« LE RETOUR DE L’ENFANT SOLDAT » DE FRANCOIS D’ASSISE N’DAH : UN HYMNE A L’HONNEUR DU COURAGE ET DU PARDON
Au premier trimestre de l’année 2009, Valesse Editions a publié un roman de François d’Assise N’DAH intitulé « Le retour de l’enfant soldat ». Ce petit roman de 100 pages, qui puise sa substance dans l’actualité sempiternelle de l’Afrique de la honte, propose l’histoire poignante du jeune Zango. Devenu enfant soldat malgré lui, il revient, à la fin de la guerre, à Soukoussa, dans son village, où quelques mois auparavant, à la tête d’une bande de guérilleros il avait commis des atrocités purulentes. Le retour au bercail et sa tentative d’intégrer sa communauté originelle s’avèrent douloureuses : les villageois, le cœur encore saignant de douleurs, le vomissent et le traitent comme le diable. Le chef du village, outragé par l’audace irrespectueuse de Zango, finit par lui tirer dessus un coup de fusil. Au tribunal, tous bénéficient d’une révélation édifiante : l’enfant soldat est lui-aussi une victime de la guerre dont il ignore les causes ; de ce fait, il a besoin de soutien et non de rejet méprisant.
Ce qui frappe dans le livre de N’DAH c’est le magnétisme que dégage son personnage central. Le jeune Zango, sans entrer dans la moule des valeurs sémantiques classiques que recèle le mot héros, en est un à sa manière. Son « héroïsme » n’est pas donné ; il ne le tire pas non plus de son passé souillé et exécrable. Son « héroïsme », il le construit, à petite touche, patiemment et péniblement au fil des pages. La décision démentielle de revenir parmi les siens, en dépit des péchés capitaux qui lui collent à la vie, relève d’un courage herculéen. L’attitude de l’homme ordinaire, à sa place, serait de s’exiler ou de disparaître ou bien de se fondre dans le tumulte de la vie moderne et dans l’anonymat de la multitude, si ce n’est de se suicider pour échapper aux persécutions de ses remords. En conséquence, Zango en décidant un retour périlleux dans son village natal a déjà remporté une victoire sur lui-même : la victoire sur la peur, sur la honte et sur toutes les pulsions que génère un esprit fautif. Son come-back est encore plus significatif que celui pourtant si vanté de l’enfant prodigue de la bible. Contrairement à ce dernier, Zango, lui, n’a pas volontairement rompu le pacte social. Il a été forcé à abandonner les siens et pire : à les humilier, à les massacrer. Comme lui cependant, Zango éprouve le besoin pressant de « revenir aux sources ». L’univers rural, bien que « brûlé » par les affres de la guerre, pour son âme affamée, a la verdeur d’un îlot d’équilibre, de paix intérieure et de concorde sans lesquels sa vie est vouée à la damnation et à l’errance : « Et aujourd’hui, plus que d’ordinaire, il avait besoin de cet endroit et de ses habitants pour repartir dans la vie » ( page 8). Tous les deux, Zango et l’enfant prodigue, ont éprouvé le besoin de jouir du pardon salvateur symbole de restauration et de rédemption. Alors que l’enfant prodigue de la bible est accueilli, avec chaleur, par son père, étincelant de miséricorde, Zango, lui, doit, avant tout et malgré, subir et supporter le fardeau des quolibets, des invectives et du rejet de la part des siens. Son père, en paysan digne et soucieux de la cohésion communautaire, choisit le camp de la majorité indignée qui lui refuse le pardon. Sa confession et sa repentance ne suffisent pas. Les villageois, prisonniers de leur courroux, les jugent même factices. « Il (Zango) comprit alors qu’en tout voyage, la difficulté n’est pas tant de partir, mais de revenir au bercail, surtout quand on a été enfant-soldat comme lui le temps d’une guerre » (Page 8).
