Interview/ Koffi Kwahulé, dramaturge et écrivain ivoirien
La figure de Koffi Kwahulé est aujourd’hui associée à l’aura du théâtre africain en Europe. Comédien de formation, le créateur ivoirien s’est fait un nom en tant que dramaturge et écrivain. Le créateur s’est ouvert à nous. Entrevue.
Comment êtes vous arrivé au théâtre ?
Au départ, c'est le cinéma que je voulais faire, mais à l'Institut National des Arts d'Abidjan l'école de cinéma venait de fermer. Je me suis alors inscrit au cours de théâtre, en attendant que la section de cinéma rouvre. Là, j'ai découvert que ce que j'avais vraiment envie de faire, c'était le théâtre ... L'écriture est venue bien après.
Aujourd’hui, vous êtes écrivain…
Au théâtre, ce sont les autres qui font d’un auteur de texte un écrivain, contrairement au roman où avec une œuvre médiocre, on est écrivain pourvu qu’elle soit éditée. Le théâtre demande la rencontre d'un autre, d'un metteur en scène, un comédien… il repose sur le désir de l'autre. Je me suis rendu compte que j’étais écrivain quand j’ai réalisé que la moitié de la trentaine de pièces que j’ai écrites étaient des commandes. Et maintenant, j’ai écrit un roman…
Qu’est-ce qui a poussé le dramaturge que vous êtes à se faire romancier ?
Avant, outre le fait que je voyais l’écriture romanesque comme un truc de vieux où il faut simplement s’armer de patience, contrairement au théâtre qui a besoin, du moins par rapport à ma démarche, de vitesse, d’énergie et d’hérésie, je pensais que ça n'avait aucun intérêt pour un dramaturge d’écrire un roman. Les Africains, même s'ils écrivent de la poésie ou du théâtre éprouvent presque systématiquement le besoin d'écrire un roman pour homologuer leur statut d'écrivain. (…) Mais j'ai écrit ce roman parce qu'il y a eu la guerre en Côte d'Ivoire, et … ma responsabilité d'écrivain ivoirien m'a poussé à faire un travail d'exploration sensitive. C’est ainsi que j’ai écrit « Babyface ». J’ai changé de genre pour marquer le coup. Au passage, j’ai révisé mes positions initiales sur l’écriture romanesque et crois même que désormais je vais écrire plus de romans que pièces de théâtre.
Babyface a obtenu à Abidjan, le Grand Prix du Roman. Comment avez-vous accueilli ce prix ?
J'ai été très touché par ce prix. Je parlerais même de fierté. D’autant plus que « Babyface » est né d’un sentiment confus de culpabilité car la tragédie m’a rappelé que je vivais désormais, que je le veuille ou non, relativement loin des tourments de mon peuple. « Babyface » était une façon dérisoire de prendre ma part de paix. D’autre part ce prix entretient une vie et une émulation littéraires dans le pays, ce qui est, par les temps qui courent, une forme de résistance à la barbarie (…)
Suivez-vous l’actualité littéraire de la Côte d’Ivoire ? Y a –t-il des écrivains que vous appréciez ?
J’aime bien Tiburce Koffi qui est un ami. Je lui ai d’ailleurs dédié une de mes pièces ; lui aussi m'a dédié son recueil de nouvelles. C'est dommage que son écriture n'ait pas encore rencontré les espaces où on pourrait en faire la promotion. C’est une question de chance. Il a du talent et avec ce que j'ai lu de lui en théâtre, je peux dire que c'est un grand.
Quand vous parlez « d’espace de promotion », est-ce un appel à « la fuite des plumes » ?
Il est évident que nos maisons d'éditions n'ont pas de force de frappe, non pas pour imposer un auteur, mais pour qu'on en parle tout simplement. Une œuvre est comme un enfant, on veut pour lui de bonnes conditions et un meilleur avenir. Un écrivain n'a pas les mêmes intérêts qu'un éditeur. Il doit chercher les meilleures conditions pour la publication de son livre. Si cela peut se faire ailleurs, tant mieux. Si ça ne se fait pas, il n'y a rien d'infamant.
Quel regard portez-vous sur la littérature africaine en général ?
