Interview/ Moïse Karim, auteur de "Silences coupables"
Il s’appelle KARIM Moussi-Baho Moïse. Il est prêtre du diocèse de Grand-Bassam. A la fin du mois de juillet 2013, il publie aux éditions du Cerap, son premier ouvrage littéraire, un recueil de nouvelles, intitulé « Silences coupables ». Après sa première dédicace qui a eu lieu à la paroisse de Koumassi, l’écrivain a bien voulu s’ouvrir à nous.
Pourquoi votre choix s’est-il porté sur la journaliste Agnès Kraidy pour la rédaction de la préface, qui, on le sait, n’est pas tendre envers le christianisme ?
D’entrée de jeu, notons que Silences Coupables… n’est pas une œuvre religieuse. Agnès Kraidy n’a pas préfacé un texte faisant l’apologie d’un christianisme quelconque. Elle a tout simplement préfacé une œuvre littéraire. Qui connait Agnès Kraidy, sait qu’elle une journaliste chevronnée. C’est une femme qui magnifie la beauté du verbe et aime le franc-parler. Ce qu’elle est, correspond amplement au message que véhicule l’œuvre Silences coupables… Je crois qu’elle a dû profondément le ressentir quand elle a lu le produit final du livre et que je lui ai proposé de le préfacer. Pour ce qui est de ses positions au sujet du christianisme et même de toute autre chose, je fais remarquer qu’Agnès Kraidy a toujours eu le courage de ses opinions et que c’est cela même qui continue de me fasciner chez elle. Il nous faut apprendre à nous dire ce que nous pensons les uns des autres, sans animosité et hypocrisie, mais avec courtoisie et désir de voir s’améliorer notre vécu. Pour parler comme elle, au début de la préface du livre, citant M. Gandhi, je dirais aussi que: « Je ne m’intéresse qu’aux qualités des gens. J’ai moi-même des défauts, donc je ne permettrais pas de juger ceux des autres ».
Dans les nouvelles « L’Abbé Rosaire » et « Silence coupable » les personnages qui viennent se confesser sont tous de jeunes femmes. La femme et la confession occupent-elles une place importante dans vos réflexions ?
Pas particulièrement ! La confession et la femme n’ont pas un lien particulier dans mes cogitations. La femme, elle, occupe une place très importante dans les réflexions que je me fais au sujet de la vie, dans ses aspects de développement personnel ou communautaire, ainsi que relativement à ce qui pourrait permettre de sonner ce que j’appellerais, un jour, si Dieu le veut : ‘‘La révolte des femmes’’. Pour moi, la femme a un rôle très important à jouer dans l’histoire qui est la nôtre aujourd’hui. Il faut qu’elle sache en quoi il consiste et qu’elle le joue pleinement. Le monde a tendance à la détourner de cette sublime vocation. Il faut l’aider à la découvrir et surtout à se l’approprier (…)
La réponse de Momo à Maéva dans le texte épistolaire qui ouvre le livre donne à réfléchir. Pourquoi l’amour n’a-t-il pas suffi à une réponse favorable ?
J’avoue que je ne veux pas de sitôt rompre tout le silence autour de cette nouvelle épistolaire. Ma lettre à Maéva dit un peu mieux que ce qui ne parait, dès la première lecture. Comme je l’ai dit, je n’en dirai pas plus ! Toutefois, il faut retenir que le choix qu’a fait Momo ne peut lui permettre de répondre favorablement à l’amour de Maéva. Momo et Maéva s’étaient promis le mariage, un engagement pour le meilleur et pour le pire jusqu’à la fin de leurs jours. Avant la concrétisation de cet engagement, Momo sent un appel à devenir prêtre. Entre cette vocation et l’amour pour Maéva, il fallait faire un choix. Momo a fait celui qui, sans s’opposer à celui de Maéva, l’a fait s’éloigner d’elle. Il n’a pas répondu favorablement à l’amour de sa bien-aimée, parce qu’il s’est senti porté par un amour bien plus grand.
« Quand Allah laisse faire» est-elle une nouvelle autobiographique ?
Je suis né d’un père musulman et d’une mère chrétienne. Issa (le personnage principal du livre) est né dans une famille musulmane. Il a été renié par sa famille biologique. Moi, non ! Il meurt à la fin de l’histoire, peut-être à cause de la malédiction de son père. Bientôt, moi, je mourrai, c’est sûr ! (Rires). Pour l’heure, suis encore là. Non ! « Quand Allah laisse faire »… n’est pas une autobiographie.
