LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

RENCONTRE AVEC BERENICE WADE NEMLIN, poétesse et chantre de l’Amour

 

UNE LUCIOLE EN AFRIQUE NOIRE

 

 


Elle est française, mais se définit comme une Ivoirienne. Elle est Blanche mais se sent Noire au plus profond de ses tripes. Elle n’a jamais publié un livre, elle n’en a jamais fait une préoccupation, mais elle est poétesse dans l’âme. Il suffit de lire quelques uns de ses poèmes pour en être amoureux. Les vers rythmés et rimés coulent de ses doigts avec une aisance déconcertante. Ses créations poétiques charrient profondeur, sensibilité et émotion. Morceau choisi : Sagesse Des Nuances :

 

« Noir : envoutant,

Blanc : éclatant,

Noir : sobriété,

Blanc : immaculé,

 

Blanc : innocence,

Noir : puissance,

Blanc : savoureux,

Noir : vigoureux,

 

Le noir et le blanc ne sont ni opposés ni contraires.

On a jamais remplacé le sel par le poivre et inversement.

Ils ont besoin l’un de l’autre, ils sont complémentaires.

L’un est fort l’autre doux un peu comme nos sentiments … »

 

Elle parle peu et préfère écrire abondamment pour s’exprimer, pour communiquer, pour se délester…car sa vie n’est pas un conte de fée. Son poème « Profonde Solitude » en est une saisissante illustration.

 

« La solitude,

C’est quand tu entends plus que le son vide de ta propre voix

Que même au milieu de la foule il n’y a rien que ta voix

Quand l’air autour de toi, t’oppresse, te comprimes tellement

Que le seul sentiment qu’il te reste est celui d’étouffement

C’est les gestes banals du quotidien deviennent des corvées

Quand des besoins fondamentaux sont pratiquement ignorés

C’est une  plaie, avec le temps qui gangrène jusqu’au cœur

Elle voile ton bonheur et t’inflige d’atroces douleurs

C’est un paradoxe, plus tu aimes et donnes de l’Amour

Et plus le poids de la Solitude sur tes épaules est lourd … »

 

 

 L’avenir cependant se dessine en couleur depuis qu’elle a compris que son bonheur n’est pas en France, son pays, mais en Afrique, en Côte d’Ivoire. Bérénice…c’est une vie, un livre à déchiffrer, un poème à savourer. Ecoutons simplement la poétesse et la femme à l’humanité à fleur de peau…

 

On vous connait sous le nom de Bérénice Wadé Nemlin. Sur facebook vos poèmes circulent et vos admirateurs se font nombreux. Qui êtes‑vous au juste?

 

Nemlin n'est pas mon nom  ... c'est le nom de famille de mes parents "d'adoption" mais je suis très fière de le "porter". Et je signe mes écrits, mes photos, mes dessins, mes peintures Bérénice depuis 40 ans. Je suis née en France de parents français mais c'est une très longue histoire. Mon Amour pour l’Afrique et Internet font qu’un jour je rencontre « ma famille » Ils deviennent ma famille d’adoption ; en fait au fond de mon cœur, au fond de mes tripes, je pense et je vis comme eux c’est comme si nous avions été reliés avant de nous connaitre. Je bénis chaque jour le Seigneur de les avoir mis sur ma route.

 

Vous êtes prolixe, votre fécondité créatrice est extraordinaire. Où tirez‑vous votre inspiration?

 

De ma vie tout simplement. J’ai commencé à écrire dès que j’ai su aligner des lettres. Très jeune, j’écrivais un peu comme on écrit un journal. J’écrivais surtout au Seigneur, la Foi n’avait pas de place dans ma famille. On ne parlait jamais de  Dieu, moi très croyante, j’écrivais et je priais en cachette. Et plutôt que de rester muette, je vidais mes émotions sur des pages blanches.

 


 

Pourquoi avez vous choisi la poésie pour vous épancher? Et depuis combien de temps ont commencé vos rapports avec la poésie?

