L’artiste et la perfection (2)
publié dans Fraternité Matin du 02 mars 2013
Au Pr Niamey Koffi, un autre de nos modèles, qui aura donné à notre génération d’étudiants (1977-1981), le goût de la conceptualisation et le plaisir de philosopher. Merci, professeur.
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Le commun des mortels est loin de s’imaginer ce qui se passe dans l’atelier, le bureau ou la salle de répétition d’un artiste. Ce sont des espaces conflictuels où s’affrontent en permanence deux artistes : l’homme et Dieu.
Le premier est une créature du Second qui Lui, est le Maître de l’Univers, Celui qui fit jaillir la Lumière en un temps infinitésimal d’inspiration car oui, tout est venu de la Lumière ; la lumière qui chasse les ténèbres, persécute le mal, convoque l’intelligence et soumet l’insolite au diktat de la raison. Il est le Premier artiste, Dieu ; et, sans aucun doute, est-il le plus grand, non seulement par la performance réalisée (créer le Monde), mais grand aussi par l’antériorité : Il était au commencement et, sans doute, sera-t-Il à la fin, devenant ainsi l’alpha et l’oméga.
Le second, l’homme, s’est offert à l’entendement de la religion, de la littérature et de la philosophie comme un être révolté. Oui, le péché adamique est en réalité une révolte, dans la stricte mesure où tout acte conscient de désobéissance est insubordination, et donc, d’essence insurrectionnelle, quand cette désobéissance s’exprime à grande échelle. Et c’est cette révolte originelle qui hante le cerveau de l’artiste, irradie ces fibres émotionnelles et guide son agir dès qu’il se retrouve dans son sanctuaire, espace symbolique de maternité. « Awouliê hé, sa wolô ! », chante ainsi Alla Thérèse : que de choses se passent dans une maternité !
L’œuvre de l’artiste se veut en effet comme une correction du Monde à lui offert gratuitement (et certainement sans précaution) par Dieu. Dans son roman « La carte d’identité », Jean-Marie Adiaffi demande ainsi à Dieu de reprendre le processus de création du Monde à zéro, en Lui intimant l’ordre de ne plus se reposer cette fois-ci, car il estime que c’est le repos, ce repos facile et jouissif du dimanche, qui n’a pas permis à Dieu de parachever le travail ! C’est donc contre Dieu que se bat l’artiste, dans une étrange dialectique de la rivalité où l’artiste, en même temps qu’il éprouve de l’admiration pour la chose créée par Dieu, la détruit en la trans-formant (dépasser la forme originelle) au gré de son inspiration débridée et rebelle au respect de la norme première.
C’est, à la réflexion, un combat titanesque où Dieu a souvent (sinon toujours) pris le dessus sur les prétentions de l’artiste, car jamais aucune œuvre n’égalera dans sa splendide et mystérieuse fonctionnalité celle qu’Il a créée, Lui : bêtes, hommes, arbres, eaux, vents, feu, pluie, etc., toutes ces choses-là, produits de son inégalée inspiration, vivent. Oui, elles vivent car elles parlent. Le vent hurle et gémit, l’eau chuchote, les oiseaux discutent, les montagnes se fâchent et grondent, les pluies sont gentilles ou sans pitié, ‘‘la voix du feu s’entend’’, les arbres méditent ; et leurs feuillages psalmodient de mystérieux versets ! Exactement ce que fait l’Homme, ce singulier bipède à qui Il aura aussi donné ce pouvoir. Oui, toutes Ses créatures (même les pierres) parlent — les poètes, les prophètes et autres explorateurs de l’univers parallèle le savent ; mais les créations (et non créatures) de l’artiste (son prétentieux et irrévérencieux rival) ne le peuvent. Elles ne sont que matières mortes, choses rigides, quand bien même elles peuvent prétendre égaler ou dépasser la sienne en durée.
L’artiste a conscience de ses limites — toutes ces limites ; c’est pourquoi il est sans cesse à la recherche de la perfection. Cette recherche de la perfection qui hante son rapport au Monde est une peine, pis, une condamnation plus terrible que celle qui fut infligée à Sisyphe car (et l’artiste lui-même le sait) la perfection n’est pas à sa portée ; elle est, hélas, le privilège de Dieu. Son grand et éternel rival !
Tiburce Koffi
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