RENCONTRE AVEC AMIDOU CHEICK SOILE (Poète) auteur de Envoûtements
SCA: « Je refuse le magister d’autrui, même si je suis sur le sentier périlleux de l’apprentissage »
Il s’appelle Amidou Cheick Soilé. Il est professeur de lettres modernes. Au début de l’année 2012, il publie Envoûtements, une œuvre poétique chez dhart éditions au Canada. Nous l’avons rencontré. De cet échange, transpire la virtuosité d’un poète talentueux…Entrevue.
Votre première œuvre littéraire en tant qu’artiste est poétique…Est-ce un choix lucide ?
Apparemment, non ! Le récit est certes très prisé mais cela ne devrait pas signer l’arrêt de mort des autres genres. D’ailleurs, les auteurs dont j’ai accidentellement emprunté la trajectoire ne sont guère forcément des nains dans la classe littéraire. Et ils sont nombreux ces poètes dans l’âme que sont Baudelaire, Rimbaud, Senghor, Césaire, David Diop, Josué Guébo … Ils ont commencé à écrire en apprivoisant la princesse que reste la poésie. De plus, est-ce vraiment un choix ? La muse, c’est elle qui fait le coït avec mon esprit afin que j’accouche les vers. Je l’écoute…Et puis enfin, une opportunité inouïe s’est offerte à moi grâce aux Editions dhArt. Je ne pouvais pas cracher là-dessus.
Vos poèmes sont succulents. Vous avez le goût des images et une aisance dans l’utilisation des métaphores. D’où vous vient ce talent ?
Tout petit, j’ai tété à la mamelle de la tradition orale en écoutant ma mère et surtout sa coépouse qui a l’art de la parole. Bien sûr, mes lectures ont permis d’aiguiser ce goût semé en moi dès l’enfance. Je suis un admirateur de Senghor pour sa manière de ciseler l’image. Dans mon cas, il n’est pas trop juste de parler de talent. J’estime qu’il n’y a aucun mérite à être inspiré. Foncièrement, je crois que le poète est un être transfiguré, en transe, qui trempe sa plume dans l'encrier divin pour peindre sa toile esthétique sous la dictée de sa muse, le paraclet entre lui et Dieu. Jamais, on ne peut demeurer dans un état normal pour féconder les mots qui laisseront éclore la vie dans des vers envoûtants. (…) Je suis un héritier du Démiurge éternel.
En lisant les dates de la production de ces poèmes, on a envie de dire qu’ils n’ont pas été écrits selon un fil conducteur préétabli mais selon votre inspiration du moment, selon les lieux et les circonstances…
Ce sont là les aspects positifs de la technologie. Grâce à elle, j’ai collectionné mes poèmes. Accroc d’Internet, j’ai fait la connaissance de Doumbia Adam, un jeune affable qui m’a fait découvrir un espace d’échanges sur Facebook, le Café Littéraire, groupe créé par le Benjamin Soro. Là, je ferai la rencontre de mes débuts en tant qu’écrivain de M. Dramé Haroun, le boss des Editions dhArt du Canada. Et c’est parti ! Jamais je n’ai décidé d’écrire un texte. Sans vouloir donner dans le sensationnel, humblement, grâce à ma sensibilité, j’ai la chance de savoir écouter la nature qui me parle et m’inspire. Moi, je ne suis qu’un modeste traducteur de codes.
Votre vie se profile à travers les poèmes. Vous êtes d’une grande sensibilité. Ai-je menti ?
Là, vous avez vu juste ! J’ai presque la sensibilité à fleur de peau. Si l’on parvient à forer au cœur de tous mes poèmes, ce pourrait effectivement être des pans entiers de mon parcours terrestre. A travers l’œuvre, je dis exactement ceci dans « Les oreilles déchaussées »: « Le poète dévoile son moi/En violant les tabous qui menacent la vie de son luth ». Cette trame mienne est aussi le vécu de nombre d’humains. Et en cela, je suis d’accord avec Hugo qui estimait dans la Préface de Les Contemplations qu’en parlant de lui, il parle de ses lecteurs.
L’amour hante vos poèmes. A-t-il une grande importance dans votre existence ?
Bien sûr ! Je me flatte d’être un Homme normalement constitué. L’amour est mon kérosène. D’ailleurs, ma prochaine œuvre poétique est dédiée à l’amour avec ses facettes délicieuses qui se noient souventes fois dans les tourments du spleen.
L’image de la femme qui se dégage dans vos poèmes semble être contrastée. Un mot là-dessus ?
La femme est à l’image de son alter ego que je suis. Moi, je crois réellement en la dualité dans les choses. Nous sommes capables de mal et de bien. C’est la loi qui nous régente. Souffrez que je ne sois pas absolu comme Thomas Hobbes ou Rousseau quant à leur conception de la nature humaine. La femme est donc une fontaine de délices qui peut se métamorphoser en un bourbier mortel pour les guignards.
Votre poème « Envoûtement », est un bijou. Dans quelle condition a-t-il été écrit?
Un bijou ? Je considère ce compliment comme un encouragement à mieux faire. …Ce texte est le produit d’une folle inspiration. En pleine crise militaro-politique à Bouaké, je venais de traverser des tourments sentimentaux et un jour, soudainement, la providence a serti mon chemin d’une pépite féminine. Puis mon cœur se remit à suinter d’odes amoureuses pour fleurir de désirs ardents. J’étais envoûté, d’où le titre et la dédicace.
