MON SINGE A LE VERTIGE D’INNOCENT BOHO :Une plaidoirie en faveur de tous les parias
Innocent Boho vient de s’inscrire sur la nomenclature des démiurges ivoiriens avec un roman au titre énigmatique Mon singe a le vertige…Les éditions NEI/CEDA qui ont bien voulu le publier ont sûrement été séduites de la trame de cette œuvre romanesque.
Une intrigue originale
Le jeune écrivain en effet a le mérite de nous offrir à lire une histoire singulière, tout à fait originale, susceptible d’intéresser un grand nombre de lecteurs. Elle constitue une intéressante matière de méditation pour les responsables de famille, les éducateurs, les psychologues et les psychanalystes. Il ne faut pas se fier au titre, pour émettre des hypothèses de lecture. Il n’est nullement question d’une histoire d’amitié entre un primate et un homme. Il s’agit bien de l’histoire d’une jeune fille ou plutôt d’un jeune homme…disons d’une jeune personne difficile à catégoriser. Car en fin de compte, à travers l’histoire bouleversante de Camille, Innocent Boho pose le délicat problème de la transsexualité.
Attendue par M. Orny et Hilda, un couple condamné à l’infécondité depuis des années, Camille, une fillette, finit par venir au monde. Mais rapidement, elle développe des attitudes en déphasage avec ce que l’on est en droit d’attendre d’une personne de sexe féminin. Hilda, scrupuleuse et attachée à des principes s’échine à la plier aux normes sociales en entretenant sa féminité. Malheureusement, Camille se sent plus l’âme d’un garçon qu’une jeune fille. Sa farouche résistance verse au cœur de sa génitrice un terrible chagrin. Commence alors pour cette dernière une douloureuse dégringolade qui va se solder par son trépas. Bien qu’en proie aux calomnies et aux dénigrements Camille est décidée à assumer sa transsexualité avec un courage superbe. Elle finit par subir une intervention chirurgicale et devient de façon définitive un mâle. Camille devient alors Jean‑Camille et épouse la sulfureuse Yaëlle.
Une signification de l’œuvre
Mon Singe a le Vertige se veut un réquisitoire contre la société des hommes avec ses conventions, ses règles et ses pratiques inquisitoriales, qui loin de participer à l’épanouissement l’individu, le crucifient. De quel droit doit‑on condamner tous ceux qui par un hasard de la nature traîne une anormalité, un handicap, une différence ? De quel droit la société des humains en raison de leur différence doivent ils être frappés d’ostracisme ?
Au-delà de la question de la transsexualité, Innocent Boho prend fait et cause pour tous les parias, tous les marginaux involontaires, tous les anormaux de naissance, tous ceux que la société humaine martyrise à cause de leur singularité. Son héroïne/héros, Camille, comme Meursault, le personnage de Camus assume sa différence et va jusqu’au bout de ses sensations intimes. Mais à la différence de la créature camusienne, le personnage de Boho est « épargné de la guillotine ». Le succès de l’intervention chirurgicale de Camille qui a mis définitivement fin à son hybridité traduit le parti pris de l’auteur. Mon Singe a le Vertige est une invite à la méditation et à la remise en cause de toute la société humaine. Car si cette « société normale et surtout normative pouvait faire son autocritique réelle, son introspection, elle se diagnostiquerait plus de maux que n’existent d’humains sur terre » (page 104). A partir de là, Boho plaide pour plus d’ouverture et de tolérance, pour plus de compréhension et d’intégration de tous les parias. La répression ou une mauvaise approche de la situation surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant peut avoir des conséquences incalculables et pour l’individu et pour la société. L’auteur par conséquent propose « d’organiser une sorte de thérapie de groupe» (page 72) pour mieux circonscrire le problème. Cependant la société elle-même mérite elle également une thérapie d’autant plus que ses membres par leur attitude semblent être de vrais malades : « La pire des atrocités de nos cités ne se trouve guère dans la société elle-même, mais plutôt dans l’esprit des gens qui la composent. C’est donc dans l’esprit humain qu’un travail adéquat et conséquent doit être fait pour lever toute équivoque et tout tabou afin de réussir une évolution harmonieuse de nos sociétés. On ne peut donc se réjouir d’une pensée univoque et en même temps se prévaloir d’être une société modèle»(page 105).
Un roman à thèse ?
Innocent Boho qui s’est bien documenté sur les problèmes de dysfonctionnements sociaux et d’altérité, soucieux de vérité et de précision, convoque des savants qui font autorité tels Freud, Darwin, Socrate, Hobbes, Adiaffi etc. pour donner plus de force à sa thèse. Car il faut le dire, son ouvrage présente les allures d’un roman à thèse. Nous en voulons pour preuve le chapitre 20 (le dernier) qui sonne comme une confirmation de cette thèse, une sorte de conclusion ou de moralité que nous trouvons personnellement superflue. Les personnages ont disparu, le narrateur s’est tu pour laisser place à Innocent Boho. Nous y voyons une volonté voilée de l’auteur d’infantiliser le lecteur qui, selon ses vues, ne serait pas capable de tirer les leçons de l’histoire bouleversante de Camille. Notre avis est le suivant : Il faut que l’œuvre littéraire garde sa force suggestive, sa dimension allégorique, sa charge évocatrice pour permettre au lecteur de l’achever et en devenir le co-auteur.
Une écriture résignée…
Si le roman Mon Singe a le Vertige, par son intrigue, s’impose comme une œuvre originale, au niveau de l’écriture il demeure un roman malheureusement…normal voire quelconque. Le caractère hybride de Camille et sa révolte contre les conventions sociales appellent logiquement à une écriture en rupture avec les canons esthétiques du roman, une écriture en déphasage avec la narration classique, une écriture aux antipodes des structures phrastiques traditionnelles. Une écriture subversive, hybride, à l’image de Camille, serait en congruence avec la nature du personnage central et exprimerait de façon plus saisissante l’engagement de notre créateur à combattre ces principes sacro-saints de notre monde au nom desquels l’on n’hésite pas à clouer au pilori tous ceux qui sont différents. Car il est bien connu par les exégètes que la forme d’un ouvrage doit participer à construire le sens.
ETTY Macaire
Critique littéraire
Innocent Boho, Mon Singe a Le Vertige, NEI/CEDA, Abidjan 2010, 14 6 pages
Article publié dans LE NOUVEAU COURRIER du 10 Février 2012
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