« LES COUPS DE LA VIE » D’ANZATA OUATTARA : une thématique et un style d’écriture qui plaisent
C’est à ma demande expresse que l’auteur m’a fait parvenir le tome 4 de son « Les Coups de La Vie ». Jamais je n’ai lu une de ces confidences, ni dans ses premiers livres, ni dans Go Magazine. Je brûlais donc de curiosité de lire ce recueil de confidences et d’historiettes vanté ici et là, notamment par la gent féminine. Et je lus « Les Coups de La Vie », tome 4. A la fin de la lecture de ces «25 témoignages inédits », je lus enfin la préface (j’ai cette habitude de lire la préface en dernière position) signée par une plume éprouvée, Tiburce Koffi, un ami mien, un frère en belles lettres (comme on dit « un frère en Christ »). Les sentiments qu’il a exprimé avant et après sa lecture à lui, curieusement, sont les mêmes que j’ai éprouvé avant et après la lecture.
« Les Coups de La Vie », c’est d’abord une thématique foisonnante et généreuse, variée et diversifiée, ouverte et certainement… démocratique (dans le sens de accessible à tous). L’amour, le mariage, le mysticisme, l’éducation, les phénomènes paranormaux, l’héritage, la méchanceté, l’abus de pouvoir, l’humiliation, le maraboutage etc. connaissent une illustration et traitement spécifiques.
Les sujets épluchés par Anzata Ouattara dans son recueil appartiennent au monde ‑ ou si vous le voulez ‑ au grand public. Ils s’adressent à la jeune fille qui saura tirer profit des leçons de ces histoires d’amour. Ils intéresseront les fiancés ou les époux qui y trouveront des centres d’intérêt pour nourrir leur méditation. Le grand intellectuel se rendra compte, après lecture, que ses humanités ou ses parchemins ne peuvent percer tous les mystères. Ils enrichiront moralement l’enfant pour qui l’avenir est encore à construire.
Anzata Ouattara parle de la vie, dans ses couleurs gaies et sombres ; la vie d’hier, la vie d’aujourd’hui, la vie de demain. Elle sillonne cette complexité qu’est la vie en tant que réalité atemporelle, disons éternelle. Mais cette vie c’est celle de l’être humain, évidemment. L’auteure parle de l’homme à l’homme ; l’homme dans ce qu’il a d’évident, d’apparent, de visible mais aussi dans ce qu’il traîne comme réalité inconnue, voilée, ésotérique, invisible. L’auteure dévoile l’homme, celui qu’Alexis Carel nomme avec justesse « cet inconnu ». Au bout de chaque histoire, on a envie de dire : « Il ne faut pas se fier aux apparences ». Ainsi, Mobio l’ami intime et de confiance se révèle être le principal amant de l’épouse de Denald (P14) ; ainsi le marabout de Sarah qui solutionnait les problèmes de stérilité s’avère être un ignoble pervers à la « verge » récalcitrante (page 24) ; ainsi la belle-mère de la génitrice Kam n’est personne d’autre qu’une exterminatrice ; ainsi même des croyants sont capables de la plus grande méchanceté (page 38) etc.
Sous la plume de notre auteure, le vrai et le faux s’entremêlent, une belle prestidigitation en clair obscur qui pousse à philosopher sur le principe eternel de la dualité. On découvre finalement que Les Coups de la Vie ne demeurent pas uniquement dans l’univers du cœur et des amourettes propres à la littérature à l’eau de rose. Ils glanent d’autres aspects de la vie afin que tout le monde y trouve son compte. En parcourant chaque témoignage, on arrive souvent à se demander si notre auteure à succès n’est pas elle-même une vie bien remplie, expérimentée, éprouvée, avertie : la conclusion de chacun de ses témoignages véhicule une leçon de vie. Là aussi, il ne faut pas se fier aux apparences, car notre artiste – elle l’est à sa façon – est encore dans la fleur de l’âge. A force d’écouter des cœurs brisés, à force d’entendre des âmes assoiffées, à force de se familiariser à des esprits solitaires, et de recueillir des témoignages poignants, Anzata Ouattara, par la force des choses, peut aujourd’hui prétendre connaître tous les pièges que tend la vie. Elle en a tiré tellement de leçons, qu’elle peut même inventer, « accoucher » d’autres historiettes dans la même veine pour les offrir à ses lecteurs. Elle sait lire dans les « tranches de vie » qui se déploient autour d’elle. Elle sait tirer l’essentiel dans les faits divers, qui ne manquent pas sur cette terre des hommes, le retravailler pour en faire une nouvelle digne des « coups de la vie ». Le choix de la première personne dans toutes ses « nouvelles » lui permet de faire corps avec son narrateur pour mieux explorer son tableau intérieur et, par voie de conséquence, toucher la sensibilité du lecteur.
