LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Littérature : Black Bazar d’Alain Mabanckou/ Regards croisés de deux chroniqueurs littéraires

 

UN RECUEIL DE PIQUES CONTRE LA DIASPORA NOIRE

 

 

 

Au salon international du livre d’Abidjan en novembre 2012, je voulais acheter Le Sanglot de L’homme Noir d’Alain Mabanckou. Malheureusement, le stand de la Librairie de France, n’en possédait pas d’exemplaire disponible. Sur les conseils de l’auteur lui-même, j’ai acheté Black Bazar, qu’il a dédicacé en ces termes : « Pour Etty Macaire, en attendant Le Sanglot De l’Homme Noir ».


 


 

 

De quoi est-il question ?

Depuis le départ de sa « fiancée », Fessologue, le personnage principal du roman, est réduit à écumer un bar, le Jips. Tout au long du roman Fessologue, grand sapeur devant l’Eternel, nous fait vivre des scènes cocasses et ses échanges avec ses connaissances. Son regard est critique et son verbe tranchant. Et quand il rentre chez lui, il a pour compagnie une machine à écrire avec laquelle il veut « faire comme les écrivains » c'est-à-dire, écrire un livre au titre évocateur « Black Bazar ». Une sorte de mise en abîme !

 A travers les récriminations, les ruminations et les discussions de Fessologue, Alain Mabanckou raille tous les travers propres aux Africains de la diaspora vivant en France. L’image du Nègre exilé sous sa plume est loin d’être rose. Quelque soit son origine, le Nègre semble être attiré par des victuailles et autres fadaises. Il rêve d’habits de luxe, il s’abîme dans la fréquentation des bars et autres lieux de perdition, il grommèle et empeste et vomit son fiel sur l’ex-colonisateur qu’il accuse d’être un bourreau; il se plaint de la sécurité sociale et du racisme mais refuse de rejoindre sa terre natale.

L’auteur de Verre cassé, avec un sarcasme jubilatoire et un humour impitoyable,  passe en revue tous les péchés capitaux de l’Africain sur la terre européenne. Il met à nu les complexes liés à la peau noire, le gaspillage, l’inconscience et l’insouciance. Même le portrait de la plupart de ses personnages est péjoratif. Décrivant Rose, une Congolaise, il écrit : « Elle dansait sur la piste on aurait dit un être qui, au lieu de descendre du singe comme tout le monde, y retournait irrémédiablement » (page 170).  Simplement édifiant ! Alain Mabanckou n’épargne pas les politiciens du continent noir. Il flétrit les dérapages des gouvernants africains, qui en panne d’inspiration, font du sur-place : « Vous êtes indépendants depuis un demi-siècle et tu me dis qu’il n’y a qu’une seule route ? Qu’est-ce que vous avez foutu pendant tout ce temps ? Faut arrêter de toujours montrer du doigt les colons ! Les Blancs sont partis, ils vous ont tout laissé, y compris les maisons coloniales, de l’électricité, un chemin de fer, de l’eau potable, un fleuve, un océan atlantique, un port maritime, de la Nivaquine…et un centre-ville » (p 15-16) s’indigne un personnage du livre ! Il fustige avec une ironie tranquille le tribalisme, la sorcellerie, les rebellions, le mensonge. L’écrivain pousse l’audace encore plus loin lorsque, sans en avoir l’air, il ridiculise des thèses de certains auteurs noirs tels Césaire ou encore Cheik Anta Diop. En somme Black Bazar est un recueil de tous les travers incurables de l’Africain exilé. Un véritable bazar de blâmes et de quolibets, un recueil de gouailleries et de griefs. Avec pour cible le Nègre de France !

Ecrit dans un style truculent et satirique, Black Bazar est un récit à narrateur autodiégtique. La langue sur un ton de confidence est familière voire relâchée. Cette option permet à l’auteur de donner libre cours à « ses colères ». Le lecteur, d’une page à une autre, passe du sourire, à l’indignation et vis versa. Soucieux d’introspection et d’introversion, ce livre reprend sous une forme romancée toutes les idées que le Prix Renaudot développe dans le Sanglot de l’Homme Noir. Black Bazar, il faut le dire déçoit du point de vue strictement littéraire. Ce livre est, et par son style et par sa thématique, loin des ouvrages qui relèvent le mieux le génie d’Alain Mabanckou.