 

J’ai commencé à écrire sous une forme libre un peu comme une prose. A cette époque et même encore souvent aujourd’hui, je n’écris pas pour les autres ni pour raconter mon histoire. Ecrire est un soulagement, une soupape de sécurité. Rapidement, avec les premières récitations apprises à l’école, j’aime jouer à faire des vers, des rimes. Puis, je découvre la poésie. Le coté doux, nostalgique quelques fois dramatique me correspond si bien qu’il me plait d’écrire de la sorte.  

 


 

 

Pourquoi avez vous choisi facebook comme canal d’expression… ?

 

Je n’ai pas vraiment choisi facebook pour m’exprimer. C’est plutôt parce que j’avais un compte facebook que mes poèmes se sont retrouvés là. En fait, je laissais juste des petites pensées ci et là ; et puis une amie m’a envoyé un poème alors j’ai envoyé un des miens … et ainsi de suite, mais je n’ai pas vraiment cherché a les faire lire.  J’aurai pu créer un blog un site n’importe quoi … Je ne sais pas, je crois que je n’ose pas, je trouve que ce que j’écris c’est comme ma vie, très banal. Je préfère cent fois les textes des autres.

Aujourd’hui que ma vie change je me dis que surement un jour je ferais un recueil. Je veux même écrire un livre sur ma vie et mon Amour pour la Côte d’Ivoire. J’attends mon retour prés de ma famille « adoptive ». J’attends de rentrer enfin chez moi !!!

 

J'ai lu vos poèmes, et je crois sincèrement qu'ils méritent d'être publiés. Pourquoi ne songez vous pas à déposer un tapuscrit chez un éditeur?

 

Plusieurs raisons : J’ai fait autres choses, j’ai donné beaucoup de mon temps pour mon métier (soignante dans un centre de poly handicapés), pour mes enfants (2 garçons 22 et 16 ans), pour des associations d’aides (personnes âgées, malade su SIDA, illettrismes …).

Mais aussi par manque de confiance ; je trouve que les autres écrivent mieux que moi. En fait, je me dis que je n’ai écrit que pour me faire du bien, pas dans le but d’être lu un jour. Et ce même, si au fond de moi je me suis toujours dit que quand je serai en Afrique définitivement  enfin, là j’écrirais mon «Amour pour le continent et mon retour au pays »

Aussi peut être après cette interview j’y songerai plus sérieusement.

 

Quels sont vos modèles, en matière de poésie? 

 

Je n’ai pas de modèles, j’écris avec mon cœur ce que je ressens je ne cherche pas à avoir un style ou un autre. Mais il y a certains auteurs que j’aime particulièrement Verlaine Rimbaud surtout Baudelaire et Prévert  

 

Quels sont les derniers livres que vous avez lus?

 

Ahmadou Kourouma - Allah n’est pas obligé

Nathalie Hug – L’enfant-rien

Cathy Glass – Violentée

Fabio Geda – Dans la mer il y a des crocodiles

 

On dit souvent que la parole guérit, or vous n'êtes pas du genre à vous dévoiler véritablement. Pensez‑vous que l'écriture joue le même rôle que la parole dite?

 

Je suis de cet avis, je pense que la parole guérit, mais quand on n’a personne pour parler il y a problème. Parler à quelqu’un, c’est vouloir trouver de la compassion, pas le jugement. Moi j’aurais attendu jusqu'à connaitre mon Papa pour connaitre cette compassion. Pour moi, écrire c’était une façon de dire les choses pour me vider tout en évitant le jugement, les moqueries, les méchancetés. La différence quand on trouve la bonne personne pour parler c’est qu’elle peut vous aider, vous conseiller, vous guider. La feuille blanche elle-même une fois remplie ne vous donne pas forcement les solutions ; elle peut juste vous aiguiller, vous aider à être plus objectif. Quand je suis tombé malade (j'ai une tumeur) j'ai été souvent heureuse de pouvoir écrire ma haine contre cette foutue maladie.

 

 

Vos poèmes dégagent une fragrance de douleur et inspirent souvent la pitié. En tout cas, la charge pathétique de vos écrits saute aux yeux, disons au cœur. Y a t il une explication à cela?