Le thème de la mort hante votre univers littéraire notamment dans « Quand Allah laisse faire… » et «Médecin avant la mort ». Le lecteur a l’impression que souvent la mort est révélatrice de la faiblesse de Dieu…
Vous savez, je crois que nous n’avons pas encore bien assimilé et adopté la mort. La mort, c’est vraiment l’autre pan de la vie. La mort, elle est dans la vie, dans le programme de la vie. On est heureux d’aller à l’école, de travailler, d’avoir des enfants, de voir ses petits-enfants, de se voir un jour à la retraite après de bons et loyaux services. On trouve tout cela normal, mais on admet mal de savoir qu’un jour, à la fin ou même avant d’avoir franchi ces étapes, on fasse la rencontre de la mort. C’est cette perception de la vie ou même de la mort qui nous donne généralement le sentiment que la mort est révélatrice de la faiblesse de Dieu. Pourtant, à la vérité, la mort est révélatrice de la faiblesse et de la fragilité de l’homme. Apprenons à vivre avec la mort, avec l’idée de la mort. Paulo Coelho a dit que : « C’est en pensant généralement à la mort que les hommes font un peu plus attention à la vie ». Franchement, apprenons à vivre avec la mort. Car, de toutes les façons, elle ne fait que vivre avec nous.
Dans ma lecture critique de votre œuvre, j’ai eu à écrire que vous avez tu certains silences coupables. Qu’en pensez-vous ?
Dire que j’ai tu certains silences coupables peut ramener finalement à dire que l’œuvre a eu le mérite de les révéler. Dans votre critique, vous avez notamment noté que pour une fois, l’ange (pour parler du prêtre) n’est jamais déchu, même quand tout semble annoncer sa chute. Je crois que Silences coupables… a permis de rompre certains silences à ce niveau… Car tous les ‘‘anges’’ ne tournent pas le dos à la vérité et à leurs engagements. Certains y restent attachés, même au prix de leur vie. Vivement que Silences Coupables… aide à rompre tous nos silences, surtout ceux qui nous empoisonnent la vie.
Le monde de la prêtrise n’échappe pas à des déviations et vices comme l’homosexualité, la corruption, l’amour de l’argent. Votre avis ?
Hélas ! Certains des maux que vous avez énumérés ne datent pas d’aujourd’hui et bien d’autres ne font que s’y ajouter au fur et à mesure que le monde avance. Relativement à ce sujet, je crois trois choses. D’abord, je crois qu’il faut lutter contre les situations qui contredisent la vie et les engagements pris, surtout quand ces contradictions font plus de mal que de bien ; ensuite, je pense qu’il faut, à chaque individu, faire un peu plus attention à sa vie et à ce qui mériterait d’être transformé dans cette vie ; enfin, j’ai la ferme conviction que Dieu ne désespère jamais de l’homme, sinon il n’oserait pas le pari qui lui fait choisir des hommes pour faire son œuvre. Ne désespérons donc pas les uns des autres, car pour Dieu aucune cause n’est jamais perdue. Travaillons, nous, tout simplement, à ne pas perdre celles qui ne le sont pas encore.
J’avoue que j’ai été impressionné par le dernier texte « Dialogue avec le Maître ». C’est un texte de haut vol au double plan esthétique et idéologique. Puis-je y lire la désillusion ou les jérémiades d’un prêtre ? En fait quelle est l’idée qui sous-tend ce dialogue philosophique ?
Je vous remercie pour ce que vous dites au sujet de ce texte. J’avoue qu’il est le symbole et le texte-test d’un projet que j’entretiens depuis bien longtemps, qui je l’espère aussi, se concrétisera un jour. En fait, il y a dans ce dialogue-monologue ce que vous appelez : désillusion et jérémiades. Ce texte traduit bien toutes les situations et contradictions qu’on peut subir dans le métier qui est le nôtre. Il dit le trop-plein d’un cœur qui s’est laissé faire, qui s’est laissé vivre. Permettez-moi de reprendre une strophe de ce dialogue, pour tenter de vous le faire percevoir : « - Moi, je ne suis pas fait pour la Volupté. Ainsi, ils estiment devoir épier, Mes faits et gestes, d’une subtilité macabre, Pour savoir si je ne mange pas du fruit de l’arbre ; Du fruit de l’arbre interdit à certains Et qu’ils mangent, eux, même quand ils n’ont pas faim. Illuminés, névrosés, dévergondés, ivrognes… Fièrement, instinctivement, tous s’y adonnent… Avec la sensation de remplir une mission reçue de toi : Me faire éviter ce qui se passe sous leurs toits ! »… Ce texte dit les silences que le suiveur de Dieu aurait dû accepter de rompre au bon moment pour comprendre, se comprendre et se faire connaitre des autres. Il traduit aussi le mal-être dans lequel nous pouvons plonger certains parmi nous, à cause de tout ce que nous racontons à leur sujet. Finalement, ce texte traduit le ressenti de tous ceux qui ont pu se dire, au moins une fois : « Non ! », « Pourquoi ? », « Je n’en peux plus… » Il dit bien d’autres choses que j’espère que nous découvrirons à mesure que nous le lirons et l’approfondirons.
Merci, mon père, d’avoir répondu à nos questions.
C’est moi qui vous remercie, de m’avoir admis dans vos colonnes. Je reste ouvert aux commentaires et critiques de tous ceux qui ont lu Silences coupables… J’exhorte tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à le lire et à le faire découvrir. Je vous remercie.
Interview réalisée par Macaire Etty
in Le Nouveau Courrier du 06 septembre 2013
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