Si au niveau du fond, et particulièrement de l’intérêt social et psychologique, « Les Coups de La Vie » n’ont rien à envier à de nombreux romans ou nouvelles que nous offrent nos maisons d’édition, du point de vue de l’écriture, ils sont loin de satisfaire les attentes des puristes et autres amateurs des canons esthétiques. Les textes que nous propose la « star » de Go Magazine ne prétendent pas à la littérarité. Elles n’ont en effet l’épaisseur esthétique telle que l’apprécient les conservateurs, les gardiens du temple, les intégristes de l’art littéraire. La jeune plume se contente de dire, de narrer les confidences avec pour seul souci se faire comprendre et satisfaire le lectorat. Des lecteurs aiment‑ils ce genre de littérature ? Oui et oui ! Et ils sont nombreux. Les Coups de La Vie, depuis le tome 1, sont des best-sellers. De là surgit la problématique de la lecture en Côte d’Ivoire et en Afrique.
Les Africains ne lisent pas, entend‑on dire ici et là. En plus des raisons exposées toutes les fois que la question est débattue, il faut désormais penser au type de littérature que les Africains n’aiment pas lire. Un grand nombre d’Ivoiriens et d’Africains lient massivement Isaïe Biton Koulibaly qui est certainement l’écrivain le plus lu et vendu en Côte d’Ivoire. Certes, il s’est spécialisé dans les thèmes sentimentalistes, mais il faut évoquer aussi sa simplicité et sa concision, caractéristiques de son style d’écriture. C’est cette voie qu’a empruntée Anzata Ouattara. Avant d’offrir aux lecteurs la littérature savante, celle qui aiguise le goût artistique et étanche le plaisir esthétique, il faut d’abord donner envie de lire. Ainsi, lorsque nous aurons créé ou suscité des lecteurs, on pourra progressivement leur proposer ce que les fondamentalistes et professeurs de lettres appellent la « bonne littérature ». C’est un processus qu’il faut impulser. Et cela demande de la pédagogie et donc de la réflexion.
Anzata Ouattara a compris, de bonne heure, qu’il faut amener les Ivoiriens à aimer la lecture. Alors, elle leur a servi avec des confidences qui touchent, des témoignages tirés de leurs expériences de tous les jours, des textes légers, des textes courts qui ne rebutent pas. Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, le dramaturge français a eu maille à partir avec les fondamentalistes de son époque. Pascal comme pour le crucifier a pu dire que « de tous les divertissements, le plus dangereux est la comédie ». Dans la même veine, Pierre Nicole, impitoyable, a accusé le théâtre, surtout la comédie de Molière, d’être « un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes des fidèles ». Pour répondre à ses détracteurs, Molière a dit simplement que la règle des règles c’est de plaire.Les Coups de la Vie plaisent. Et il faut le concéder à ceux qui les aiment. Nous sommes de ceux qui adorent les outrecuidances littéraires de Khalil Gibran, les valses poétiques d’Aimé Césaire, la profondeur de Pablo Neruda, la rigueur syntaxique de Cheikh Hamidou Kane, la maturité créatrice de Bernard Dadié…et personne ne nous en veut pour autant. Alors…
Un souhait cependant : Nous attendons qu’Anzata Ouattara franchisse le pas – et nous savons qu’elle le peut au vu des expériences acquises – pour offrir dans un futur proche, un véritable œuvre littéraire, un roman par exemple !
Publié dans LE NOUVEAU COURRIER du vendredi 25 novembre 2011
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