Ah oui, justement la crise socio-militaro-politique que connait la Côte d’Ivoire occupe une place de choix dans votre recueil.
Je l’ai vue, touchée et subie. Sans oublier qu’elle a profondément balafré mon pays. Comment le témoin oculaire que j’ai été pouvait rester muet devant tant d’exactions et d’humiliations endurées par mon peuple ? Non, ma muse m’interdisait cette posture de lâcheté. (…) Ce serait une forme laide d’infirmité à mon art.
Oui, en effet et je note que le poème « La nouvelle Jérusalem » a un fond idéologique très clair…
Oui, ce texte dégouline d’idéologie ! Ce pays est devenu, par la volonté de Houphouët Boigny, une terre d’accueil, une véritable oasis dans le « désert » environnant avec un taux inacceptable d’immigration sauvage. Aujourd’hui, cet aréopage de ressortissants de diverses contrées est un atout mais aussi un boulet détonnant au pied de notre jeune nation. J’exhorte nos frères étrangers à se fondre dans le moule ivoire en cultivant l’humilité, la sincérité et l’amour envers leurs hôtes ivoiriens. Ce message s’adresse aussi aux Ivoiriens eux-mêmes qui devraient montrer qu’ils méritent respect absolu. C’est à ce prix que nous pourrons les accepter et goûter avec eux au nectar du « Vivre ensemble » biblique.
Une exégèse lexicologique et onomastique de votre recueil nous révèle que vous êtes encore sous l’influence de grands poètes français…
Oh non, je ne crois pas ! Non ! En mon for intérieur, je ne suis sous aucune influence d’auteurs.
Je note des termes et des noms comme « alcôve », « colombe », « germinal », « lyre », « pétales » « Zeus » « Pénélope »« Aphrodite » « Phèdre » « Dionysos » « Orphée » « Diane »… qui renvoient à la civilisation occidentale.
Les substantifs relevés sont certes inhabituels pour le commun des lecteurs d’ici, mais c’est tout de même des mots de la sublime langue française, cet héritage découvert par nous sous les décombres de la colonisation. Pour les noms de la mythologie grecque, je considère que c’est un segment du patrimoine universel. Et je l’exploite à ma guise. Mais je le concède, j’ai été ébloui par le module « Civilisation occidentale » quand j’étais étudiant à l’ENS; j’ai beaucoup lu Les Métamorphoses d’Ovide.
Il y a certainement des poètes qui vous ont influencé …
Je ne crois pas être un écrivain influencé. Toutefois, je reste admiratif devant la qualité de la plume de certains anciens et contemporains tels Senghor, Ronsard, Rimbaud, Hugo, l’éternel Baudelaire, Jean de La Fontaine, Apollinaire, N’débéka, David Diop et ses fougueux Coups de pilon… En Côte d’Ivoire, je lis avec volupté Zadi, Dadié, Tiburce Koffi (ah lui, j’ai un faible pour lui). Les jeunes Cédric Marshall Kissy et Aimé Comoé sont à encourager. J’ai apprécié aussi l’esthétique et l’audace de Josué Guébo dans Mon pays, ce soir, même si je ne partage pas totalement sa lecture de la crise ivoirienne. Vive la liberté d’expression !
Pour moi, vous êtes un bon poète ; mais vous serez un grand poète le jour où vous allez vous affranchir des « maitres ».
(Rires)… C’est que je suis déjà un grand poète ! (rires) Soilé Cheick Amidou ne porte aucune chaîne de captivité poétique ou intellectuelle. Il ne fait pas comme Un tel, il suit sa propre trajectoire pour s’exprimer(…) Je suis très indépendant d’esprit et ceux qui me connaissent peuvent en témoigner. Je refuse le magister d’autrui, même si je suis sur le sentier périlleux de l’apprentissage.
Votre livre a été publié par dhArt éditions, un éditeur basé au Canada. Des raisons particulières ?
Se faire éditer en Côte d’Ivoire est un vrai parcours du combattant. Souvent, il faut être du cercle d’amis des promoteurs des maisons d’édition. (…) Dans mon cas, c’est au Canada qu’un éditeur, Dramé Haroun, a cru en ma modeste plume à travers Envoûtements. Comment ne pas lui rendre hommage ici ? DhArt publiera très prochainement ma deuxième œuvre. D’ailleurs, il a plusieurs nouvelles sorties dont La rébellion de Zantigui de Mahoua S. Bakakayoko, Les prisonniers de la vie de Sylvain Takoué, Gloire et Déclin apocalyptique d’Etty Macaire…
Pour le moment votre livre n’est pas dans nos librairies. Comment s’en procurer ? Est-il prévu qu’il soit disponible en Côte d’Ivoire dans les semaines à venir ?
Du fait que mon recueil n’est pas pour l’instant dans les librairies ivoiriennes et africaines est un handicap majeur que l’éditeur est en train de résoudre en réfléchissant à des partenariats avec des imprimeurs locaux. Mais d’ici là, les lecteurs, surtout ceux de Vavoua (où je réside) et d’Abidjan, pourront tenir dans leurs mains d’ici fin novembre Envoûtements. Sans oublier que l’on peut aussi passer commande sur amazon.com. La version électronique est aussi au menu avec Kindle. A dhArt, on a le souci de la qualité du service pour que prospère la littérature dans toute sa splendeur.
Interview réalisée par
ETTY Macaire
in Le Nouveau Courrier du vendredi 09 novemvre 2012
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