LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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PASSION INTERROMPUE de yehni Djidji : L’Amour n’a que faire des principes


Les éditions Balafons ont publié au premier trimestre de l’année 2012, Une Passion interrompue, un roman de 198 pages dont l’auteur est Yehni Djidji, écrivaine ivoirienne.

 


 

Le titre, à  lui seul, en dit assez long sur le contenu de l’œuvre. Il évoque, en effet, une histoire de cœur.  L’image de la première couverture corrobore la première hypothèse de lecture. Nous sommes en plein dans la littérature sentimentale, dans le monde déroutant de l’amour, avec son cortège de joie, de larmes, d’illusions, de désillusions, de volte face…


Une intrigue plaisante


Samuel Vianney aime Virginie et décide de la présenter à sa famille. La rencontre annoncée gaie tourne au vinaigre. Sa nouvelle fiancée se trouve être est l’ex amie de son père George Vianney. Le passé, à petites touches, ressurgit et déconstruit leur idylle. Le couple implose. Virginie perd l’élu de son cœur …. mais porte en son sein un fœtus, le fruit de leur amour. Un brin d’espoir ! Samuel le jeune amoureux blessé n’est‑il pas, l’homonyme du Prophète Samuel de la bible ? C'est-à-dire « celui qui écoute Dieu ». Samuel, en effet, écoute la voix de sa génitrice et met son amour pour Virginie au-dessus des scrupules et des intrigues. Malgré les éclats de voix, les rancœurs et les blessures, le couple se reconstruit graduellement grâce à Claire, la mère de Samuel, qui par sa grandeur d’âme se met au-dessus de la mêlée. Un « happy end » qui apaise le lecteur épris des histoires à l’eau de rose.  Une Passion Interrompue épouse le style classique du roman d’amour. Un début prometteur, un milieu en déroute, une fin heureuse. 

La littérature sentimentale n’est pas l’enfant pauvre de la littérature ivoirienne. Ce sont les œuvres les plus lues. Au moment où les histoires d’amour comme une drogue attirent le lectorat les exégètes ragent de voir la littérature ivoirienne s’affaiblir du point de vue de sa forme.


Un puzzle amoureux à reconstruire


Le roman de Yehni cependant ne se contente de nous servir les tourments du cœur. S’il y aune qualité de l’écrivaine qui illumine les pages, c’est son sens de l’affabulation et son aptitude à enchevêtrer les faits. Elle nous offre une intrigue qui refuse la linéarité. Le passé, chargé de secrets et de zones d’ombre, refuse de s’évanouir. Il éclabousse le présent par de petits jets sournois. La plume de la romancière multiplie des flashbacks pour reconstituer le puzzle. Des portions de vie de George, Virginie, Barbara et Céline sont exhumées progressivement. Chaque jet de lumière du passé est cause de déchirure et de vertiges. L’histoire de cœur, c’est toujours une histoire d’espoir, de jouissance mais aussi de meurtrissures, de chantage et révolte. Blessure, trahison, déchirure…puis la réconciliation. La passion interrompue un moment…comme un fleuve turbulent suit son cours emportant avec elle les fautes, les faiblesses et les quelques dérapages qui participent par ailleurs à son charme.

Yehni, ici, semble militer en faveur d’un amour débarrassé des jugements des autres et autres principes sacrosaints. L’attitude de Samuel qui, transcendant  les scrupules et les qu’en qu'en-dira-t-on, accepte de reprendre sa fiancée malgré ses « iniquités » exprime le parti pris de l’auteure pour l’amour dans son état pur.

 

La problématique de l’éducation


Le roman Une Passion Interrompue nous entraine dans l’univers de la bourgeoisie. Malgré les apparences heureuses dues à l’artifice de l’argent, la famille Vianney est une famille en décomposition. L’histoire d’amour entre Samuel et Virginie semble fonctionner ici comme un révélateur des tourments et autres contradictions de la famille Vianney. Chaque membre de la famille souffre d’un « manque ». La famille Vianney reflète la situation des grandes familles des quartiers huppés qui derrière le voile de la richesse sont en proie au désespoir. Emportées par le chant exquis des espèces sonnantes, ces familles, souvent, se désagrègent et se liquéfient pendant que l’éducation de leur progéniture va à vau-l’eau. Les paroles de Claire sont pleins de sens, à ce propos, et sonne l’échec de l’éducation, par elle donnée à ses rejetons : « Qu’êtes vous devenus, mes enfants ? Je vous aime tellement mais je ne vous reconnais plus. » (p 181). Plus loin le narrateur enfonce le clou : « Claire avait la forte impression d’avoir raté l’éducation de ses enfants. Peut-être ne les avait elle pas assez aimés ? Le riche aussi a bien des soucis, comme l’éducation de sa progéniture. » (P183) « …elle agissait au détriment de ses enfants qui, de pensionnat en pensionnat, avaient fini par devenir de parfaits étrangers pour elle » (P 183). Yehni, ici pose la problématique de l’éducation des enfants dont la réussite se présente comme le socle sur quoi se construit la véritable famille. Celle qui allie solidité, entente et bonheur. L’éducation familiale ne doit en aucun cas être sacrifiée sur l’autel de la quête de la fortune.


Un roman est plus qu’une histoire

 

Ecrite dans une langue simple et fluide, l’œuvre de Yehni du point de vue de la langue « n’empoigne pas » le lecteur exigent. Si des œuvres comme Paul et Virginie ou Roméo et Juliette continuent de s’imposer comme les plus grandes histoires d’amour dans la littérature, c’est parce qu’elles sont portées par une écriture audacieuse, un style qui accroche. La force des descriptions et l’épaisseur psychologique des personnages par exemple sont des atouts majeurs qui participent à immortaliser l’intrigue qui a besoin toujours d’être intensifiée. Si Yehni a un talent certain dans l’art d’accoucher des belles histoires, s’il faut saluer sa force de l’affabulation, il faut cependant attirer son attention sur son écriture qui a besoin d’être mieux élaborée. L’art de raconter doit se soucier du « bien dire » et du « beau dire » qui sont les ornements qui assurent l’éternité. Yehni, qui est son premier roman, a une marge de progression qu’elle doit mettre à profit, en polissant ses phrases, en créant des images originales, en enjolivant ses tournures, en déroutant s’il le faut la structure classique des phrases. C’est ce qui distingue le livre La Saison des Amours Perdues de François N’Dah  D’Assise, par exemple, de la plupart des œuvres sentimentales qui foisonnent en Côte d’Ivoire.

Par ailleurs, Une Passion Interrompue, sur le plan technique, présente des déficiences qui diluent les efforts de la jeune romancière. Les phrases lourdes et ambigües foisonnent : « …tapis orientaux faits main » (page 16) « un nœud nouait son estomac » (p 44). Sur le plan technique, il faut le dire, la maison d’édition a manqué de vigilance. Des accouplements maladroits comme« Claireétait » (P 66), « cette filleest », « facticeaprès » (p 79) sont légion sur les pages. En somme, le produit n’a pas été bien peaufiné : la charge graphique manque d’attrait, le comité de correction a manqué de rigueur, la mise en page laisse à désirer …. Yehni Djidji qui est lauréate de quelques prix littéraires avant de publier son véritable premier livre mérite une meilleure assistance éditoriale.

ETTY Macaire

 

 

Yehni Djidji, Une Passion Interrompue, éditions Blalafons, Abidjan 2012, 198 pages



04/05/2012
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