LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

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Littérature africaine et sexe: La point de vue de Sami Tchak

J'avais reproché, sur un site littéraire émettant depuis la Suède, à certains auteurs de la diaspora africaine de tomber dans la littérature qui fait trop de place aux scènes pornographiques. J’estimais que les auteurs africains devaient faire preuve de pudeur dans leurs écrits. Mon papier n'a pas rencontré votre adhésion. Pouvez-vous nous en dire plus?

 

 

C'est vrai que j'ai réagi à cet article non pour faire des objections à vos idées, mais parce que votre méthode d'analyse ne m'avait pas convaincu. Je reprends ici les arguments que j'avais avancés. Je vais être long. Je reproduis d'abord vos idées auxquelles j'ai réagi.

Vous écrivez: "Toute littérature porte la marque de l’identité. Ainsi, on reconnait à sa façon d’écrire un écrivain français ou un écrivain américain, un écrivain africain ou un écrivain japonais. La littérature américaine aime la démesure, les outrances dans tous les domaines. La littérature japonaise et chinoise se veut plus spirituelle et insiste sur le sens de l’honneur. Quant aux œuvres littéraires africaines, au-delà des thèmes, elles portent le sceau de la mesure dans le ton.

 Même si les africains ont été colonisés et s’expriment par la langue du colon, ils ont leur spécificité. En plus des sujets, ils ont une façon d’utiliser la langue de Molière ou de Shakespeare. Le langage littéraire africain reflète la nature africaine. Ainsi la pudeur, la retenue du ton et la mesure sont des marques du rendu littéraire des africains. Le sexe étant un sujet tabou, l’écrivain en tient absolument compte au risque de subir une censure naturelle."

 

J'ai trouvé que vous commettiez une erreur à considérer les œuvres de création comme des produits étiquetés ''made in...", ce qui vous conduit à trouver aux littératures africaines, japonaises, chinoises, françaises, américaines des points communs par zone géographique, par "civilisation", alors qu'il eût été mieux que vous vous confrontiez à des écrits concrets pour montrer la singularité de chaque auteur.

 

Je vous cite encore: "Des auteurs africains immigrés sont allés jusqu’à introduire dans leurs livres les rapports  homosexuels. Sami TCHAK (La Place des fêtes), KAGNI  Alem (Coca Cola jazz), Tiburce KOFFI (L’embarras de Dieu) sont parmi ceux qui sont allés vraiment loin dans cette « libération littéraire », qui en fait est une corruption, une perversion de nos lettres."

J'ai alors réagi en vous disant que Je vous reprocherais cependant une chose: vous avez tort de parler d'écrivains africains à partir d'un échantillon aussi dérisoire. Et vous ne situez pas votre propos dans une réelle connaissance de ce qui s'est fait avant. Yambo Ouologuem avec Le devoir de violence, premier Renaudot à un auteur africain en 1968, est allé beaucoup plus loin que ce qui vous choque. Et je suppose que vous ne connaissez pas son roman pornographique digne de Sade, Les mille et une bibles du sexe, qu'il avait publié sous le pseudonyme d'Utto Rudolph. Plus de 350 pages de pornographie. Vous avez sans doute lu Sony Labou Tansi qui est allé très loin. Kourouma dans Les soleils des indépendances ne se retient pas tant que ça quand il décrit le viol de Salimata par le féticheur ou quand il parle des nuits de Fama et de sa deuxième épouse Mariam (il décrit jusqu'aux grincements du lit qui rendent Salimata folle). C'est dans Une vie de boy de Ferdinand Oyono que moi j'ai su ce que c'est qu'une capote - un préservatif. Mais, puisque vous parlez d'écrivains africains, vous ne pouvez laisser de côté des auteurs anglophones, lusophones, hispaniques, les André Brink, les José Eduardo Agualusa, les Pepetela, etc., du côté des auteurs maghrébins (lire par exemple La répudiation de Rachid Boudjedra - né en 1941, il n'est pas de la dernière génération), etc.

