LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE DECLIN DE LA POESIE : ALLONS AU-DELA DES APPARENCES

 


Il faut l’affirmer haut et fort : La poésie connait depuis quelques années une crise de réception en Côte d’Ivoire. On a souvent accusé les éditeurs qui seraient réticents lorsqu’il s’agit d’éditer des ouvrages poétiques. La raison, on la connait : ils veulent se faire de l’argent et ils ne sauront investir dans un genre qui n’attire pas un grand lectorat. On a également accusé les poètes eux-mêmes qui s’amuseraient à rendre leurs textes hermétiques et inaccessibles. Le prétexte est évidemment fallacieux. Ils sont nombreux les poètes transparents et facilement digestifs.

 

 

 


 Si ces griefs ne sont pas à rejeter catégoriquement, ils ne sauraient expliquer, à eux seuls, le peu d’enthousiasme que les Ivoiriens manifestent à l’égard de la chose poétique. La source du mal est à chercher plus loin. Et notamment au niveau de l’enseignement. Là aussi, il faut savoir situer les responsabilités. Et la première responsabilité incombe aux enseignants. Nombreux parmi eux rebutent l’enseignement de la poésie. Toute approche d’une œuvre poétique en situation de classe constitue une énorme difficulté que la plupart préfèrent contourner. Est-ce parce qu’ils ne sont pas assez outillés pour expliquer un poème aux apprenants ? Dans ce cas, il faut remettre en cause le contenu de la formation des formateurs. Si dans sa formation, l’enseignant n’a pas été bien formé pour le faire, il ne faut pas s’étonner qu’ils refusent de l’enseigner lorsqu’il est sur le terrain. Cependant, il n’est pas rare de rencontrer des enseignants qui affirment sans aucune gêne de détester la poésie. Ceux-là sont de véritables dangers pour les apprenants qui risquent de sortir du système sans jouir de ce trésor inestimable qui forge la sensibilité. Il est en effet inadmissible d’être un professeur de lettres modernes et ne pas se passionner de poésie qui est, il faut le dire, la quintessence des belles lettres.


Cependant, il se pose un autre problème au niveau du contenu même des programmes. Un regard sur la nomenclature des œuvres au programme de la sixième en troisieme permet de découvrir le peu de place qui est faite à la poésie. De la sixième en troisième, il n’y a presque pas d’ouvrages poétiques au programme. Il y a seulement l’anthologie de la poésie négro-africaine pour jeunesse de Gey réservée aux élèves de cinquième et quatrième. Et cette anthologie ne s’impose pas aux enseignants qui ont le choix parmi une liste d’ouvrages. Certes, il est demandé aux enseignants d’étudier des textes poétiques en cours de lecture méthodique ou suivie, mais les résultats sont loin de ce que l’on est en droit d’attendre. Une œuvre intégrale étudiée pendant l’année scolaire n’a pas les mêmes effets qu’un ou deux textes étudiés en une ou deux heures. En classe de seconde, seulement un groupement de quatre textes poétiques est imposé. En première, la poésie est réservée aux élèves de séries littéraires. Les élèves de série scientifiques en première et terminale sont privés de « la manne venue des dieux ».


On est tenté de dire que la poésie est un accessoire dans l’enseignement du français. De plus, le temps qui lui est imparti est insignifiant. La poésie n’est pas étudiée en profondeur. Une heure de poésie par semaine et cela pendant seulement deux ou trois mois ne peut pas faire des apprenants des âmes poétiques. Les séances de récitation ne sont pas au programme. Et les quelques miettes poétiques servies aux élèves ne sont pas destinées à leur forger une conscience esthétique.


 Il se pose alors le problème du programme. Avant d’acculer l’enseignant, il faut mettre en question le programme lui-même qui semble avoir d’autres préoccupations. On est à se demander : quel type de citoyen veut-on former ? Quel profil de littéraires mérite notre pays ? La problématique est sérieuse. Il faut approfondir la question et surtout s’interroger sur le regard que les autorités pédagogiques qui sont des enseignants portent sur la poésie. A creuser encore plus loin, on aboutit au rapport entre la politique et la poésie. Ce sont les gouvernants qui définissent les grandes orientations de la politique pédagogique. C’est selon le type de citoyen qu’ils veulent diriger qu’ils tracent les grandes lignes de leur politique de l’enseignement. On nous a toujours enseigné que l’avenir appartient à la science et à la technique. Ce slogan chanté et galvaudé affirme de façon audible la position de l’Etat sur la question. Il est mieux d’avoir plus de scientifiques que de poètes. Il est plus aisé de diriger les premiers que les seconds. Bien avant Jésus-Christ, les poètes et les philosophes ont toujours eu maille à partir avec les dirigeants de la Cité. Leurs rapports n’ont véritablement pas évolué.


Le poète n’est il pas un éveilleur de conscience ? Un dénonciateur ? Un opposant dans l’âme ? Un ami du peuple ? A partir de là, aucun gouvernant ne serait tenté d’avoir parmi ses administrés un grand nombre de Hugo, de Neruda ou de Dadié. Quand on voit le cheminement de nos premiers poètes, ceux de la Négritude, on peut comprendre les craintes des décideurs. Les poètes ne sauront demeurer des contemplateurs et des rêveurs ; ils sont des créateurs engagés, ceux qui comme Césaire se présentent comme « la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » (In Cahier d’un Retour au Pays Natal). De là, peut-être la cause des supplices que subit ce genre dans l’enseignement du français au second degré.


Au-delà tout ce qu’on peut dire, il faut que les décideurs ouvrent les yeux sur ce que peut gagner la jeunesse ivoirienne et donc le pays avec la poésie. Des jeunes formés dés leur jeune âge à la poésie, imprégnés donc de beauté et sensibles aux valeurs supérieurs sont inéluctablement appelés à devenir de bons citoyens, à l’abri des sirènes de la destruction et de l’autodestruction. Notre beau pays aurait été peut-être épargné des déflagrations et des déchirures à répétition qui émaillent son histoire récente. 


A ce que je sache, la politique, la religion et la science font plus de dégâts que la poésie. Et si on essayait la poésie…


ETTY Macaire

 

 



16/07/2012
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