QUAND LES NOIRS AVAIENT DES ESCLAVES BLANCS: SERGE BILE REVELE LA GRANDEUR DE L’AFRIQUE
Kofiba éditions vient de rééditer au troisième trimestre 2011 pour la Côte d’Ivoire et l’Afrique le livre de Serge Bilé Quand Les Noirs Avaient Des Esclaves Blancs. Un titre déroutant, destiné à ébranler des « prêts-à-penser ». Avec la même verve et la même passion, ce livre est à la fois une négation et une affirmation. Non ! il n’est pas vrai que l’Afrique « n’est pas assez entrée dans l’histoire » ; non ! il n’est pas vrai qu’avant de se frotter à l’Europe, l’Afrique était un continent vierge de science, de littérature, d’organisation politique, de création culturelle. 130 pages ont suffi à Serge Bilé pour faire tomber des mythes. Des mythes forgés avec lucidité par des esprits respectables pour voiler « la lumière » africaine, étouffer le génie noir, pour au bout du compte, falsifier l’histoire en faveur de ceux qui se sont érigés en maîtres du monde. Oui ! L’Afrique aussi avait eu ses moments de gloire et de « grande érection ». Oui ! l’Afrique aussi a connu des époques superbes de conquêtes, de domination, de clairvoyance.
En effet, selon Serge Bilé, les Noirs d’Afrique ont connu, avant le déferlement des « Roses-d’oreille », l’écriture, les mathématiques, la calculette, les universités, les systèmes politiques bien établis etc. Autant de signes de grandeur et de noblesse qui prouvent que le passé de l’Afrique n’était point un chaos, encore moins un monde frappé d’immobilisme et d’obscurantisme.
Alors, avec une aisance discursive, il nous fait parcourir et (ré) découvrir les grands empires de l’Afrique occidentale : le Ghana, le Mali, le Shongay. Des lieux de gloire, de lumières et de bouillonnement culturel. Egalement, il nous aide à comprendre et à mieux apprécier ces grands rois qui ont marqué l’histoire africaine. Oui, l’Afrique peut s’enorgueillir d’avoir connu des hommes de lettres brillants, admirés du Soudan occidental jusqu’au Maroc, de grands rois ruisselants de prestige, des empereurs influents et d’autorité. S. Bilé a nommé les différents Kaya Maga qui ont écrit les pages les plus prestigieuses de l’empire du Ghana ; Soundjata Kéita, le fils de Sogolon, Kédjou, le redresseur de tort, le Mansa de justice dont les conquêtes et la bravoure ont immortalisé l’empire Mandingue, le Mansa qui a promulgué sous la forme d’une déclaration des droits de l’homme, la fameuse charte de Kouroukan Fouga (page 57) ; Kankan Moussa, le monarque éclairé, l’inventeur de l’école obligatoire, celui qui fut un pèlerinage d’un faste inouï à la Mecque en 1324 (page 75) distribuant lors de son voyage or et cuivre, convainquant les uns et les autres de la richesse de son pays ; l’Askia Mohamed qui se fit décerner, au terme de son pèlerinage à la Mecque le titre de calife du « pays des noirs », il fut un roi qui fut de l’intégration des Blancs une priorité au point de nommer un « ministre des Blancs » (page 104).
Serge Bilé à la suite de grands penseurs africains tels Cheik Anta Diop, Théophile Obenga, Niangoran Boa, Harris Fotê Memel et Joseph Ki-zerbo revisite l’histoire africaine en la débarrassant de ses croûtes entretenues, de ses maquillages mauvais et de ses oripeaux avilissants. Objectif : restituer l’histoire de l’Afrique à ses enfants. C’est à un exercice de démystification, de mise à mort de préjugés, des stéréotypes que s’adonne la plume du journaliste-chercheur. Il met fin à des légendes séculaires sur l’infériorité congénitale des Noirs, il démantèle des champs des complexes têtus arrosés par des discours teintés de racisme de grands philosophes occidentaux.
