La Critique est‑elle utile ?
L’utilité de la critique dans un pays qui se veut de culture, en principe, ne doit pas faire l’objet de débats. Si la critique est devenue une discipline, une spécialité, un métier c’est qu’elle est profitable au monde de la création. Pour le créateur et notamment l’auteur d’une œuvre littéraire, la critique est, on ne peut plus importante.
En Côte d’Ivoire, les œuvres littéraires majeures ont émergé durant les périodes où les textes critiques étaient foisonnants et impitoyables. Le travail abattu par les pionniers est à saluer à sa juste valeur. C’est ici le lieu de rendre hommage aux aînés que sont Diégou Bailly, Jérôme Carlos, Tiburce Koffi, Hyacinthe Kakou, Koffi Koffi, Henri Nkoumo, Auguste Gnaléhi et tous ceux que nous n’avons pas pu citer par défaut de mémoire. Avec les rôles de sentinelle, de stimulateur, de conseiller qui fut les leur, les écrivains avaient le devoir de se mettre constamment en cause, de se surpasser pour offrir au lectorat des œuvres de qualité. Les maisons d’édition d’alors avaient pour souci de publier des œuvres susceptibles de s’inscrire dans la durée. Aujourd’hui, il est certes vrai qu’il y a davantage de publications (et cela est encourageant), mais il est aussi vrai que la qualité n’est pas toujours au rendez vous. Ce qui nous permet de remettre au goût du jour l’utilité de la critique.
La critique met à la disposition de l’écrivain par exemple un point de vue, une opinion, un avis...et non un simple avis. On peut suivre cet avis ou ne pas le suivre. Cependant, nul n’est sans savoir que l’on a toujours besoin d’un avis, l’avis d’un tiers, d’un spécialiste, surtout lorsqu’il permet d’éclairer le chemin, et par ricochet, de se mettre en cause, de se perfectionner. L’avis du critique littéraire a l’avantage de mettre en évidence des erreurs, des manquements, des faiblesses. L’auteur en tire profit en s’efforçant, à l’avenir, de ne plus les répéter. En outre, l’avis du critique – on l’oublie souvent – étale, également, au grand jour, les « points forts » de l’auteur, son génie, son originalité. Ce qui fait toujours plaisir et l’engage à faire mieux, le pousse à aller de l’avant. Celui qui a pris le temps de lire une œuvre, de la comprendre, de la disséquer, de l’interpréter et de l’apprécier, mérite bien des égards car d’une manière ou d’une autre, il enrichit l’auteur.
Une critique a aussi de la valeur que l’écrit d’un auteur. On ne le dit pas assez : sans la critique, un écrivain ne peut voir dans ses écrits que les défauts que lui-même est capable de déceler, ceux qui relèvent du domaine de l’habitude. Ainsi, il ne peut que se prévaloir de corrections secondaires, mineures et ne peut, par conséquent, profiter d’une véritable mise en question, celle qui, au terme d’un véritablement bouleversement, favorise un bond qualitatif, une amélioration, un changement positif.
Critiquer pour critiquer n’est pas de la critique. Ceci tout le monde en est capable. Critiquer pour démolir ou pour parler comme Auguste Gnaléhi « flinguer » n’est pas de la critique. Dans notre vision, la critique doit avoir une force révélatrice (au sens photographique du terme), une puissance significative ; elle doit apporter – pour être simple – « quelque chose » au créateur. Elle doit enrichir l’auteur, le lecteur ainsi que le critique lui-même.
On oublie souvent aussi que le critique lui-même tire avantage de son activité.
D’abord, il a l’occasion en critiquant d’écrire. Et l’écriture du critique est aussi un genre littéraire à part entière. Le critique, dès lors, devient créateur et donc écrivain.
Ensuite, écrire est toujours un enrichissement. Ecrire aiguise la réflexion, exacerbe la concentration et développe l’imagination. Ecrire est une acte de libération, une catharsis voire un exorcisme.
De plus, le critique, de par son travail, a l’occasion de lire abondamment, de dévorer des livres et par conséquent, d’aborder divers sujets qu’il n’aurait pas lu s’il n’était pas critique littéraire. Toute la concentration qu’il met à déceler les fautes ou les erreurs de l’auteur d’une œuvre le prédispose lui-même à les éviter dans ses propres écrits.
Par ailleurs, du point de vue esthétique, il « prend du volume » en parcourant des pages lumineuses, en découvrant des images rares, des tournures étincelantes. Il se forge une conscience esthétique qui l’aide à mieux déceler la littéralité de n’importe quelle œuvre. Les réussites littéraires de l’écrivain lui apportent du bonheur et affûtent ses goûts.
Enfin, Le critique dans son activité découvre des auteurs, des styles, des destins. Il a l’honneur d’être averti ‑ comme l’est un prophète de la part de Dieu – de la naissance d’un écrivain de génie, du triomphe futur d’un créateur. Dans tous les cas, la critique enrichit le critique comme personne ne peut l’imaginer.
Autant pour l’auteur que pour le critique, la critique est importante et utile. Et aussi pour le lecteur dont il aiguise le goût, enrichit la compréhension et détermine les choix. La vitalité de la critique dans un pays témoigne d’un certain bouillonnement littéraire. La télévision, la presse écrite, les maisons d’édition et les organisateurs de prix littéraires doivent comprendre l’apport déterminant de cette activité littéraire et travailler avec ses animateurs.
En conclusion, dans un pays qui aspire à un éveil culturel, la critique littéraire doit être encouragée, développée, améliorée de sorte que ses animateurs participent de façon efficiente à la renaissance culturelle que tous les hommes de culture authentiques appellent de tous leurs vœux.
ETTY Macaire
Publié par le quotidien Le Nouveau Courrier du 25 mai 2012
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