Interview avec Maître Joseph Kokou Koffigoh, poète togolais
Par Macaire Etty
Joseph Kokou Koffigoh est un homme politique togolais. Ex-premier ministre de son pays, amoureux de livres, son nom rime aujourd’hui avec création littéraire. Depuis quelques années, de nombreux poèmes coulent de ses doigts…sans interruption. Le poète, à notre demande, a bien voulu parler de lui et de sa passion.
Nous voulons nous intéresser à l’écrivain, au poète. Alors, si vous devez vous présenter, que diriez-vous ?
J'ai toujours aimé la littérature, tous genres confondus. Mais je ne me suis découvert un semblant de fibre poétique que récemment en 2009. Je venais de finir mon initiation à l'informatique et mon jeune formateur m'a conseillé de chercher des textes à taper pour m'exercer. Au lieu de lui obéir je me suis mis à écrire ce qui me passait par la tête. Quelques temps après, je reçus une invitation d'une ONG qui s'appelle Wanep, pour prendre part à une conférence sur la démocratie à Abidjan. Après la conférence, j'ai voulu rendre visite au Président Laurent Gbagbo pour le saluer. C'était à la veille d'une tournée qu'il devait effectuer dans l'Ouest, notamment à Issia. Je redécouvrais l'Ouest de la Côte d'Ivoire depuis que j'ai quitté l'Université d'Abidjan en 1970. Le paysage et les gens m'inspiraient tout le long du voyage. J'avais mon ordinateur portable et mon carnet pour camper mes impressions. De retour à Abidjan, j'ai lu mes notes à Laurent Gbagbo. Il s'est écrié: "Ça c'est de la poésie". De retour à Lomé, j'ai continué à écrire, et mes deux premiers recueils je les ai publiés aux Éditions NEI/CEDA à Abidjan. Si vous lisez « l'Épopée des Éléphants » vous y trouverez cette première source d'inspiration. À ce jour, j'ai officiellement publié quatre recueils dont deux à Lomé, mais j’ai de quoi publier une demi-douzaine de recueils en plus des quatre premiers.
Comment s’est faite la mutation de la politique à la création littéraire ?
La politique est le temps ou le lieu de l'action. La poésie est du domaine de la méditation et du rêve. Il y a interaction entre le rêve et sa réalisation. L'un n'existe pas sans l'autre. Quand j'ai commencé en poésie, je n'avais plus de responsabilités politiques, à part quelques missions en tant qu'expert à gauche et à droite. Je pouvais, oui je peux plonger dans les rêves qui m'habitaient depuis longtemps pour indiquer un autre regard sur le monde.
L’on pense souvent que la politique pervertit l’écrivain qui s’y aventure. Le chemin inverse est-il aussi périlleux.
Est ce que j'ai l'air d'un homme perverti? De nombreux écrivains sont devenus des politiques et vice versa. Je pense à Senghor, le plus connu, et récemment j'ai découvert que Sir Wiston Churchill l'ex Premier Ministre britannique qui a gagné la guerre contre les nazis allemands a aussi gagné le Prix Nobel de littérature en 1953. Je dis chapeau! Néanmoins je reconnais que l'écrivain qui entre en politique et donc qui quitte la fiction pour l'action peut se trouver dans l'apparente nécessité de se contredire par rapport à sa vision d'avant. Mais ce n'est qu'un risque et non une certitude.
La poésie semble être votre genre de prédilection …
J’aime tous les genres littéraires. Par exemple, durant ces deux dernières années je me suis régalé avec les contes qu'écrivait votre compatriote Monsieur Voho Sahi, ancien conseiller et Ministre de Laurent Gbagbo qui avait trouvé refuge au Togo suite à votre crise postélectorale. J'en profite au passage pour le saluer lui et sa femme puisqu'ils sont rentrés au bercail! D'ailleurs avant son retour d'exil, il a publié ses contes à Lomé sous le titre "Si le village m'était conté".
Vous êtes attaché aux rimes dans la construction de vos vers. Y a-t-il une raison particulière ?
En fait j'aime toutes les formes poétiques avec ou sans rimes. J'ai écrit quelques poèmes que les gens trouvent beaux en vers libres. Mais la majorité de mes œuvres sont rimées. Je me hasarde à y voir deux explications:
-La première serait la découverte sur les bancs du lycée de ces auteurs fantastiques que furent les classiques et les romantiques français sans oublier les adeptes du symbolisme et les parnassiens. Nos profs blancs de l'époque nous les ont fait aimer et comme vous le savez tous les artistes dans un premier temps cherchent à faire comme le maitre avant de voler de leurs propres ailes.
