« Opération Fournaise » de Régina Yaou : Un thriller au service de la satire politique
J’ai lu presque toute la production de Régina Yaou et j’avais déjà proposé des lectures critiques sur au moins trois de ses livres. En sus, je l’avais interviewée deux fois. Aussi, n’avais-je pas voulu, à la publication de ce dernier ouvrage, faire un papier.
Mais après avoir suivi les deux passages de l’écrivaine à la télévision nationale au sujet de ce thriller, j’ai changé d’avis. J’avais été surpris de constater que les journalistes étaient restés loin des problèmes politiques importants que soulevait le livre. Refus ou déficience ? Je ne saurais le dire. Toujours est-il que j’ai trouvé opportun de « révéler » les messages forts que l’auteure veut faire passer aux Africains.
Après « Dans l’antre du loup », Régina Yaou revient dans les librairies avec un autre thriller aussi torride que le premier. Le titre « Opération fournaise » nous installe dans une atmosphère incandescente.
Le continent de Chaka est-il condamné à être le lieu des complots et autres manigances politiceinnes ? Telle est la question qui, lancinante, taraude l’esprit du lecteur après avoir fermé ce livre. La constance, nous le savons, chez les chefs d’Etat africains est de se mettre au service des puissants afin de bénéficier de leur protection et exploiter de concert le peuple impunément. Faut-il se soumettre à cette donne ou s’y opposer au nom de la dignité et de la liberté ? Edgar Mèvakan est de ceux qui sont jaloux de leur liberté. Président de la république des Ebènes, il a choisi de ramer à contre-courant. Pour lui, il n’est pas question de courber la tête face au diktat des puissances occidentales. Les tentatives de coup d’Etat et les rebellions armées montées de toute pièce n’ont pas eu raison de sa détermination. Cette fois-ci, les ennemis sont décidés de le dégommer à tous les prix. Un nouveau complot soigneusement préparé est lancé : Pousser le président à distribuer du lait à la population fragilisée par les crises successives. Mais quel lait ! du lait empoisonné ! Empoisonné par des mains obscures. Comment peut-on décider d’exterminer la population juste pour éjecter un chef d’Etat ? Macabre entreprise ! L’impérialisme n’a pas de cœur. Le projet est mis sur les rails. Les résultats ne tardent pas : des morts s’accumulent. Edgar Mavékan est pointé du doigt. La révolte grogne. L’armée s’en mêle…
Le livre de Régina est une féroce satire. Satire plurielle : satire des relations, du maître et de l’esclave, du cavalier et du cheval entre les pays pauvres et les pays riches. Satire de la cupidité des Africains. Satire de la déification des chefs d’Etat mis sur un piédestal inaccessible. Régina Yaou, comme elle ne l’a jamais fait auparavant dans ses créations, met le pied dans le plat…de la politique. Inspirée par la situation de son pays, où la main indécente de l’Occident s’était promenée sans vergogne dans les affaires intérieures, l’écrivaine, par une fiction bien ficelée, nous invite à nous interroger sur l’Afrique. Son roman est un miroir qui renvoie aux Africains l’image de leur esprit de lucre, leur irresponsabilité, leur légèreté et leur révoltante serviabilité. Il s’agit également pour elle d’inviter les chefs d’Etat africains à comprendre qu’ils doivent être plus proches de leur population. Si le complot que révèle ce livre a pu avoir lieu c’est parce que le président-héros n’a pu être averti à temps en raison de son accessibilité. Faut-il désespérer de l’Afrique ?
L’auteure, elle, semble optimiste. Nous en voulons pour preuve le dénouement renversant de son thriller : « Edgar Mèvekan ! Alors que, selon la constitution, l’on était sur le point de déclarer la vacance du pouvoir et de prendre les dispositions, on vit surgir le président de la République des Ebènes, plus fringant que jamais. L’enfant terrible de la politique des Ebénoise avait été ramené, avec Sophie, la Première dame, et leur progéniture au grand complet, par un hors-bord de la marine nationale » (page 223).
Que faut-il en dire ? L’écrivaine ne joue-t-il pas dans la même division que le prophète ? Conformément à la liberté dont jouit l’artiste, Régina construit pour son héros une fin qui démontre clairement sa volonté de barrer la route aux complots.
Concernant, l’écriture, les nombreuses descriptions des problèmes familiaux d’Israël, à mon sens, cassent souvent le rythme du récit. Dans l’ensemble, cependant, Régina est en phase avec le thriller. Le suspense est encore au rendez-vous. Le lecteur est sujet à d’intenses frissons tant il est pris dans l’engrenage de la « fournaise ». L’aspect érotique est assuré par les relations complexes et concupiscentes entre Israël et sa maîtresse Zako. Avec Opération Fournaise, Régina signe son 23ème livre.
ETTY Macaire
Régina Yaou, Opération Fournaise, thriller, Nei-Ceda, 2013
In le Nouveau Courrier du 29 novembre 2013
A découvrir aussi
- MEMOIRE D’UNE TOMBE DE TIBURCE KOFFI : UNE FRESQUE POLYPHONIQUE ET POLYSEMIQUE
- LE JEU DE LA VIE DE CLEMENTINE CAUMAUETH : UNE NOUVELLE VISION DE LA CONDITION HUMAINE
- Un homme, un destin de Venance Konan : Un livre précieux !
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 284 autres membres