LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

ELOGE DE L’ECRITURE DE LEANDRE SAHIRI : QUAND LA POESIE CELEBRE LA POESIE

 

Dans un univers impitoyable pris dans les liens du dieu argent, l’écrivain ne fait pas partie des héros à honorer. Aussi, vanter l’art de la plume dans un tel contexte semble –t ‑ il  relever simplement de l’anachronisme si ce n’est de l’hérésie. Pourtant, c’est à cet exercice dément que s’essaie Léandre Sahiri dans son livre  Eloge de L’Ecriture.

 

 


 

 En effet, seul un rêveur, un esprit singulier, une âme fantaisiste, un fou, bref un poète pourrait se permettre cette invraisemblance. Et l’auteur en est un.

 

Un hymne à l’écriture

 

Le livre de Sahiri répond à un besoin de rétablir l’écriture comme un acte majeur, une activité noble. C’est à un travail de réhabilitation et de restauration qu’il s’adonne. Le poème introductif lui permet d’entrée de jeu d’exposer la vision railleuse que le monde a de l’écrivain : « Ah bon !/ Monsiieur est écrivain ! /Tiens ! tiens ! /Dites ‑ moi monsieur l’écrivain / ça nourrit hein/Son homme/Sa femme/ses enfants/ça ? » Cette interrogation teintée d’ironie expose le drame de l’écrivain dans un monde qui ne le comprend pas et qui ne peut pas le comprendre. Le reste du livre, au fil des vers qui s’enchainent, se veut un chant à l’honneur de l’acte de parturition littéraire. Militant des mots, Sahiri a une conscience claire de la mission de l’écrivain : « Nul n’ignore que/on écrit et on écrira/ toujours/Et pour les autres/Et pour soi-même ». Convaincu de l’éternité de l’écriture, il cloue au pilori tous ceux qui pour la fortune n’hésitent pas à vendre leur âme. C’est pour cela il s’indigne de ceux qui font « sordidement Indignement les djossis » et toutes les activités qui aliènent.  Il flétrit les hommes de Dieu, il plaint les bourreaux du travail, les aventuriers et autres émigrants qui au risque de leur vie défient tempêtes et cyclone pour des pays plus cléments. Pourtant l’écrivain semble lui aussi avoir aliéné sa liberté en se faisant esclave de l’écriture. Cette aliénation n’est qu’apparence. Car au contraire de Sisyphe qui ne tire aucun plaisir de sa corvée, le poète prend plaisir à accoucher des mots.

Point de repos, point de répit et paradoxalement point de harassement : « Eh bien moi j’écris / Et jamais ne me lasse …j’écris encore/ j’écris toujours / Et jamais ne me lasse ». Il élève l’écriture des « miasmes morbides » en l’auréolant du manteau de la noblesse. « Dans cette vie sur cette terre/ Rien ne vaut/On le sait/Le chant de Dazô‑Weudji‑le‑rossignol » « En tout cas/Ecrire/Il n’y a/ Pour moi/ Pas plus grand bonheur/Dans cette vie sur terre ». Ecrire devient un besoin vital, une nécessité qui permet à l’auteur de vivre. « Qu’advient‑il/Dans cette vie sur cette terre/Dites moi/D’un arbre déraciné/De sève lui apportant la vie/Sevré ? » Alors« J’écris pour exister/J’existe pour écrire ». Ecrire devient un acte de consolation, de vie, de survie, un moyen pour lutter contre le spleen. Pour immortaliser ses idées, pour s’immortaliser. Un acte de partage pour semer et vulgariser les valeurs humaines aux fins de mettre fin aux conflits et de juguler les déchirures.

« En alchimiste hardi du verbe» Sahiri s’élève au-dessus de la mêlée. Si le vice est inévitable ou si chaque individu a un vice, alors le sien n’est rien d’autre que l’écriture « Dans cette vie sur cette terre/Moi/Aux hommes opiums/Sciemment/Je préfère celui-là : Ecrire… ». Il veut lui aussi atteindre l’absolu d’un autre ailleurs. L’écriture est l’acte suprême, celui qui donne un sens à sa vie. Il assimile l’écriture à  « passion », « thérapie » « besoin » « mission » « charge » « force » « breuvage » « échasse » « ambition » « flamme de feu follet » « aiguillon» « appétence » « Mon passetemps ». Alors, nul ne peut, même par un élan d’hypocrisie feindre de ne pas le voir ou l’entendre. « Ma parole tonnante d’âpre vérité/Que nul être/Dans cette vie sur cette terre/Pour élever son esprit ne saurait/Voyez vous !/Ni ignorer/Ni méjuger ». Il sait lui Dazo‑Weudji, lui le rossignol que malgré les ingratitudes acérées de cette vie ici bas, qu’il est un noble, un être supérieur, c'est-à-dire, comme le dirait Baudelaire « le prince des nuées », « le roi de l’azur ». Alors du sommet de sa tour, il peut s’écrier :