-La seconde explication est sans doute un désir de me discipliner dans l'écriture. La rime et les rigueurs de la versification en respectant la métrique m'obligent à dire l'essentiel sans le risque d'allonger démesurément les phrases. Dans mon dernier recueil "Libations", je me suis essayé au genre épique et là, j'ai vu ce que la densité des alexandrins peut apporter quand il s'agit de plonger dans les mythes et légendes.
La plupart des écrivains africains ont « libéré » les vers, alors pourquoi cette obsession pour les rimes ? Cela ne freine t-il pas votre inspiration ?
Je reconnais que le largage des rimes peut être utile par moments. Ça dément de ce que l'on écrit et de l'émotion esthétique que l'on veut produire. Sur ce point, je ne suis pas un dogmatique. Parmi les œuvres qui attendent d'être publiées j'en ai fait quelques unes non rimées juste en les laissant jaillir spontanément sous ma plume ou directement sur l'écran de mon ordinateur.
Sur les grands événements qui ponctuent la vie du monde, vous avez l’habitude de pondre des poèmes. Doit-on en conclure que votre poésie suit la courbe de l’actualité ?
C'est vrai qu'avec les grands moyens d'information modernes, nous sommes tous reliés aux vibrations du monde, les rébellions, les guerres les catastrophes naturelles, la souffrance des pauvres, mais aussi les joies collectives. À propos de joie, un de mes prochains recueils sera consacré au foot. C'est curieux non? Eh bien j'ai composé ces pièces en regardant la dernière Coupe d'Afrique des Nations. Vous y verrez Didier Drogba, Emmanuel Sheyi Adebayor, l'exploit des Burkinabés et des Nigérians qui sont allés jusqu'en finale et bien sûr les Éperviers du Togo qui pour la première fois ont franchi le premier tour. L'Église et les saintes écritures aussi m'inspirent beaucoup et j'ai dédié beaucoup de poèmes inédits au Pape François dès son élection. Tout m'inspire, la nature, la mort, la vie et toujours...., comme tous les poètes, l'Amour d'où la permanente référence à la rose puisque mon épouse s'appelle Rosalie.
Parlons maintenant de la littérature togolaise. Quels sont ses atouts et ses faiblesses ?
La littérature togolaise acquiert de plus en plus ses lettres de noblesses. Auparavant personne n'en parlait parce que nous n'avions que quelques écrivains. Mais depuis quelques années, des talents ont émergé dans tous les genres. Ceux qui publient chez les éditeurs français acquièrent plus de notoriété. Dans le genre romanesque je citerai Kossi Efoui qui a gagné le grand prix littéraire de la francophonie, Kangni Alem, Samizdat Tchak etc...Notre actuelle Ministre de la Communication des arts et de la Culture Madame Germaine Kouméalo Anaté est à la fois romancière et poétesse. Parlant de poésie on assiste à un véritable engouement, sans compter les dramaturges nouvellistes et conteurs. Le grand handicap des écrivains à l'interne est la faiblesse structurelle et financière des maisons d'édition, ce qui oblige à publier à compte d'auteur. Il faut avoir les sous pour ça et peu d'écrivains en ont.
La culture dans bon nombre de pays ne bénéficie pas de l’attention qu’il faut des gouvernants. Est-ce le cas du Togo ?
Au Togo, on assiste à un réveil grâce au Fond d'Aide à la Culture (FAC). L'enveloppe de moins de trois cent millions de francs est un peu faible par rapport aux besoins mais c'est tout de même un bon début. Je sais aussi que bientôt le gouvernement va s'impliquer dans l'organisation d'un festival du livre. Enfin, l'Association des Écrivains Togolais dont je suis membre et présidée par la Ministre de la Communication Des Arts et de la Culture dont j'ai déjà parlé, va très prochainement lancer une émission télévisée consacrée au livre sur financement du Fonds d'Aide à la Culture.
Votre avis sur le rapport littérature et développement de l’Afrique.
Il faut faire comprendre aux décideurs que c'est grâce aux connaissances acquises par les livres que les pays développés ont su dominer le reste du monde. Par ailleurs, nous devons savoir que la production de livres relève aussi de l'industrie et du commerce. Par exemple, il n'est pas normal que les manuels scolaires, universitaires, pédagogiques et didactiques continuent encore dans certains pays à être édités ailleurs que chez nous. La production de livres crée des emplois et, plus de cinquante ans après les indépendances, qu'on ne me dise pas que nos professeurs et pédagogues ne peuvent pas confectionner des manuels pour nos apprenants! Heureusement que la Côte d'Ivoire a dépassé ce cap depuis belle lurette. Que ceux qui ne veulent pas considérer l'aspect culturel sachent que le livre est aussi un produit de consommation et même d'exportation. Le jour où il y aura cette prise de conscience, nous serons sauvés.
In Le Nouveau Courrier d'Abidjan
du 28 avril 2014
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