21/05/2012
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