Le chemin de la rédemption, comme l’enseignent certaines mythologies, est semé d’embûches. Souvent il n’est possible que par la mort – symbolique ou réelle, peu importe. Ou encore par le sang sacrificiel. Commence alors pour lui une descente aux enfers en vue de « cueillir » le pardon salvateur. Son parcours devient prométhéen. Il échappe in-extrémis à un assassinat par lynchage (Page 35). Le coup de feu du chef, autorité suprême du village, qui a jeté des « plombs chauds dans l’abdomen » de l’enfant-soldat, figure d’une part le ras-le-bol des habitants qui ont du mal à comprendre la détermination de Zango à vouloir vivre avec eux. D’autre part, il marque le summum de cette pénitence à laquelle il doit faire face de gré ou de force. Le sang du héros qui se répand sur le sol a une charge symbolique remarquable. Il fait penser au sang du christ qui réconcilie les hommes et leur créateur. En outre, ce sang a une fonction dramatique : il participe au dénouement de l’intrigue. Car, l’affaire très vite déborde le cadre du village. Le procès qui s’ensuit achève d’ouvrir les yeux des villageois sur la brutale vérité : Zango, l’enfant soldat, est une victime de guerre et non un bourreau. Le devoir du village est de l’aider à réussir son insertion sociale. Le verdict de l’autorité judiciaire traduit le point de vue de l’Etat. A partir de là, Zango est réhabilité, restauré. Zango est mort, vive Zango, pouvait-on s’écrier. Le pardon qu’il a quêté avec audace et souvent avec une rage impertinente n’a pas été donné sur un plateau d’or. Il lui a fallu le conquérir, il lui a fallu couler son sang, il lui a fallu mourir pour renaître. Zango, malgré son jeune âge a fait preuve d’un courage exceptionnel. Par cette approche l’auteur a eu le mérite de créer un héros qui sort des sentiers battus. Par ailleurs, Ayablé, la fille du chef du village et les autres personnages féminins, par leur position humaniste face au cas de Zango, semblent témoigner du désir du romancier de rendre hommage à la femme, en tant que vecteur permanant du pardon et de concorde sociale. En effet, là où les hommes ont été prompts à condamner, les femmes (représentées par la mère de Zango, Ayablé la fille du chef et Ngo qui avait été violée par Zango) ont brillé par leur grande sensibilité et leur prédisposition à pardonner. Elles ont été, après l’instituteur, les toutes premières à comprendre qu’un enfant-soldat est surtout une victime de guerre qu’il faut aider. Parmi les personnages secondaires, l’instituteur, accroche par sa lucidité et son sens d’anticipation. L’écrivain réhabilite ici la figure classique de l’enseignant dans le milieu rural. Là, il est plus qu’un pédagogue. Il est surtout un éducateur, l’éducateur de la société toute entière. Par sa noblesse morale, il symbolise la lumière de ce microcosme romanesque en convulsion.
Le roman « le retour de l’enfant soldat » est un chant douloureux à l’honneur du courage et du pardon. Le pardon, ici, a une fonction salutaire, mais se révèle comme le fruit d’une quête douloureuse. Nous continuons de croire que l’auteur, au vu de la beauté philosophique de l’œuvre, aurait pu développer son intrigue sur au moins deux cent pages et l’élever au-dessus d’un « récit de jeunesse » auquel il est destiné. De même, ce livre aurait gagné davantage en profondeur, s’il nous offrait, dès le début, l’occasion d’explorer ensemble l’âme de « l’enfant prodigue » en proie avec sa conscience angoissée par des monologues intérieurs. Ceci n’est qu’un point de vue et ne saurait constituer un reproche. Au finish, « Le retour de l’enfant soldat » est un roman qui n’a pas démérité d’être choisi parmi les livres qui viennent d’intégrer la liste des œuvres au programme au secondaire.
N. ETTY Macaire
Professeur de lettres
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