RENCONTRE AVEC KISSY CEDRIC MARSHALL, Le Poète de l’Espoir
Lauréat du concours littéraire Les manuscrits d’or 2009, Cédric Marshall Kissy est certainement l’un des espoirs les plus sûrs de la littérature ivoirienne. A la faveur de la publication de son ouvrage poétique – le deuxième du genre ‑ Tréfonds de Cœur de Pierre, nous l’avons rencontré…
Je vous donne l’occasion de vous présenter aux lecteurs …
Je suis KISSY Cédric Marshall, né en 1988 à Grand-Bassam, néanmoins originaire de la ville de Bonoua, à une quinzaine de kilomètres de ma ville natale. J’ai effectué mon cycle secondaire de 1999 à 2006 au lycée moderne de Bonoua, sanctionné par le Bac A2. Je suis étudiant au département des lettres modernes de l’université de Cocody.
Depuis quand écrivez vous des poèmes et Combien d’œuvres avez‑vous publiées jusque là?
J’écris des poèmes depuis la classe de Terminale. Toutefois, c’est en classe de première que j’ai nourri pour la première fois le désir d’en écrire, notamment après avoir lu le texte « Retour » de Bernard Dadié extrait de la ronde des jours. Le message qu’il ne m’a pas laissé indifférent. A ce jour, j’ai publié deux œuvres, à savoir, Ciel d’Amour, terre de haine, Editions Edilivre (France) en 2010 et Tréfonds de cœurs de pierre, Editions l’harmattan (France) en 2011. La troisième œuvre, collective celle-là, paraîtra début février 2012. Et à la suite de celle-ci, mon premier roman.
Pourquoi avez-vous vous-même fait la préface du livre ? De tradition, cette tâche revient à une autre plume.
Je serais tenté de mettre cela sur le compte des « erreurs de jeunesse », de « débutant ». Mais j’ai coutume de dire que « refuser coute que coute de se tromper, c’est accepter de ne jamais être meilleur. » Malgré mon jeune âge, je suis souvent enclin à prendre des initiatives, parfois exagérément. Mais je pense humblement qu’on sort toujours grandi de ses erreurs à condition qu’on prenne la résolution de ne plus retomber dans les mêmes travers… comme le dit l’adage, « l’expérience instruit mieux que la science ».
Vous venez de publier « Tréfonds de Cœur de Pierre » un recueil de 35 poèmes…quelle est la particularité de cet ouvrage ?
Si je devais parler de « particularité », je dirais que cette œuvre est un recueil où les thèmes abordés foisonnent. Cependant, ils se rejoignent – pour la plupart – en ce sens qu’au travers d’eux je m’interroge principalement sur une réalité regrettable : la cruauté humaine. Je n’arrive pas à cerner ce mal qui au fil du temps semble davantage enfoncer l’humanité.
Vous vous définissez comme Le Poète de L’Espoir… pourtant le titre de ce livre est plutôt sombre…
Vous avez certainement pu lire sur la quatrième de couverture « je suis optimiste, certes, mais très réaliste ». De fait, même si l’espoir est mon crédo, je suis loin d’être un rêveur sans circonspection dont les rêves illusionnistes s’écartent de la réalité. Ainsi, je décrie, je fustige avec des mots quelques fois « sombres » mais au fond, j’ai foi en des lendemains meilleurs… Je suis le poète de l’espoir.
Ecrire des vers en rime c’est beau…Mais dans votre livre je pense que les poèmes les moins beaux sont ceux qui sont rimés. Souvent ces rimes me semblent forcées…Dans « l’enfant au destin truqué » par exemple je note que « soldat » rime avec « soldat », « chose » rime avec « chose », « plus » rime avec « plus » etc. Un manque d’inspiration ?
Mon recueil compte six (6) poèmes rimés sur les trente cinq (35), si je ne m’abuse. Cette disproportion en dit long sur ma préférence. Pour revenir à votre constat, il est fort pertinent. Cependant, j’aimerais préciser que cette œuvre renferme deux textes écrits en 2006, c'est-à-dire en classe de terminale. Le poème que vous avez évoqué est de ceux-là. J’apprenais à cette époque à rimer, pour éviter de me cantonner dans un seul registre. J’ai voulu le laisser tel quel au lieu de le réécrire. Ça me rappelle mes débuts. Depuis, je pense avoir progressé en versification classique … je penche plus pour les vers libres. Ils sont plus expressifs selon moi.
Dans le poème « Chasseur idéal », qui est ce Porte‑courage, que vous présentez comme un concentré de bravoure et de héroïsme ?
Ce poème « chasseur idéal » – qui s’adresse au peuple africain – est énigmatique. C’est un texte allégorique, avec une connotation particulière. Cet être surpuissant, ce héros légendaire, cette incarnation des valeurs n’est rien d’autre que la solidarité. Si les africains arrivaient à s’unir, à être solidaire en vérité, ils remédieraient à tous leurs maux. Je ne l’ai donc pas construit – ce poème – sur un modèle humain, même si au premier degré, il est loisible de l’assimiler à des figures historiques ou contemporaines de résistance.
