LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Les conditions de la création

 

A Flore Azoumé la sensualité faite plume douce et pleine page !
 
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Y a-t-il des conditions matérielles et psychologiques particulières qui favorisent et stimulent la création ? Sur la question, tous les créateurs s’accordent à dire ‘‘oui’’.
On ne créé, en effet, pas n’importe comment, ni à n’importe quel moment, ni même n’importe où. Le moment, le lieu et les moyens de la création varient aussi bien d’un créateur à un autre, que d’un art à un autre. Là ou l’écrivain demandera une feuille, un stylo, un crayon ou une plume, de l’encre ou un ordinateur pour fixer sa pensée et ses émotions, un chorégraphe exigera un espace de danse, et un trompettiste ou un saxophoniste, un lieu calme et baigné de solitude, à cause du son, très loin d’être discret, de ces instruments au voisinage peu commode.

Multiples et variées sont donc les conditions matérielles de la création ; les conditions psychologiques le sont moins. Ici, se signalent deux tendances autour de cette question ; l’une objecte que le ressort décisif qui actionne le processus de création, c’est essentiellement la souffrance. Pour cette tendance, seules les misères, individuelles ou collectives, les expériences douloureuses du monde (la mort d’un être cher, la déchéance d’une grandeur, la maladie, la misère, etc.), permettent à l’esprit et à l’âme de l’artiste de s’ouvrir à la muse. L’activité créatrice devient, dès lors, un remède au mal qui ronge l’artiste. L’art comme catharsis, l’art comme soulagement et réponse aux difficultés existentielles trouve là, son explication, sinon ses origines.

Une conception pour le moins morbide de l’art soutient ainsi que l’inspiration (qui déclenche l’acte de création) est la récompense aux milles et une épreuves morales et autres mortifications que l’homme a traversées et connues. Macaire Etty, professeur de lettres et critiques littéraire très avisés est un promoteur et défenseur de cette conception de l’art, notamment la littérature. Sous sa plume riche de mots malades charriant plaies et blessures inouïes, l’activité littéraire, de type ‘‘créationnel’’ devient une plongée (ou une descente — c’est selon) orphique qui consacre l’art comme expression et produit subliminaux de la douleur. Soyons raisonnables et sérieux: adhérer à une telle conception de l’art reviendrait à croire que l’enfer est une Cité des Arts, et ses habitants, des génies !...

La seconde tendance affirme que ce sont les moments de gaité et d’équilibre intérieur qui actionnent le processus de création. Flore Azoumé, adepte d’une telle approche de l’art, n’hésite pas ainsi à dire qu’elle a besoin, elle, de se sentir bien dans la peau pour pouvoir écrire. Les tourments, les déchirures, le stress, etc., tant de ces choses non quiètes qui habitent souvent l’âme des créateurs et les façonnent, ne sont aucunement pour elle des adjuvants, mais plutôt des facteurs bloquants et inhibiteurs. Elle ne créé, Azoumé-la-belle — splendide comme flore de Soleil levant— que lorsque l’habitent joie, bonheur et félicité ! Alors, le cœur léger, l’âme en paix, le corps pacifié et comblé de caresses divines, elle peut convoquer sur ses pages brûlantes de désirs nocturnes les mots dont elle se sert pour dépeindre « Le crépuscule de l’homme », ce merveilleux roman de la douleur paroxysmique. Question : comment, dans cette paix du cœur et de l’âme, est-elle arrivée, l’énigmatique Azoumé, à écrire une telle tragédie romanesque ? Mystère.

La tristesse incite-elle plus à la création que la joie ? L’état de béatitude favorise-t-il plus la création que l’état de manque et de vague à l’âme ? Une certitude: tout désir de créer cache une insatisfaction, sinon l’être humain se serait contenté de prendre le Monde et de l’accepter tel qu’il lui a été donné de le voir ; et, dans ce cas, l’activité artistique n’aurait jamais existé car l’art — on doit le répéter —, est une révolte contre Dieu, un refus permanent du donné, et une célébration du beau et du bien absolus. Ce beau et ce bien absolus qui n’existent pas sur Terre et qui fascinent tant les artistes, ces enfants doués et agités, certainement nés pour trans-former le monde dont le Kpé ndé gblé (l’incommensurable) n’a vraisemblablement pas eu le temps d’achever la création. Oui, l’art est et demeurera une posture virginale, un regard d’enfant curieux et insatisfait, jeté sur le monde.
Tiburce Koffi
in Fraternité matin du 16 mars 2013
 


19/03/2013
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