LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

« La loi des ancêtres » de Macaire Etty: Une invitation à une réflexion sur l’Afrique

Pour la seconde fois en l’espace de quelques deux ans, l’écrivain, critique et professeur de Lettres, Etty Macaire vient de verser au patrimoine littéraire ivoirien, une œuvre. La loi des ancêtres.

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Cette nouvelle production, un roman plus précisément, a un titre qui le rapproche des écrivains africains de la fin de la colonisation ; et un contenu qui rappelle ceux de la première décade de la période post - indépendance qui ont  rendu compte de leurs désillusions au carrefour des années 70. La ressemblance est plus nette avec les derniers. Les ingrédients sont les mêmes, les décors aussi. Les mentalités de ses personnages sont celles de la quête des repères. Les actions portent, quant à elles, le sceau de l’expression d’une identité que l’on tente d’abâtardir avec l’arme économique ou la répression policière. Beaucoup d’atomes crochus, pourtant ce n’est pas une copie servile ou une imitation grossière.

 

Il s’agit d’une marche nouvelle et d’un projet nouveau pour un siècle et des temps nouveaux. En un mot, faire du nouveau feu dans un foyer ancien. D’ailleurs, l’écrivain dont le subconscient est formaté par les réalités de tous les jours ne pouvaient pas échapper à la dictature des faits vécus dans cette Afrique qui, plus de cinquante ans après les indépendances, semble s’être pétrifiée, parce que anesthésiée. Rien dans ces sociétés tropicales n’a vraiment évolué, malgré toutes les dissertations et les clichés opportunément ventilés. Le temps est passé et semble n’avoir eu aucun effet sur les systèmes en vigueur. Comme aux temps colonial et post -colonial, la ville continue d’être à la fois une attraction et un lieu de perdition ou de soumission pour les individus. La ville Africaine contemporaine est surtout un espace où l’on observe deux modes de vie antithétiques : la vie moderne et la vie ancestrale. Un double visage qui marque profondément l’œuvre la loi des ancêtres.  Le parcours qui permet d’exposer au monde et aux regards cette situation est celui du couple Mangouté et Héry, les personnages principaux. Mangouté et Héry sont époux et épouse. L’un est chauffeur, l’autre ménagère. L’un est d’un physique ingrat (p 7) et l’autre possède un physique généreux. Avec «  son teint de soleil au zénith, sa forme harmonieuse et sa croupe rebondie ». Là s’arrêtent les différences. Les traditions de la tribu « Bila », à laquelle ils appartiennent tous les deux, ont apporté le ciment qui soutient ce couple disharmonieux.

 

Toute une gamme de pratiques balise le comportement des hommes de cette tribu insubmersible (p 102), au demeurant solidaire. Les plus importantes parmi elles sont la pression du groupe, l’initiation de tous les individus de la tribu dès l’adolescence (p 83), le respect des lois ancestrales et les nombreux préceptes de «Touta», leur ancêtre mythique. Tout cela fait des « bilas » un peuple dans le peuple de la ville de Gogotalie et un peuple à part dans l’état de Bessango. Alors que les citadins de Gogotalie s’adonnent à la luxure (p86), les « bilas », appliquant à la lettre les volontés de « Touta », avaient peur de mentir (p 164). Si dans la ville, le sport préféré était l’adultère, les bilas refusaient même de tromper leurs épouses (p 162). Ce rigorisme des Bilas était surtout dû à la sévérité des punitions prévues pour expier leurs fautes. Par exemple, le flagrant délit d’adultère devait déclencher une réparation exigeant la mort du coupable que doit lui donner le cocu.

 

 Nous ne savons donc pas par quelle faiblesse, Héry, comme Eve, a pu pousser son mari dans une impasse. Peut-être Macaire Etty a-t-il pensé à une réécriture du mythe de la création ou celui de Pandore. En tout cas, une vraie impasse s’est ouverte devant Mangouté comme celle d’Adam et d’Epiméthée  parce que Héry l’a trompé avec la plus haute autorité de Gogotalie « le sous-préfet » qui est par surcroît «  fils de ministre, beau-fils du chef d’état major » (p 81). L’histoire est donc simple, mais l’œuvre, bridée par une écriture beaucoup portée sur la comparaison, la métaphore et l’allégorie, s’étire et s’étend sur le malaise vécu par Mangouté et Héry dans cette vie bouleversée entre le respect de la loi des ancêtres, la loi divine ou celui de la loi d’inspiration occidentale. La parole est même donnée à chacun des époux. Cela fait de la loi des ancêtres une œuvre polyphonique puisqu’à tour de rôle, les deux conjoints se partagent l’initiative de la narration. Ces deux voix offrent deux voies de résolutions du tort, deux états d’esprit et deux tempéraments, mieux deux angles d’observation. La loi des ancêtres s’impose finalement comme sanction à la grave faute du « commandant Soukou » (pp 130-131).

 

Ce dénouement consacrera provisoirement la primauté provisoire de  l’ordre ancien non corrompu sur les valeurs modernes périmées avant d’être érigées en règles. Mangouté obtient la victoire provisoire. Un caractère provisoire qui ne procure que des joies éphémères et des satisfactions purement morales, mais  qui s’efface rapidement devant la force du mal incarnée par l’usurpation, l’infidélité, la corruption et la dépravation, ces filles impies de la civilisation occidentale. Emprisonné après son meurtre, Mangouté (au cours de sa détention)  rejoint le sous-préfet offenseur dans la mort. Il y a donc une victoire après la victoire provisoire : une victoire finale. Victoire du mal sur le bien, de l’offenseur sur l’offensé. Survie de la femme adultère. Victoire de la loi occidentale sur la loi des ancêtres. Cette victoire vexe les esprits prudes, mais elle épouse la réalité, la laide réalité qui sévit depuis 50 ans. Celle d’un continent gouverné par le péché et l’ordre injuste imposé par la force et par la transgression du sacré. Et ce n’est pas pour rien que le chiffre 2 trouve un écho, des traces et des visages dans tout le long du récit (deux personnages principaux, deux mondes, deux narrateurs). 2 est le chiffre du péché, Chiffre de l’opposition à l’ordre ; de la rébellion.

 

 Croyants que nous sommes, nous savons que ce ne sera pas éternel. Il est sûr que le retour à l’ordre est une espérance qui ne sera pas trahie. Une victoire ne peut pas être finale. Il y a espoir.

D’ailleurs, à sa femme, on ne peut réserver qu’espoir, reconnaissance et pardon. Et Voici que Macaire Etty a dédié la loi des ancêtres à « Eugénie, mon (son) épouse ! ». Il ne peut donc pas s’agir d’un livre qui parle de notre échec.

La vraie lecture de la loi des ancêtres se trouve donc au second degré. Elle invite à la prise de conscience d’un phénomène grave et pernicieux qui ankylose l’Afrique. L’illustration en 1ère de couverture ne confirme-t-il pas amplement cette invitation à la réflexion sérieuse sur l’Afrique ?

 

                                                                                             

                                                                                               TAH Bayi Saint-Clair

                                                                                     Critique littéraire   

 La Loi des Ancêtres (Macaire Etty), roman, éditions Matrice, 2014

 

In Le Nouveau Courrier du Vendredi 16 mai 2014



20/05/2014
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