Au niveau de l'écriture pure, le roman est en retard sur le théâtre. Il n'y a pas, pour ce que j’ai pu lire, d'évolution depuis les Olympe Bhêly-Quenum, Bernard Dadié, Ferdinand Oyono... Les thèmes se sont relativement « déplacés », mais pas la réflexion sur les questions formelles. Aujourd'hui, la littérature romanesque a besoin de rupture. La génération n'est pas une question d'âge, c'est une question de rupture. Il y a des ruptures qui ont été faites au théâtre, il reste à en faire dans le roman. (…)
Quelle appréciation portez-vous sur le théâtre en Côte d’Ivoire aujourd’hui ?
Je ne suis pas retourné en Côte d'Ivoire depuis 1999. Je ne peux donc pas vraiment en parler… Rappelons simplement que le théâtre est la base, le socle de la littérature ivoirienne, avec des « ancêtres » comme Coffi Gadeau, Bernard Dadié et surtout Amon d’Aby … Mais il y a eu une cassure au début des années 80. Ce que je constate en général, c’est qu’à l'époque, une pièce montée était jouée pendant au moins un mois. Aujourd'hui, c'est impossible de jouer une pièce plus de trois jours. …Depuis qu’ils ont commencé à s'intéresser au théâtre dit africain, à vouloir, à coups de fonds et de structures en tout genre, sauver le théâtre africain d’on ne sait quel abîme, on assiste à un net recul du théâtre dans tous les pays. Le théâtre n'est plus joué en Afrique, et l'espace théâtral devient comme celui des produits agricoles, le café, le cacao… On produit ici, mais c’est consommé ailleurs. Ce théâtre qu'on « exporte » devient un théâtre d'images pittoresques, de chants et de danses simplement parce qu’on n’attend pas de « sens », de mise en crise du théâtre africain, on attend qu’il soit frais et naïf. Sorti de là, vous n’êtes plus africain… Mais le théâtre a besoin d'écriture, pour une vraie densité, pour une vraie pertinence. C'est ce genre de spectacles sans « écriture » que viennent chercher les programmateurs et directeurs de festival et qu'on montre en Europe au nom de l'Afrique. … Si au moins ces spectacles faisaient des tournées en Afrique cela entretiendrait une vie théâtrale, source d’émulation pour les créateurs.
Et les différents courants du théâtre ivoirien ? Le Didiga par exemple ?
Le Didiga, qui en parle aujourd'hui ? Quand il (Bernard Zadi) est devenu ministre, on n’a plus entendu parler du Didiga. Ça ne regardait que lui et lui seul. Pour moi, cela a eu l’intérêt, à un moment donné, de relancer la saine propension ivoirienne à la rupture dans le domaine théâtral, comme avant lui la Griotique de Niangoran Porquet ou le Kotéba de Souleymane Koly. A part cela, le Didiga n’était pas fondamentalement opératoire, c’était plutôt de la performance au sens anglo-saxon du terme. Un vrai mouvement, quand celui qui l'a créé « n'est plus », il y a toujours quelqu'un qui prend la relève pour en repousser les limites. Mais le Didiga n'a concerné qu'une personne, à une période donnée.
Vous restez malgré tout un illustre méconnu en Côte d’Ivoire…
Je ne cherche pas à être connu en Côte d'Ivoire, mais à écrire des choses qui, après ma mort, reviendront un jour en Côte d’Ivoire. Mon théâtre est beaucoup plus joué à l’étranger, dans d’autres pays, à ce titre c’est aussi le même imaginaire ivoirien qui se déploie autrement sous d’autres latitudes. Mon rêve c'est que ces pièces soient montées régulièrement en Côte d’Ivoire même si on trouve que c’est une écriture de Blancs, ce que je renie pas bien que je trouve cette conclusion hâtive, puisque quand elles sont jouées en Afrique les gens y adhèrent immédiatement comme « Big Shoot » à Conakry puis à Dakar, ou « Il nous faut l’Amérique ! » à Abidjan. Récemment, on a présenté « Jaz » à Libreville, ça été un succès. J’aimerais par ailleurs pouvoir faire des ateliers d’écriture et de jeu en Côte d'Ivoire pour susciter une vraie émulation. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on produit, les actes qu’on pose, le reste c’est du vent.
Interview réalisée par
Edwige H. Rosemonde
in le nouveau courrier du 14 decembre 2012
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