LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

A la découverte de koffi kwahulé, l’écrivain nomade

 

 

Le théâtre en Europe est un espace hyper sélectif et hermétiquement fermé aux créateurs originaires du monde noir. Ils sont rares les dramaturges africains qui réussissent à s’y imposer ou à s’y faire un nom. Avec Wolé Soyinka, Sony Labou Tansi, Bernard Dadié, qui constituent les références africaines, il faut désormais compter avec Koffi Kwahulé. Il est Ivoirien et a débarqué en France depuis 1989.

 


 

Si le grand public ivoirien ne sait presque rien sur Koffi Kwahulé, dans le milieu des plus grands hommes de théâtre (auteurs, metteurs en scènes et acteurs) le nom est connu et prononcé avec déférence. Koffi Kwahulié, comédien de formation, ancien pensionnaire de l’Institut National des Arts, est un dramaturge de talent. En dehors de (ou avec) Bernard Dadié, il est le seul dramaturge ivoirien qui est joué régulièrement en Europe. Il est la main vigoureuse qui tient l’étendard du théâtre ivoirien en Europe. Comédien et écrivain, il est aujourd’hui un professionnel incontournable du théâtre. Pourtant, Koffi Kwahulé, encore élève à Abengourou nourrissait le rêve de faire du cinéma. Malheureusement (ou haureusement), à son entrée à l’INA, le département du cinéma est fermé ; il s’inscrit alors au théâtre. Il obtient une bourse et réussit au concours d’entrée à la Rue blanche (ENSATT) à Paris. L’occasion est on ne plus belle pour le jeune étudiant d’enrichir ses connaissances et ses aptitudes de comédien. Et comme pour se donner toutes les chances de devenir un artiste cultivé et complet, il étudie le théâtre à l’université de la Sorbonne Nouvelle jusqu’au doctorat.

Pendant les vacances, il revient souvent en Côte d’Ivoire pour monter ses pièces avec ses amis étudiants en art dramatique. Mais ses activités artistiques dérangent les autorités. Lors de la représentation de son œuvre Le Grand Serpent au centre culturel de Treichville, il est censuré et doit affronter le mécontentement du pouvoir. Bernard Dadié, alors ministre de la Culture, aurait même subi, à cette occasion, l’ire de Houphouët-Boigny. A Paris les bourses de Kwahulé et les étudiants qui ont participé à la représentation sont supprimées. L’artiste connait des moments de galère. Mais à force de travail et de recherche, il connait le bout du tunnel.

Koffi Kwahulé a publié une vingtaine de pièces théâtrales traduites dans plusieurs langues. Il a vu le jour à Abengourou en 1956. En 2008, pendant un mois, son œuvre a été mise à l’honneur au théâtre Le Lavoir moderne parisien à travers le projet Anima Kwahulé. En outre, l’œuvre de l’Ivoirien a occupé le devant de la scène dans les universités de La Sorbonne et de Saint-Denis. Pour un auteur africain et noir, l’honneur est immense.

La spécificité des pièces théâtrales de Koffi Kwahulé est qu’elles sont en rupture avec l’art dramatique africain. La langue de Koffi ne s’embarrasse pas de recourir au français populaire ivoirien (cf : Village fou et Le Grand Serpent). Pourtant, cette option, est loin de caractériser son œuvre dramatique. Koffi est avant tout et surtout un écrivain contemporain, un dramaturge novateur, voire révolutionnaire. Son œuvre échappe aux paradigmes et aux canons du théâtre africain. Pour lui, il ne s’agit pas de refléter la culture nègre mais de la continuer, de lui donner par la force de la pensée un dynamisme qui l’inscrive dans le futur et dans le monde. Il lui est souvent reproché sa trop grande distance d’avec l’Afrique. Mais une telle distanciation n’est pas fortuite. L’auteur lui-même s’explique en ces termes : « Le travail que j’ai essayé de faire a été de complexifier le rapport à l’Africain, de montrer qu’il a une identité mouvante. J’ai voulu créer des doutes, des failles, faire en sorte que les gens arrivent à douter de l’idée qu’ils se font de l’Africain, qu’ils reconnaissent sa capacité d’être en devenir. Ce qui fait peur aux esprits étroits, c’est cette zone de flou où il n’y a que des êtres humains, où sortis du cadre assigné les hommes peuvent se toucher, se rejoindre. C’est le résultat de la pensée qui devient culture. La culture ne doit pas devenir une cage pour la pensée. La pensée doit se déployer jusqu’à l’hérésie. Ce sont les pensées qui n’ont pas peur de l’hérésie qui sont créatives..

Cette marginalisation, cette audace est celle des vrais artistes, c'est-à-dire, des créateurs qui pour mieux s’affirmer optent les sens interdits, brisent les tabous.  Surnommé « l’écrivain nomade », Koffi Kwahulé va de pays en pays pour répondre à de nombreuses sollicitations. Il est de la race des créateurs qui ne supportent pas la tyrannie de l’uniformité, de l’immobilisme et des cadastres. Assoiffé de liberté, il est perpétuellement porté vers l’aventure. Ces pérégrinations lui ont permis de mettre sa science à l’abri de certains opportunismes faciles qui pervertissent le génie. Amateur de jazz, il adore « A love Suppreme »  de Coltrane. Koffi Kwahulé fait partie des plus grands artistes écrivains ivoiriens.

 

ETTY Macaire


in Le Nouveau Courrier du 17 août 2012



18/08/2012
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