LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Critique/ Seinabou, La Conquête De La Liberté de Benjamin Irié : Sublimer la haine pour sauver la paix

 

 

 

Roman ? Conte philosophique ? Légende ? Le livre de Irié, par le ton, oscille d’un genre à un autre. Le mot « récit » sur la première page de couverture indique la difficulté qu’on éprouve à confiner ce bouquin dans un genre. Seinabou, La conquête de la liberté est tout cela à la fois.

 


 

Le sous-titre « La conquête de liberté » expose d’emblée la prétention de l’auteur. Celle de proposer des sentiers pour sortir des liens de la servitude. La trame du récit est une parabole fort originale.

Suite à l’assassinat du Prince Zaduo lors d’une révolte contre les gouvernants, sa veuve Seinabou se nourrit de récriminations et de haine. Son projet démentiel se résume en un mot : vengeance.  Sa cible : le président Douba, le présumé instigateur de l’assassinat de son époux. Au crépuscule de sa vie, le miracle se produit : la haine de l’épouse du prince tombe. Désormais la veuve se tourne vers l’Amour divin. A Wassa, son benjamin, elle confie le flambeau de son nouveau combat ; celui de la réconciliation, de la liberté et de la paix. Ce dernier, muni de sa cora, apporte le message au peuple pour son salut.

Dans les veines de l’intrigue, coule le sens dans tous les sens. Derrière les personnages, les gestes et les paroles, se déploient des symboles. Seinabou, consumée par la haine, au soir de sa vie, découvre la beauté de l’Amour divin. Ses yeux noircis par la haine s’ouvrent à la lumière. Au terme de sa trajectoire initiatique, sublimée par les épreuves, elle entre par les portes de la sagesse. Sa mort est à la fois ensemencement et commencement. Wassa, à qui elle cède le flambeau du combat de la réconciliation et de la liberté symbolise Seinabou née de nouveau. Wassa c’est le rameau, le bourgeon. Wassa c’est la germination, l’espoir, l’avenir. Et le narrateur de dire : « la panthère venait de s’écrouler sous les balles de l’âge. Une autre naîtra dans les plaines et la brousse se taira à nouveau » (P 173).

 


« Seinabou, La Conquête de la liberté », en revisitant l’histoire récente de la Côte d’Ivoire embourbée dans les marécages de l’intolérance, et de l’incompréhension, se veut à la fois un livre de rétrospection et d’introspection. Retour sur soi et entrée en soi. Le miroir que l’auteur nous tend loin d’inciter à la contemplation masochiste, exhorte à explorer d’autres voies pour ouvrir les portes d’une véritable réconciliation des cœurs. Il s’agit d’un appel au surpassement et à la transcendance. D’où l’importance de l’art des griots. « Il faut …ressusciter les griots portant en leur mémoire l’histoire des hommes. La profonde spiritualité de leur message est indispensable à l’éveil de l’Afrique…L’écriture est mieux mais en Afrique moderne, un griot de type nouveau doit naître. Il se servira du contenu des livres et le contera aux peuples, à tous les coins de rue » (page 140). Pour le narrateur, il faut fonder toute démarche d’édification du peuple  sur l’art oratoire car « les Africains n’aiment pas lire ». D’où son plaidoyer en faveur d’un nouveau type de griot, celui qui rend sonore le savoir livresque. Gageure ? Naïveté ? Peut-être, pourtant l’explication ne manque pas de sagesse.

Le livre de Benjamin Irié est en conséquence un hommage à l’art de la parole féconde et libératrice. Incantation, invocation, vibration, chant, poésie, l’écriture exploite les ressources de l’art oratoire. Le récit est fleuri de nombreuses images puisées du terroir africain. Le ballet des comparaisons et des métaphores traduit un véritable souci de stylisation. Morceaux choisis : « Le tambour que battait son cœur s’éteignit petit à petit comme la naissance du jour fragilise l’orgueil des lucioles » (p 63), « Quand elle avait évoqué le nom de Dally, on a brandit son expérience comme la manche d’une daba mal aiguisée » (p 64) « Wassa, sois le soleil du renouveau, dont la chaleur libère la plante de l’arrogance de la rosée » (p 71),.

En alliant souvent poésie et tournures proverbiales, Irié Benjamin ne s’est pas contenté de raconter une histoire ; il a écrit une œuvre littéraire. Le lexique se laisse digérer sans difficulté majeure. La syntaxe est simple : sujet-verbe-complément, avec quelques belles inversions du sujet dans certaines phrases.

Si on peut reprocher aux techniciens de l’éditeur quelques ratées au niveau de la mise en page (sauts de ligne incongrus et déséquilibrés, non respect de l’aliéna etc.), il faut le féliciter de nous avoir donné un livre soucieux de littéralité et porteur d’un véritable projet philosophique. Une chose est sûre : un rigoureux travail de nettoyage et de réécriture a été fait, donnant à ce bouquin toute sa richesse.

L’originalité de « Seinabou, la conquête de la liberté » réside dans le fait suivant : Bien que s’appuyant sur la crise ivoirienne, il ne la restitue pas. Bien au contraire, il la dépasse pour s’offrir comme le fondement de tout projet en faveur d’une véritable réconciliation entre les enfants de ce pays.

 

Etty Macaire


Benjamin Irié, Seinabou, La conquête de la liberté, récit, Sésame éditions, Abidjan, 2012. 186 pages.

 

in Le Nouveau Courrier du 25 janvier 2013, Abidjan



25/01/2013
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