Etty Macaire

Alain Mabanckou, Black Bazar,  Éditions du Seuil, janvier 2009

 

 

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BLACK BAZAR OU LA NOUVELLE PARALITTERATURE D'ALAIN MABANCKOU 

 

 

Il n’est pas correct politiquement, dit-on, de critiquer Alain Mabanckou, tellement porteur, en ces temps … de bons sentiments, de nobles causes. Ecrivain africain et prix Renaudot 2006, il fait l’unanimité (…) .

 

 

 

La popularité aidant, toute forme de critique serait alors mal venue ou mal vue. Mais est-elle cette popularité la garantie d'un excellent roman? C’est à se demander si les prix et les succès n'ont pas fini par faire oublier à l'auteur, les bases de l'écriture romanesque qui ont fait le succès de ses premiers livres. Son dernier roman Black Bazar,  fait rétrograder la littérature de plusieurs décennies.  Pour l'histoire... Jeune Congolais vivant à Paris depuis une quinzaine  d'années,  Fessologue, est un fervent adepte de la SAPE («Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes»). (…) L'habit fait bien le moine selon ce personnage qui le résume d'ailleurs dans cette phrase : «Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es» . Son existence va en effet basculer du jour au lendemain lorsque sa compagne le quitte pour suivre un compatriote qui joue du tamtam . Il partage désormais son temps entre sa machine à écrire et le Jip's, un bar du 1er arrondissement fréquenté par la plupart de ses amis noms inoubliables :(Roger le Franco-Ivoirien, Paul du grand Congo, Yves l’Ivoirien tout court, Pierrot le Blanc, Patrick le Scandinave...).De ce bar, Fessologue reste à l'affût des dernières tendances,  il traque sans émotion la faute de goût vestimentaire, décrit ses rencontres, ses mésaventures, sa vie et les alentours du quartier Chateau Rouge où il habite.

 

Proche des traités ennuyeux de sociologie africaine, Black-Bazar, excelle dans la platitude. Exploitation massive de clichés, psychologie rudimentaire, ton populacier que l'auteur s'est empressé de jeter sur du papier, sans doute pressé par le besoin de publier. L'incohérence dans la construction de ses personnages sans compter les changements subits de registres de langues accordent un manque énorme de subtilité et de finesse à ce roman.... Et quand le personnage principal "Fessologue" s'exprime, le lecteur a souvent droit à ce genre de propos laborieux:
 
 " C’est pas pour me vanter mais mes costumes sont taillés sur mesure. Je les achète en Italie plus précisément à Boulogne où j'écume les magasins." poursuit-on la lecture, les phrases qui suivent ne valent guère mieux: "J'ai six grosses malles d'habits et de chaussures pour la plupart des weston en croco, en anaconda ou en lézard.(...) Vestes en Francesco Smalto, veste en laine vierge 100% voire 200%, avec un tissu pur cerruti 1884, chaussette Jaquard. Voilà entre autres ce qu'il y'a dans mes malles ." .(page 43).
 
Que peuvent gagner ces petits récits sans aucun profit pour le lecteur à part qu'ils cherchent très légitimement à remplir des pages d'un suffisant roman? Il n'est pas une seule phrase où ne sévisse une quelconque émotion, un style, une découverte . Le lecteur qui, croyant se débarrasser de ses préjugés avec ce livre repart avec un lot de clichés largement aussi révélateurs les uns après les autres.
  
Auteur de près d'une quinzaine d'œuvres dont son roman à succès "Mémoires de Porc-épic" couronné en 2006 par le prix Renaudot, Alain Mabanckou est aujourd'hui considéré comme le  porte-flambeau de la nouvelle génération d'écrivains francophones. Ses premiers romans tels Bleu-Blanc-rouge (1998), Verres  cassés (Points Seuil 2005) et Mémoires de Porc-épic (Seuil, 2006) sont et resteront, incontestablement, des chefs d'oeuvre dans l'histoire de la littérature francophone  tant l'auteur a su ,avec talent, réinventer un monde, donner un souffle, une émotion à ses différents personnages. Ce qui n'est sans doute pas le cas pour Black bazar qui semble ,phrases après phrases, rompre  avec la captivante plume de l'auteur...

 

 

Par Zacharie Acafou

 

 
 Black Bazar (Éditions du Seuil, janvier 2009)

 

in LE NOUVEAU COURRIER DU VENDREDI 11 Janvier 2013 

 



13/01/2013
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