Vous êtes « le digne fils »…quelques mots sur ce poème…
« Le digne fils » écrit en 2007 est un poème qui pose le problème des « fils indignes » qui pour des piécettes, sont prêts à TOUT, notamment à brûler la terre qui les a vus naître et grandir. Je ne suis possiblement pas le fils le plus illustre, mais mon amour pour ma patrie est authentique !
Dans le poème « Etre de douleurs éternelles », vous êtes malheureusement « le grand bateau sans voile », la « carapace gagnée par la sénescence », la « vieille herbe séchée », la « fleur aux étamines mortes » « l’âme sans paix »… Quel pessimisme pour une jeune âme comme la vôtre !
Je ne pense pas que ces expressions relèvent forcément du pessimisme. Je ne fais que décrire un état, la condition d’un être submergé par ses douleurs. Le refrain de ce texte tend à étayer cette idée. L’être dont il est question déduit de lui-même que le monde lui a « légué des peurs et la vie, des douleurs ». Imaginons qu’un enfant vienne dire à son père qu’il souffre d’une maladie quelconque, dira t-il de lui qu’il fait preuve de pessimisme ?
Le thème éternel de l’amour est présent dans votre création. Est‑il inévitable ?
Inévitable ? L’adjectif n’est pas assez expressif à mon sens. « J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j'aurais beau me faire brûler vif, s'il me manque l'amour, cela ne me sert à rien» (1 Corinthiens 13, 3). La préface du livre en fait cas : l’amour est la panacée, le seul remède efficace contre les maux qui minent l’humanité, notre humanité à la dérive, au bord de la rupture. Les Hommes doivent nécessairement reconsidérer leur manière de penser. Pour ses intérêts personnels, on est même prêt à assécher les océans et les mers, à donner une autre couleur au ciel, à marier les anges aux démons. C’est pitoyable ! Le pouvoir de l’argent va crescendo et c’est dangereux. On peut acheter beaucoup de choses, mais – heureusement – pas le vrai amour.
De nombreux poètes ont chanté la terre natale…Le poète sénégalais Senghor a chante Joal, le Malgache Rabemanajara exalte Madagascar, le Burkinabé Titinga célèbre Manega…Et Kissy aussi de magnifier Obolwon c'est-à-dire Bonoua, le nid du peuple Ehivet. Un simple mimétisme artistique ?
Magnifier ma terre natale s’impose naturellement à moi. Il est de mon devoir de le faire. Et puis, si je m’en dérobais, qui le ferait à ma place ? Ces raisons avancées me donnent de réfuter la thèse d’un « simple mimétisme artistique ». Une myriade d’auteurs (poètes, romanciers, nouvellistes, dramaturges…) avant moi l’ont fait, d’autres après moi le feront.
J’ai bien aimé cette audace dont vous faites preuve en vous permettant des néologismes… « antéfils » par exemple…Est‑ce à défaut de mots plus expressifs ?
Avec mes amis de la fac, on s’amusait à créer des mots à partir de préfixes, de suffixes ou de mots latins, voire ex-nihilo quelques fois. Ce jeu très amusant m’a transmis cette passion des néologismes. J’aurais pu trouver un terme déjà existant pour désigner ces « mauvais fils » de l’humanité, mais les qualifier par un mot que j’ai moi-même imaginé m’apporte une certaine satisfaction personnelle. C’est en quelque sorte explorer des pistes jusque là inconnues. Dans mes écrits, j’en use souvent, sans toutefois en faire une fixette, une obsession.
Quels sont les poètes qui vous ont le plus influencé ?
J’ai toujours aimé la poésie du pionnier de la littérature ivoirienne, Bernard Dadié. A côté de lui, j’aime le registre dans lequel s’inscrit le poète Josué Guébo, président de l’Association des Ecrivains de Côte d’ivoire (AECI). Les poèmes narratifs du maître du didiga, Zadi Zaourou ne me laissent pas indifférents, ni ceux de Véronique Tadjo. Pour ce qui est de l’Occident, j’apprécie la poésie de Rimbaud, de Baudelaire, de Victor Hugo… Du coup, je suis à cheval sur plusieurs styles en essayant d’y apporter une touche personnelle.
Votre mot de fin ?
J’aimerais encourager tous ceux et celles qui s’essaient à l’écriture, principalement les jeunes de mon âge. C’est une activité noble du moment où, de mon point de vue, on ne vient pas à la littérature pour amasser des fortunes, mais plutôt, pour passer un message qui nous tient à cœur. C’est un milieu difficile mais ô combien faramineux ! Ecrire c’est une aventure, publier en est une autre. Mais, paraphrasant un dicton populaire ivoirien, je dirais « découragement n’est pas écrivain ». La route est pénible, pas impossible cependant. Et comme le dit Véronique Tadjo, grand prix littéraire d’Afrique Noire, « Nous n’aurons pas besoin de foudre pour tisser des soleils. »
Je ne saurais taire mon propos sans vous remercier. Merci de m’avoir offert cette tribune d’expression. Je vous en suis reconnaissant.
Ps : Je serais ravi d’échanger avec toute personne ayant un certain intérêt pour la littérature, notamment pour des questions y afférentes, à l’adresse email suivante : usmarshallone@yahoo.fr
Réalisée par ETTY Macaire
publié par LE NOUVEAU COURRIER du 27/01/2012
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