 

 J’écris mon trop plein d’émotion, mes sentiments, mes peines, mes joies aussi même si elles sont plus rares ; mais ce besoin de dire ce qui ne peut être dit est très fort. Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails, mais ma vie n’est pas un long fleuve tranquille. Je n’aime pas en parler ainsi. Mes poèmes ne sont pas une plainte, je sais que bien d’autres gens souffrent plus que moi. La majorité de mes écrits n’a même jamais été lue de personne. Pour moi, écrire c’est « hurler en silence »


L'amour occupe une place de choix dans vos créations. Que représente ce sentiment pour vous?

 

C‘est le plus beau, le plus doux, le plus merveilleux des sentiments, même si c’est aussi celui qui fait le plus souffrir. Car une bonne partie de ma vie souffre de carences affectives, d’abandon, de rejet. Je reste tournée vers le Seigneur seul son Amour est inconditionnel.

 

On est frappé par votre talent à faire des rimes. Que recherchez vous en voulant toujours faire rimer vos vers?

 

C’est un jeu. Et je me prends à ce jeu, cela devient presque automatique … quand je suis très inspirée les rimes viennent seules sans même que j’y réfléchisse. Mais 30 ans à penser en rime, cela laisse des traces.

 

D'aucuns pensent que la poésie est plus expressive lorsqu'elle est libérée de la raideur des rimes.

 

Peut être, j’ai aussi écrit de jolies choses sans rime. Il m’arrive parce que je ne trouve pas les termes appropriés. Ou simplement je trouve mon texte plus joli écrit en toute « liberté de mots ». Mais comme très peu de personnes me lisent, je n’en ai jamais subi la critique ou très peu. Je n’ai donc jamais vraiment changé de style et jamais cherché à changer.

 

 

 Dans votre poème « Abidjan, senteurs d’Afrique » Vous écrivez :

 

« Toi, mon pays, par delà la grande eau,

Toi, mon pays, toujours aussi beau

De la mer aux confins du désert

Demeure, mon pays, debout et fier »

 

La Côte d'Ivoire et vous, l'Afrique et vous...On peut en savoir davantage?

 

 

Après Dieu, c’est certainement ma plus belle histoire d’amour. Je ne sais pas l’expliquer. Quand on me demande je dis que je suis née avec l’Afrique dans le sang. Le Seigneur s’est peut être trompé sur ma couleur de peau, je me sens plus noire que blanche en tout cas dans ma façon d’être, de penser, de vivre, de croire. Mais je pense que les personnes comme mon Papa d’adoption à Abidjan qui me connait bien vous parleront de moi beaucoup mieux.

L’Afrique j’ai d’abord aimé (à l’âge de 5 -10 ans) le Kenya sûrement parce que tous les enfants aiment les animaux de la savane. Puis le Sénégal parce que je l’avais étudié à l’école. Mais, déjà à cet âge, je rêve de m’installer en Afrique. Et c’est en 1989 que je suis tombée amoureuse de la Cote d’Ivoire. Et plus particulièrement d’Abidjan… je m’arrête sinon je vais parler des heures quand je parle d’Abidjan ; je deviens intarissable.

 


Comment êtes‑vous arrivé en Côte d'Ivoire? Comment s'est produite la rencontre avec votre père adoptif?

 

J’ai rencontré Papa par le biais du net. Nous sommes devenus amis et je crois que les reste est une Grace du Seigneur. Je suis arrivée à Abidjan en mai 2011. C’était fabuleux difficile même à comprendre pour ceux qui ne m’ont pas vu le vivre mais. Vraiment, je l’ai vécu comme un retour dans « mon pays ». Tout m’a paru naturel, simple, facile. Mes parents sont modestes et j’ai quatre frères et sœur ; j’ai vécu avec eux dans 2 pièces comme vivent la plupart des Africains. J’ai mangé comme eux, bu comme eux. J’étais chez moi et nous avons ensemble partagé ce Bonheur  

   

Où vivez vous actuellement, en CI ou en France?

