LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

RENCONTRE AVEC BOA THIEMELE

 

Boa Thiémélé Ramsès est professeur titulaire de Philosophie (Université de Cocody/Abidjan). Son dernier livre paru aux Editions Cérap à Abidjan en 2010, « La sorcellerie n’existe pas », continue de susciter des débats. Nous l’avons rencontré…

 

 

Qui est Professeur Boa Thiémélé ?


Je suis un enseignant-chercheur, professeur titulaire de philosophie, à l’université de Cocody, et ancien étudiant de l’université de Poitiers, nourri au panafricanisme. Mon maître intellectuel est Cheikh Anta Diop.

 

Définissez-vous comme un philosophe, un écrivain ou un éducateur ?


Tout ça à la fois. Plus professeur de philosophie que philosophe. Je suis éducateur, car mon métier d’enseignant oblige à aller au-delà de l’instruction pour amener les étudiants à intégrer dans leur vie des valeurs humanistes. Il s’agit donc de leur apprendre à combiner le savoir, le savoir-être et le savoir-faire. Je suis aussi écrivain, plus précisément essayiste. J’ai déjà publié 4 livres. Le cinquième sort bientôt et portera sur l’ivoirité, thème du 1er livre. Chaque jour des éléments nouveaux viennent changer notre perception du réel.

 

Vous avez de publié un ouvrage La sorcellerie n’existe pas. Ce titre fort provocateur procède-t-il d’une conviction ou simplement de votre désir de choquer, de susciter un débat ?


Les deux à la fois. Choquer et susciter le débat sont des modalités intellectuelles. C’est plus pour exprimer une révolte intérieure. J’ai moi-même été choqué par un article de Landry Kohon de Fraternité Matin qui racontait comment, à Sahuyé (Sikensi), en 2008, un homme accusé de sorcellerie, avait été enterré vivant sous le cercueil contenant le corps de sa présumée victime, devant une foule excitée. D’ailleurs, j’ai usé de mon devoir de citoyenneté pour saisir la Commission nationale des Droits de l’Homme, section Côte d’Ivoire (CNDH-CI) dont la présidente est Mme Wodié. Jusqu’à ce jour, elle n’a pas daigné me répondre.

 

Vous soutenez donc que la sorcellerie n’existe pas…



Je ne m’attaque pas au fait social. C’est bien parce que le fait social existe que nous pouvons en parler. Selon moi, il faut aller au-delà de l’explication naïve de la sorcellerie qui consiste à croire que des individus possèdent des pouvoirs surnaturels de métamorphose et de nuisance. Ma thèse est simple : ce n’est pas la sorcellerie qui est non compréhensible, mais c’est tout ce qui est non compréhensible qui est attribué à la sorcellerie. Autrement dit : ce n’est pas parce qu’un individu est sorcier qu’il fait le mal, c’est plutôt parce qu’il fait le mal que l’on l’accuse d’être sorcier.

 

Qu’est-ce que vous apportez de nouveau dans l’approche du phénomène de la sorcellerie ?


Il ne s’agit pas de prétendre à la nouveauté pour dénoncer un phénomène de violation des droits de l’homme. Des femmes sont abandonnées, des enfants sont assassinés, des vieillards sont humiliés, au motif qu’ils sont des sorciers. Nous ne pouvons pas nous taire sur ces faits simplement parce que ce n’est pas nouveau. D’ailleurs, les philosophes continuent d’écrire sur la mort, sur l’injustice, sur la violence depuis des siècles. Tant que l’homme sera menacé dans son humanité, le silence sera une lâcheté. Avant moi, des romanciers ou des cinéastes avaient dénoncé cette mystification de la sorcellerie. Je peux citer par exemple, N’Cho Chayé,  qui a écrit : La sorcellerie. La hantise du peuple : mythe ou réalité, Abidjan Frat Mat Editions en 2009. Je ne prétends pas à la nouveauté. Je peux également mentionner Nebié Bali, du Burkina Faso qui en fait de même dans son roman, Le Roi du Dja-djo, Editions Jethro, Ouagadougou, en 2011. Cependant, c’est la conjonction de toutes ces dénonciations et de toutes ces révoltes qui pourraient conduire à une compréhension intelligente des pratiques sociales africaines.

 

La même maison d’édition a publié un autre ouvrage qui semble se mettre aux antipodes du vôtre. Cette polémique ne cache-t-elle pas un objectif lucratif ?