Quant aux Japonais, rien qu'avec Kawabata et Mishima, on ne peut dire qu'ils décrivent des choses mystiques, l'amour, le sexe sont au coeur de leurs œuvres (Mishima avec des livres comme Le marin rejeté par la mer, L'école de la chair, Les amours interdites, Madame de Sade, La musique, etc., Kawabata avec Les belles endormies, Tristesse et beauté, etc.) Le cinéaste japonais Nagisa Oshima est quand même l'auteur de l'un des films qui aient provoqué le plus de scandale, L'empire des sens - toutes les scènes sexuelles sont montrées sans le moindre voile comme dans les films pornos. C'est en hommage à Kawabata, en référence à son roman Les belles endormies, que Garcia Marquez écrit Mémoires de mes putains tristes. Et si vous avez envie de lire une Japonaise assez crue, très très crue, je vous conseillerais de commencer par Eimi Yamada. Trois titres vous suffiront: Amère volupté; La chrysalide brisée; À genoux et lèche-moi les pieds.

Je n'ai pas d'objection à vous faire sur le contenu de l'article lui-même, je voudrais juste vous rappeler que lorsqu'on s'aventure vers une sorte d'étude comparative, il est nécessaire de s'appuyer sur une culture solide. Vous avez fait trop économie de la vôtre pour être entièrement convaincant, du moins aux yeux de celles et de ceux qui en ont aussi. Il est souhaitable aussi que l'on sorte de cette idée assez pauvre qui consiste à aborder des auteurs divers à partir de prétendus caractéristiques nationales ou continentales. Kourouma et Bernard Dadié n'ont rien en commun dans leur démarche esthétique. Céline et Camus ne se ressemblent pas. Garcia Marquez et son compatriote Alvaro Mutis sont si différents... 

 

J'avais ajouté dans nos échanges que l'on a tendance à oublier l'influence de l'Orient sur l'Occident pour les questions d'érotisme. Les cultures orientales ont été les premières à en donner des motifs esthétiques. Les textes érotiques arabes, Le Kama Soutra des Indiens, tout l'érotisme japonais, etc., tout cela a été la principale nourriture de l'érotisme occidental. Quant à nous, dans la grande diversité de nos cultures, nous n'avons en réalité rien à apprendre de l'Occident, malheureusement, comme bien de nos mœurs n'ont pas été analysées, décrites par nous-mêmes, nous n'en avons pas connaissance. Sans mes recherches en sociologie, je n'aurais jamais su que dans certaines sociétés africaines, dans le passé, il y avait des formes d'homosexualité instituée, les jeunes devant passer par là avant le mariage avec une femme. J'ignorais, avant d'avoir lu Au pied du mont kenya de Jomo Kenyatta que chez les Gikuyu il y avait une éducation sexuelle codifiée au cours de laquelle on réunissait des jeunes filles et des jeunes garçons pour leur apprendre à faire l'amour (en groupes, les garçons introduisaient leur sexe dans le sexe des filles, mais n'allaient pas jusqu'à les déflorer.) Je ne savais pas avant d'avoir lu Chroniques abyssiniennes de Moses Isegawa que dans certaines sociétés ougandaises, la tante assiste à la nuit de noces de sa nièce pour voir comment elle va faire l'amour avec son mari, lui en montrer les techniques. je n'aurais jamais su qu'il y avait dans certaines sociétés des fêtes au cours desquelles tout était permis, que d'autres le mari pouvait entretenir des liens de cordialité avec l'amant de sa femme qu'il invitait parfois à l'aider dans les champs.

J'ignorais que dans le haut plateau du Niger, côté nigérian, il y a des peuples qui pratiquent la polyandrie, la femme devant avoir au moins deux maris, etc. Il y avait eu tellement de subtilités, de complexités, de richesses dans les pratiques érotiques sur notre continent que l'Occident n'avait strictement rien à nous apporter. Hélas, hélas, il a fini par nous vaincre et notre sexualité est une sorte de copie grossière des mœurs occidentales considérées comme formes achevées de la civilisation, de l'émancipation, de la modernisation. Cela a sans nul doute des influences sur les écritures, on ne peut le nier.

 

Cependant j'ajouterai ceci: contrairement à ce que l'on pense, lorsqu'un écrivain fait un usage cru du motif sexuel, il réduit le cercle de son lectorat. Le sexe chasse plus qu'il n'attire les lecteurs. Et cela est vrai depuis les Sade. Lorsqu'il ne semble pas indispensable à l'expression de l'univers d'un auteur, il est préférable de s'en passer. En faire usage dans le but de bien vendre, c'est œuvrer pour le résultat inverse. 

 

propos recueillis par ETTY Macaire



13/06/2013
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