 

Je suis pour le moment en France, Mais dès que possible je veux rentrer définitivement chez moi. Je veux vivre en Cote d’Ivoire. Je vais sûrement choquer beaucoup de lecteurs qui rêvent de venir s’installer ici, en France. Mais croyez‑moi… la France n’est pas le paradis qu’on vous montre à la TV. Bien sûr matériellement, j’en ai un peu plus ici, mais je suis prête à tout laisser, car je sais ce qui est essentiel aujourd’hui ; et mon essentiel est à Abidjan.

 

 Je suis née le premier matin d’été

Mais pourquoi une grossière erreur

Me dépose au nord de la méditerranée

Alors qu’en Afrique là est mon Bonheur

 


Pour vous, qu'est ce qui explique le racisme?

 

Vaste débat et tellement compliqué quand on connait la complexité des rapports humains. Pour moi, c’est le plus grand fléau… qu’il soit de couleur, de race, de religion, ou social. Pour schématiser je me dis que certains hommes pensent être plus grands, plus forts, plus hauts… bref meilleurs que les autres ; alors ils se mettent forcement tous du même coté de la balance et dénigrent tous ceux qui ne leur ressemblent pas. Et le monde économique qui ne pense que profit, dans lequel on vit, ne fait qu’aggraver les choses.

 

Comment avez vous vécu la crise ivoirienne, vous qui vous définissez comme une Ivoirienne?

 

Mal j’ai été très malheureuse. Beaucoup plus qu’en 2002. En 2002, j’ai pleuré parce qu’on tuait des civils, on décourageait par tous les moyens un peuple, on détruisait « mon pays » à coup de  bombe et de roquette … En 2011, c’est encore plus dur parce qu’il y a ma famille mes amis toux ceux que j’aime là bas. Et je me sens tellement inutile si loin d’eux. Alors je leur téléphone chaque soir juste quelques minutes, mais c’est indispensable pour nous tous.


« Ma Cote d’Ivoire, mon pays enchanteur

Je t’ai connue endeuillé par le malheur

Je sais qu’un jour viendra et sonnera l’heure

Et de ton peuple, enfin, tu feras le Bonheur »

 

Lors de ces moments de déchirures et de tensions, des paroles dures ont été proférées à l'endroit de la France, ton pays d'origine. Cela vous a‑t‑il semblé disproportionné?

 

Non pas du tout. J’étais la première à vociférer contre la France. Sans vouloir afficher quelques idées politiques qui n’ont rien à voir ici même, je veux juste dire que la France n’avait pas à se mêler de quelques façons que ce soit d’élection présidentielle dans un pays qui ne la concerne pas. L’Allemagne ou les États Unis n’ont qu’à venir en 2012 bombarder l’Elysée pour installer le président de leur choix et on verra la tète des français.


Qu'est ce qui vous a marqué positivement chez les Ivoiriens et les Africains en général?

 

Tout a été fabuleux, je n’avais jamais rencontré autant de personnes généreuses, solidaires, chaleureuses. Toujours le sourire toujours de bonne humeur – quand on pense qu’un France ils font la tête pour la moindre pacotille !!!

J’ai aimé leur gentillesse, leur simplicité, leur courage. Quand je suis arrivé, les conflits avaient fini depuis peu, le pays retrouvait à peine sa tranquillité. Mais à part quelques endroits qui avait été particulièrement touchés, où les traces de la guerre dominaient encore, j’ai rencontré des gens heureux de vivre, heureux simplement d’être là.  Des gens qui n’ont rien mais qui donnent tout. Des personnes avec des valeurs … tout ça n’existera bientôt plus en France.

J’ai rencontré des gens qui vont à l’église, des gens qui croient peu importe la religion. En France c’est tabou. Si tu parles du Seigneur, on te fait des yeux pas possibles. Là bas, à Abidjan j'ai pu crier que j'aimais Jésus sans choquer, sans être jugée.

 

Votre dernier mot…

 

« Afrique, ma belle, ma terre, ma joie, ma foi,

Mon berceau ma vie tout ce temps sans toi,

Attends-moi, accueille-moi et garde-moi,

Je ne veux  plus vivre plus longtemps  loin de toi … »

 

Interview réalisée par

ETTY Macaire

Critique littéraire

 



19/12/2011
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