C’est l’esprit de la collection « Controverse » de l’éditeur. Cet esprit obéit au principe de la liberté de penser et de la tolérance. Il manifeste plus une fin (ou une faim) de connaissance intellectuelle qu’un objectif lucratif. L’aspect lucratif n’est pas pour autant condamnable. Seuls les idiots pensent que l’argent ne rend pas heureux.

 

Dans cet ouvrage vous défendez un concept déroutant la dégaoutique. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qu’il recouvre ?


Le mot dégaoutique est composé d'un préfixe "de", qui a un caractère privatif et du radical,"gaou" ou le niais dans le langage populaire de Côte d'Ivoire, le Nouchi . La dégaoutique, en tant que philosophie critique des vérités premières, est ainsi le dépassement de l’évidence. Elle propose une lecture complexe du réel selon une rationalité ouverte. Elle recherche la diversité de signification du monde, et la multiplicité interprétative du réel.  Pour ce faire, elle invite à prendre ses distances avec les discours prétendant détenir la norme intangible du vrai. La dégaoutique est une herméneutique et un humanisme.

 

N’êtes vous pas hors sujet par rapport aux préoccupations du moment de la société ivoiriennes ?


Aucunement. D’abord, tout le monde n’est pas obligé de faire la politique des partis politiques ; ensuite les préoccupations du moment ne sont pas que politiques. Certains aiment le sport, la fête, les études, l’agriculture ou la chasse. Ce n’est pas moins important que l’élection d’un président ou d’un député. Enfin, la dégaoutique, en tant qu’herméneutique, encourage la saisie critique des phénomènes politiques, sans forcément inclure un jugement moral. Elle dit d’éviter d’être naïf vis-à-vis des explications institutionnelles des faits sociaux. Car comme dans le débat sur la sorcellerie, souvent nous avalons les points de vue officiels sans prendre de la distance mentale. Cela est donc valable pour ce que tu appelles « les préoccupations du moment »

 

Bon nombre de gens pensent que le débat intellectuel connait un recul en CI ? Qu’en pensez-vous ?


Ces gens ne savent pas ce qu’est un débat intellectuel. D’ailleurs, quel est le niveau de qualification intellectuelle de ceux qui disent cela ? Ils achètent rarement les livres écrits par les auteurs ivoiriens ou africains, ils fréquentent rarement les librairies; ils préfèrent l’opium des centres de prières, la démagogie des meetings des partis politiques et les maquis bruyants. Ils ne fréquentent guère des bibliothèques. Ils ne savent pas qu’ils peuvent offrir des livres à leurs enfants ou à leurs maîtresses. C’est donc leur esprit qui recule devant les débats sur l’ivoirité, sur la sorcellerie, sur le néolibéralisme, sur la souveraineté, sur le néocolonialisme, sur la laïcité, sur la guerre, sur la décentralisation, etc.

 

On accuse à tort ou à raison les intellectuels ivoiriens de ne pas jouer suffisamment leur partition lorsqu’il se pose de grandes divergences politiques ?


L’opinion qui dit cela m’amuse. Pourquoi ce que tu appelles « les grandes divergences politiques » devraient être réglé par des intellectuels ? C’est irrationnel. Tu ne peux appliquer une solution idoine qu’à un problème de la même nature. Les intellectuels réfléchissent, inventent des utopies, créent des modèles de société. L’application revient aux hommes politiques. A chacun son métier. Que chacun assume sa part de tâche. Enfin, délestons-nous de l’idée que l’intellectuel a la vérité infuse. Les intellectuels ne constituent pas un bloc monolithique sachant et comprenant tout. Cela dit, ne donnons pas plus de pouvoir aux intellectuels qu’ils n’en ont, ici comme ailleurs. Qui a même envie d’écouter les intellectuels?

 

On aurait voulu avoir un puissant front composé d’intellectuels capable de servir de contre-pouvoir au régime au pouvoir. A ce sujet, on cite à l’envi les intellectuels sénégalais.


C’est une grande mythologie de l’époque coloniale. Partout en Afrique, dans les partis politiques surtout, les intellectuels organiques sont isolés, moqués et traités de rêveurs, au sens négatif. Le drame qu’ils vivent c’est qu’ils se croient obligés d’être membres d’un parti politique. Leur fonction critique est contraire aux exigences de discipline interne. En réalité, le vrai contre-pouvoir, c’est la société civile organisée. Les intellectuels y sont. J’en connais ; ils y travaillent efficacement, sans bruit. Enfin, ne confondons pas universitaires et intellectuels.

 

Interview réalisée par ETTY Macaire

ethimacaire@yahoo.fr

 Cette interview a été publié par Le Nouveau Courrier du Vendredi 28 octobre 2011

 



31/10/2011
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