 

« Diademe d’or et de diamant

Couronné

Je regarde en bas

Alors que d’autres

Vains vers de terre rampants

Abjectement avides d’élévation

Désespérément

Scrutent le ciel

Tout dépités »

 

Une inquiétude cependant traverse son écrit. Que va laisser comme legs, l’écrivain, à sa descendance ? Le poète ne tremble pas, bien au contraire. Sa richesse à lui ce sont les mots pétrifiés sur du papier. Tel sera l’héritage à laisser : « C’est peut-être drôle/De me faire fier de laisser/En héritage/Aux miens/Dans cette vie sur cette terre/Des liasses et des liasses/De simples griffonnés/En lieu et place/De buildings et de capitaux ».

Il peut luire de fierté parce que lui seul connait la valeur de cet héritage. Il est convaincu, malgré les railleries de la multitude ignorante, que les « manuscrits » ne sont pas « un monument de vaines feuilles mortes ».

 

La poétique de Sahiri

 

Dazo‑Weudji (le rossignol en bété) Sahiri ne saurait nous servir piteusement un message sans se soucier de la forme. Ne dit – il pas que le poète, est celui qui fait « swinguer et valser/Les lettres et les mots ». Le genre qu’il a choisi est la poésie et il n’y a rien de plus écœurant qu’un poème sans poésie. Alors il se fait magicien du verbe :

 

« par jeu

Goût du jeu

Jeu de mots

Jeu sur les mots

Jeu par les mots

 A

jouer sur nos maux ».

 

 Le genre poétique qu’il risque ici est l’éloge, un genre ancien, hérité de l’antiquité.  Déjà Erasme publiait en 1509 un livre au titre déroutant Eloge de la Folie.  L’éloge tout en exploitant la rhétorique classique se veut un poème élogieux et enthousiaste à l’endroit d’un homme ou d’une institution. 

Ici, l’originalité de Sahiri est que l’éloge porte sur l’écriture elle-même, c'est-à-dire l’acte poétique. On est tenté de dire qu’il s’agit d’un auto‑éloge ou d’un éloge introverti.

La poésie de Sahiri est une suite de jeu de mots, mais mieux un exercice de jets de mots. Ces vers sont brefs, comme s’il craignait de les déviriliser  en les étirant. Par leur brièveté, ils gagnent en vivacité et en perspicacité. Les vers ont la frugalité d’un regard et la concision d’une œillade. Le poète exploite abondamment l’inversion et l’ellipse  qui semblent être l’épine dorsale de sa poétique. Le recours à l’anaphore, à l’énumération et à l’accumulation est une obsédante caractéristique de son verbe. Ces procédés répondent à un souci d’insister sur sa passion pour l’encre noir qui accouche les mots. Dans la même veine, les superlatifs et les termes relevant du vocabulaire mélioratif pleuvent à un rythme vertigineux.

 Soucieux d’enchantement, il est attentif à la musicalité des mots par des rimes intérieures : « les tristes vérités de nos réalités » « les erreurs de nos mœurs » « des intérêts et des faciès ». Sa plume réussit l’exploit de tisser un texte poétique coulant et accessible.  Son langage se veut assez proche de la confidence : les expressions familières ruissellent le long des pages « voyez-vous » « croyez-moi « hé bien » « vous savez » « j’aime ça ». Une sorte d’obsession à vouloir arracher l’approbation ou la complicité du lecteur/auditeur. L’aède puise dans le mythe bété ; une façon à lui de ne jamais rompre avec la tradition orale africaine, sa source sacrée. Il ne s’embarrasse pas d’intégrer des lexèmes de son terroir dans sa poésie pour lui assurer son sceau négritudien.

 

L’Eloge De L’Ecriture de Léandre Sahiri, cet ouvrage au cours long, vise à faire « naître de nouveau » le monde  à l’écriture, à la poésie, au livre. C’est un hommage à tous les créateurs, à toutes les plumes émérites de tous les temps et de tous les espaces. Au ‑ delà de l’éloge, ce livre se veut  l’aventure d’une écriture. Et tous ceux qui ont une conscience esthétique pourront en jouir abondamment. Mais si le livre de Sahiri plaît c’est parce qu’il vante les vertus d’une activité qui la mérite : l’écriture. En vérité, vanter pour vanter ne suffit pas. Car malgré toute bonne volonté : « L’éloge ne corrige pas le visage où la beauté manque » (William Shakespeare). Or écrire est beauté et charme.

 

ETTY Macaire

Critique littéraire

 

 



17/03/2012
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