LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Interview de Lassina Kéita, poète, auteur de "Debout, Dignité"

Lassina Kéita a publié, cette année 2013, un recueil de poèmes intitulé « Debout, Dignité » aux éditions dhart au Canada. Tous ceux qui ont lu le livre ont été frappés par la profondeur de ses vers où s’élèvent en écho tous les cris de douleur et d'espoir de l’Afrique. En attendant la présentation de son œuvre  au grand public qu’il prépare minutieusement, nous l’avons rencontré. Dans cette entrevue, le poète avec chaleur, lève un coin de voile sur ses écrits...

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Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Qui suis-je, me demandez-vous ? Je suis celui qui ne se connait pas. Je suis celui, qui apprend, je suis un apprenti. Amoureux de la sagesse aussi bien que des lettres, vous me trouverez assis au pied de l’immense Kailcédrat, près du feu, dans la cour de ceux qui savent, pétrissant les mots, psalmodiant la geste de nos pères, élevant au ciel des  litanies pour que revive l’Afrique « des fiers guerriers ». Vous me trouverez également auprès des penseurs libres, dans le cercle des poètes propageant l’étincelle divine. Dénonçant les travers de la société, avertissant nos semblables, ou saluant les faits sacrés, les actes de grandeur posés par nos frères, nos ainés ou nos pères.

 

L’Afrique occupe une place centrale dans  vos textes. Croyez-vous en votre continent ? Plaidez-vous pour un retour aux sources ?

Oui, je crois au continent ! Autrement, je ne me battrais pas pour qu’il recouvre sa DIGNITE. Je plaide effectivement pour un retour aux sources. Par retour aux sources, j’entends l’imitation des modèles qu’ont été Soundjata KEITA, Mansa Kankou Moussa, Béhanzin Hosu Bowele, IMHOTEP, Moshoeshoe, Mutato… Car je comprends mal, que les Africains, descendants de ces illustres Rois, en soient là ? incapables de transformer le mil en bière, comme le dit le proverbe. Mais, je ne serais pas mécontent  de proclamer un néo-bossonnisme, si cher au maitre Jean-Marie Adiaffi. En militant pour la défense et l’illustration de nos us et coutumes : des traditions, les Masques, les écoles initiatiques, les forets, les mers…

 

Face à la décrépitude de l'Afrique, vous n’avez rien trouvé qu’adresser une lettre à Léon Gontran Damas (un défunt)

Comme vous le savez, Damas est l’un des pères de la Négritude. Je lui écris pour lui dire que le désastre, qu’il dénonçait en 1937 dans son poème intitulé « Le Hoquet », n’est pas près de s’estomper. C’est un hommage, un appel aux nôtres pour dire que le combat de la Négritude doit être poursuivi. Et que nous devons redoubler d’efforts aujourd’hui plus qu’hier.

 

Le titre de votre recueil, Debout, Dignité présuppose-t-il que l’Afrique souffrirait d’un déficit de dignité ?

Oui, l’Afrique va toujours mal ! Sur tous les plans, en effet, nous avons encore des difficultés. La démocratie n’en est pas une, l’économie est en panne, les populations, au niveau social, se plaignent de la vie chère, l’armée reste un véritable tigre en papier! Et le cas du Mali est non seulement illustratif à cet égard, mais il nous interpelle…Après cinquante années d’indépendance, c’est la désillusion, le désenchantement. Dans ces conditions, le poète ne peut pas croiser les bras « en l’attitude stérile du spectateur », comme l’écrivait justement Césaire. Il doit tirer sur  la sonnette d’alarme. Et c’est ce que nous faisons à travers « Debout, DIGNITE ». Il doit demander au peuple de se mettre débout  pour ramener la démocratie, il doit exiger des dirigeants, qu’ils se mettent debout  pour renverser les vapeurs  en dotant nos pays d’une armée puissante, en imaginant une politique économique avant-gardiste, qui facilite le cout de la vie, renforce le pouvoir d’achat…Mais, rien n’est perdu, l’Afrique peut atteindre  l’émergence et redevenir un grand continent.

 

La parole incantatoire traverse certains de vos textes tel le poème "Qu'il pleuve des joies". Croyez-vous aux vertus de l'incantation?

 

Bien sur, que j’y crois ! Mais dans ce poème, l’incantation transcende la dimension magique. Il y a une transmutation de l’incantation en invocation. C’est la prière ! Qu’il pleuve des joies est un hymne à l’Amour, un chant de conscientisation, une supplique au pardon, car la Cote d’Ivoire a besoin de pardon après toutes ces crises, que nous avons vécues. Ce poème est une prière, dans laquelle je demande à Dieu de ramener la paix entre les fils et les filles de ce pays, de nous pardonner et de nous réconcilier !

 

Le titre éponyme semble être l’épine dorsale de votre livre.

Pas véritablement, car chaque section du livre, qui en compte trois, a un titre phare, qui peut-être aussi l’épine dorsale du livre. Ainsi en est-il de : Le Féticheur, dans la section nommée Cosmos, et A la femme inconnue  dans la dernière partie : Principe féminin. Tous les textes se tiennent.

 

Vos textes sont teintés de la parole des grands griots de l’espace Mandingue. Avez-vous des ascendants  griots ?