Selon lui, la grandeur, contrairement à ce que font croire les Occidentaux, n’a pas pour unique couleur le blanc. De même la race noire ne rime pas forcément avec enfantillage, petitesse, naïveté ou faiblesse. C’est l’exemple de ce quiproquo historique qui a fait croire au monde, sous la plume d’un historien français, que les quarante premiers rois qui ont régné sur le Wagadou, le berceau du premier royaume ouest-africain, étaient de « race blanche » (page 11). Serge Bilé avec une démonstration rigoureuse fondée sur des ouvrages d’historiens confirmés révèle l’erreur et rétablit la vérité. Et la vérité est que ces fameux rois n’ont jamais été blancs mais, « rouges » et que ce terme « rouges », dans certaines langues du Soudan occidental, renvoyait à la noblesse et à certaines considérations sociales. Dans la même veine, l’auteur, contrairement à certains préjugés sur la condition de la négresse, montre la place toute honorable qu’occupaient les femmes noires dans l’organisation sociale et politique en Afrique. En effet, dans certains royaumes, en Afrique occidentale, la sœur ainée du chef canton ou du roi avait une place prépondérante dans l’organisation politique du royaume. Cette thèse n’est pas sans rappeler la Grande Royale, le magnétique personnage de Cheikh Hamidou Kane dans son inimitable roman L’aventure Ambiguë.
Le livre Quand Les Noirs Avaient Les Esclaves Blancs n’est pas une exhortation du peuple noir à réduire les Blancs en esclavage, encore moins une exaltation des esclavagistes noirs. Certes, de grands rois africains ont eu des Blancs (berbères, arabes et européens) comme esclaves mais le but de l’ouvrage, c’est de faire retentir la grandeur de l’Afrique qui est loin d’être une terre maudite où vivent les descendants de Cham. Cet ouvrage est une invite au Noir à se décomplexer, à relever la tête et à se redresser. Au point de pouvoir dire : « il-est-bon-et-beau-et-légitime-d’être-negre » (A. Césaire, Cahier d’un Retour au Pays Natal).
Si le projet philosophique de notre auteur et celui de la Négritude se rencontrent au niveau de l’intérêt qu’ils portent tous les deux à l’identité noire, ils divergent sur divers points dans la mesure où l’essayiste ivoirien ne se contente pas de célébrer un passé mythique mais de le révéler (au sens photographique du terme) dans sa réalité historique. De surcroit, le journaliste-écrivain refuse la contemplation passive et l’idéalisation tous azimuts du Négro-africain d’hier. Ainsi, il ne porte pas de gants pour mettre en évidence, sans aucune complaisance, les guerres sanglantes, le gaspillage, l’esprit de lucre, les coups d’Etat, les intrigues, les trahisons, la naïveté, la cruauté, les sacrifices humains dont les Africains ont été coupables sur leurs propres terres. Comme pour dire : « Ne pensez pas que l’Afrique n’a pas connu de zones d’ombre ».
Ce qui impressionne dans le livre de Serge Bilé et « enfle » sa crédibilité en tant que document de référence, c’est la diversité de ses sources. L’auteur ivoirien ne se contente pas de convoquer les historiens africains pour nourrir sa démarche. Il puise dans les ouvrages et les témoignages des historiens et chercheurs de plusieurs origines et de différentes époques. Il sollicite le géographe andalou El-Békri, l’ethnologue malien Youssouf Tata-Cissé, l’historien arabe Ibn Khaldun, l’historien romain Dion Cassius, l’historien mauritanien Saïdou Kane, l’historien français Maurice Delafosse, le géographe marocain Al-Idrissi, le navigateur portugais Valentin Fernandes, l’auteur arabe Al-Zuhri, le globe-trotter marocain Ibn Battuta, l’écossais Mungo Park, l’auteur égyptien Al-Omary, l’écrivain iranien Ibn Hawqal, l’historien français Jean-Paul Roux, l’historien anglais Edward Lane, le chercheur américain Ivan Van Sertina etc. Un travail colossal de recherche, de documentation. Un travail studieux d’un passionné de vérité historique. Une question néanmoins : Pourquoi, nulle part, dans le livre, l’auteur n’a pas fait référence au savant Cheik Anta Diop, considéré par tous les chercheurs de la planète comme le pionnier dans la restauration de l’histoire glorieuse de l’Afrique ? Simple interrogation…
Ecrit dans un style agréable et plaisant, dans une langue simple et abordable, Quand Les Noirs Avaient Les Esclaves Blancs de Serge Bilé se laisse déguster aisément. Le livre (nous le rappelons) a été publié en Côte d’Ivoire par Kofiba Editions au troisième trimestre de l’année 2011. Il a paru la première fois chez Pascal Galodé en 2008. Du point de vue technique et esthétique, le livre - il faut le reconnaitre - mérite mieux. A l’éditeur de relever le défi lors de ses prochaines publications, notamment au niveau de la mise en page.
Publié dans LE NOUVEAU COURRIER du 11/11/2011 en Côte d'Ivoire
ETTY Macaire
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