LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Un homme, un destin de Venance Konan : Un livre précieux !

 

La biographie n’est pas le genre littéraire le plus populaire en Afrique. Est-ce parce que les grands hommes se font rares ? Pourtant, elle s’offre comme un champ de modèles, de références, une source de leçons et d’inspiration. Venance Konan en publiant « Edem Kodjo : Un Homme, Un Destin » nous réconcilie avec le genre au niveau continental.  

  

Comment faire le portrait d’un homme qu’on admire sans tomber dans l’encensement et la flagornerie ? Quelle  approche adopter pour rester objectif ? Comment procéder pour ne pas laisser dans l’ombre des segments importants de l’histoire du personnage-sujet ? Comment et où enquêter pour réunir le maximum d’informations fiables et intéressantes ? A quelle esthétique recourir pour bâtir un texte biographie qui ne verse pas l’ennui à la lecture ? 


 

Des pièges à flots ! Autant de problématiques auxquelles Venance Konan était certainement confronté dans cette aventure...périlleuse. Jean Chalon nous avertit en ces termes : « La  biographie est une prison. Prison des dates, des faits, des fiches ». Nous sommes donc loin de la liberté que donne le roman. Le sujet est vaste et pour cause : Edem Kodjo est un homme de grande envergure. Et pourtant, il faut le cerner, le décrypter pour l’offrir comme miroir à la jeunesse, à l’Afrique. L’auteur ivoirien qui en a une conscience claire n’a pas lésiné sur… l’énergie et le temps pour réussir son pari. 


 

En parcourant le livre, on est tout de suite frappé par la minutie du travail de recherche et de fouille qui a été fait en amont. Dans le parti politique de Kodjo comme dans le camp de ses adversaires, à l’intérieur comme à l’extérieur du Togo, l’écrivain ivoirien a « pêché » un peu partout des éléments d’informations, des voix, des témoignages pour renseigner son livre. 

Soucieux de précision et de vérité historique, il se garde des affirmations hasardeuses. Et lorsqu’il doit rapporter les propos d’une personnalité sur un sujet précis, il choisit le discours direct. Cette option, omniprésente, obsédante peut surprendre souvent le lecteur dans une biographie ;  mais c’est un choix conscient que l’auteur assume. Il s’agit de se garder de commenter, et cela, sans émotion, pour ne pas travestir les témoignages et les avis recueillis sur le personnage-sujet. Malgré sa volonté de s’effacer et de rester impartial, la grande admiration qu’il a pour son personnage fuse dans le pouls de sa narration. Comment pourrait-il en être autrement ? Edem Kodjo est l’une des figures les plus emblématiques de l’Afrique politique et intellectuelle d’après les indépendances ! Le nom dans l’esprit de plusieurs générations d’Africains lettrés et même illettrées fait écho. Sans avoir été un chef d’Etat, l’étoile de Kodjo brille au firmament de notre histoire avec une ostentation plus que charmante. 


 

Le livre est bâti autour de quatre grandes parties qui tout en se croisant réussissent à mettre en lumière tout ce qu’il est essentiel de savoir sur la vie du sujet. Nous découvrons Kodjo dans son commerce souvent conflictuel et ambigu avec toutes les personnalités de premier plan du Togo : Gnassimgbé Eyadema, Gilchrist Olympio, Koffigoh. Nous le découvrons également  se consumant de zèle en faveur de son pays, le Togo et l’Afrique, son continent. Dans la quatrième partie consacrée à l’intimité de l’ex-Secrétaire General de l’Oua, nous découvrons un esprit épris d’art, de littérature et de sport. A travers le portrait d’Edem Kodjo, le panafricaniste souvent incompris et combattu, l’auteur nous livre les contradictions et les freins qui minent l’Organisation africaine. Des chefs d’Etat caractériels, versatiles, médiocres, nombrilistes mais aussi des leaders visionnaires, rassembleurs, surprenants…défilent telles des ombres insaisissables comme pour crier la lourdeur d’une Afrique cherchant ses marques. Au-delà de Kodjo, V. Konan nous aide à comprendre l’histoire du Togo et de l’Afrique depuis les soleils des indépendances. L’auteur ne perd cependant pas son fil conducteur. Au fil des pages, le personnage-sujet se construit habilement. Deux fois premier ministre du Togo, secrétaire général de l’Oua, intellectuel chevronné, auteur et homme politique, Kodjo séduit le lecteur du bout en bout. Tous les témoignages concordent : l’homme est un africaniste convaincu, un bourreau du travail, un homme de compromis mais jamais de compromission. Et si Kodjo n’a pas été chef d’Etat au Togo, c’est certainement parce qu’il était un homme de mesure et en avance sur son temps. 


 

Venance Konan par ce livre précieux vient de rappeler un grand serviteur de l’Afrique à la mémoire collective. Benjamin Janès a raison de dire : « Le roman est l’art de créer un homme. La biographie est l’art de le ressusciter » (in Biographie et Roman).  « Edem Kodjo, un homme un Destin » participe à redonner confiance à l’Afrique et à réconcilier le continent avec ses valeurs, ses étoiles. 

L’écriture de Venance Konan dans cet ouvrage biographique se veut rigoureuse, démonstrative, pondérée et méthodique ; elle est en rupture avec la plume sarcastique et polémiste dont il est passé maître. Le livre « Edem Kodjo : Un homme et un destin » a obtenu le Grand Prix littéraire d’Afrique Noire 2012. 

Etty Macaire 


 

Edem Kodjo : Un homme, un destin (Venance Konan), Nei-Ceda, Frat-Mat éditions, Presence Africaine, Portrait, 2012 

 

in Le Nouveau Courrier du 6 Avril 2013 



06/04/2013
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