Non, pas du tout ! Permettez-moi de vous rappeler, humblement, que je suis un prince KEITA[1] , dont l’histoire est narrée dans l’œuvre magistrale de Djibril Tamsir Niane. Il faut comprendre alors que la société mandingue est organisée. Et que dans celle-ci, chacune des composantes remplie une fonction bien précise. Dans le cadre de cette interview, nous n’allons  parler que de la fonction du griot. Telle qu’elle est relatée par un griot, le griot Mamadou Kouyaté, qui déclarait : « Je suis griot. C'est moi, Djeli Mamadou Kouyaté, fils de Bintou Kouyaté et de Djeli Kedian Kouyaté, maître dans l'art de parler. Depuis des temps immémoriaux les Kouyaté sont au service des princes Kéita du Manding: nous sommes les sacs à parole, nous sommes les sacs qui renferment des secrets plusieurs fois séculaires. L'Art de parler n'a pas de secret pour nous; sans nous les noms des rois tomberaient dans l'oubli, nous sommes la mémoire des hommes; par la parole nous donnons vie aux faits et gestes des rois devant les jeunes générations» (Djibril Tamsir Niane Soundjata ou l'épopée mandingue. Paris. Présence africaine. 1960. 212 pages). Dans mes textes, cette fonction n’apparait pas. Vous remarquerez même que la fonction du griot se limite à la parole. Et que le Roi dispose de l’action,  en plus de la parole.  L’histoire est encore récente et il vous souvient certainement, que le Mali a vécu l’une des périodes les plus tristes de son histoire. Et qu’il fallait donner de la voix pour que ce peuple puise des forces au plus profond de son histoire pour retrouver non point son lustre d’antan, mais à tout le moins, l’intégrité territoriale, la démocratie…

 

Mais consciemment ou inconsciemment, vos textes portent les marques de l'oralité africaine et mandingue dont les maîtres, les détenteurs sont des griots. Autrement dit les influences que vous avez subies sont profondément africaines.

Absolument, nous sommes le fruit de ce milieu. Comme je le disais précédemment, ce sont les griots, qui portent la parole des rois, mais non le contraire.

 

Une section de votre livre est consacrée à la femme. Vous semblez lui attribuer une image hybride, mitigée, double. Un commentaire?

Une image hybride de la femme ? Non pas vraiment. Il reste que la femme est un tout. Ni ange, ni démon, elle demeure fascinante. Et les sages nous ont appris à respecter la femme. C’est pour cela que nous lui rendons hommage à travers une section entière. Ils ne sont pas nombreux, ceux des hommes qui connaissent la femme. Car elle reste énigmatique pour beaucoup. Et c’est dans cette  quête de la connaissance de la femme, que nous lui attribuons toutes ces images.

 

Dans la partie du livre intitulé : « Cosmos », peut-on  dire que vous abordez des questions spirituelles, plus mystiques ?

Oui, c’est cela ! Cette partie, comme son nom l’indique est consacrée aux questions métaphysiques.

 

Les mots du féticheur sont-ils un défi aux pratiquants des religions dites révélées ?

Non, pas du tout ! Car le poète ne défie pas ses contemporains, moins encore les instances qui ont une incidence positive sur la société.  Si nous ne demandons pas à nos contemporains d’ouvrir les yeux sur leur environnement, nous y dénonçons l’hypocrisie sociale. Notamment, de ceux qui le jour clament leur appartenance aux religions, mais qui la nuit rasent les murs en quête des faveurs des féticheurs. Ils disent que les féticheurs sont des païens, mais pour peu qu’ils  croisent un chat noir à un coin de rue, ils courent consulter, pour selon eux, conjurer le mauvais sort. Donc, le « Féticheur » est plutôt un texte engagé, de dénonciation, de méditation plein d’allusion et d’images, qui partent des mouvements philosophiques, jusqu’à proclamer l’unicité de Dieu. En passant par les écoles traditionnelles comme le poro, les instances de générations…

 

Certains de vos poèmes me semblent puiser leur substance dans les croyances animistes…

Croyances animistes ? Religieuses ? Philosophiques ? Le poète ne se préoccupe pas de toutes ces barrières là ! Ma poésie est faite pour les humains sans distinction aucune de race ni de religion... Cela montre justement que le poète transcende tous les clivages, qu’ils soient politique, sociaux, économiques, religieux, philosophiques, etc. Ma philosophie étant celle de l’universel, je refuse les barrières tout en m’inscrivant dans le droit fil de la conception de Horace, qui disait : « Humo sum, et humani nihil a me alienum puto » ; ce qui veut dire : « je suis un homme, et rien de  ce qui touche les hommes ne m’est étranger ».

 

Pourquoi publier un livre au Canada ? Peut-on disposer du livre en Cote d’Ivoire ?

La publication du livre au Canada relève de la volonté de Dieu. Mais, il se trouve que le livre ne peut être disponible pour l’instant en Cote d’Ivoire. Cela est vraiment difficile à constater. Mais nous travaillons durement à faire venir les livres au pays. Inch’Allah, nous y arriverons.

 

Que répondez-vous à ceux qui  disent que les ivoiriens n’aiment pas la poésie ?

Ce n’est pas faux. Beaucoup de nos compatriotes ne sont pas ouverts à la poésie. Car  le genre est réputé abscons. Or, il n’y a aucune activité de vulgarisation autour,  cela fait que les populations s’en éloignent.  S’il y avait de grandes émissions de télé ou de radio, ou encore des espaces dédiés à la poésie dans plusieurs journaux comme les vôtres, qui partageaient des poèmes, qui véhiculaient la beauté de la poésie à longueur de semaine, vous verrez qu’ils y auraient un regard différent. Les populations trouveraient la poésie magnifique. Mais, hélas on en est là à ne promouvoir que la musique sous toutes les coutures.

 

Interview réalisée par ETTY Macaire

in Le Nouveau Courrier du 11 octobre 2013



 



14/10/2013
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