LE CONFLIT : LES SUEURS D’UNE SOCIETE CONDAMNEE
C’est à minuit d’une aventure littéraire que j’ai commencé à tutoyer « Le conflit ». Le calme de la nuit, le voile nuptial au dessus du silence sacré ont fait croître la lumière sur ce roman de soleil de 214 pages, tissé avec harmonie et présenté comme le temps qui va au port de la paix.
Ce livre coule les aspirations d’une noce somptueuse au milieu de la table des rêves enchaînés. C’est un appel à la vie, à l’immortel, car tout ce qui est immortel en nous est libre et chante le jour. Beira Ehi Marc annonce le printemps et façonne chaque désir gris et bocage assoupi en petites lunes. « Le conflit » foncier est une réelle problématique en Afrique. Et qui chaque saison fait des victimes et accouche des désordres inamovibles et, insurmontables quelques fois. Voici qui est clair, l’auteur veut la peau de l’horreur. Homme de droit, il anticipe sur ce problème à la grande gueule qui fait autant de victimes que les guerres inutiles.
Baffai Roland, ce gamin « désespérément chétif », natif de Nagoda, de qui « camarades et adultes passaient leurs temps à railler sa morphologie en l’affublant des sobriquets les plus dévalorisantes » et dont le père, le Roi Baffai Timothée n’attendait presque rien, est vite jeté à l’école où il brille de mille feux et devient la curiosité populaire tant ses résultats à l’école sont plus verts qu’un jardin. Major de sa promotion, il rejoint rapidement l’Europe où il sort coter d’un diplôme d’Ingénieur et d’une épouse européenne « très mince et plate » comme une paire de feuille. Mais le peuple de Nagoda a besoin de Baffai Roland pour succéder à son père. Le jeune diplômé accepte la proposition et rentre avec son épouse à Nagoda où il est investi Baffai 1er, Roi de Nagoda. Et voilà qu’à peine mis sur le trône, l’intellectuel de « l’école des otages » veut tout changer et démonter par pièce cette tradition lourde de ténèbres et la polir. Et pour cause, les Maîtres Vieillards lui imposent une femme « née pour lui et qu’ils ont gardé geler à l’aurore ». Baffai 1er rêve d’éradiquer le mariage forcé et organisé sans amour préalable mais aussi l’excision qui salue chaque jour la mort, l’idolâtrie et tous les maux qui, selon son épouse et lui, cassent la direction du vent et empêchent Nagoda de se projeter sur le quai de territoire libre, indépendante et prospère. Pourtant, quand il tente de remuer le bol, il est vite rattrapé par de Vieux voyous et mystico-dangereux qui lui rappellent sans mille détours que la tradition et les lois d’un royaume sont sacrés, « nul ne doit marcher à contre-courant ». Par deux fois, la mort aura essayé de lui passer la bague au doigt quand il se résigne à être désormais « le roi qui siège sans gouverner ». Malgré tout, Baffai 1er et son épouse propulsent Nagoda au rang des territoires les plus influents dont l’économie repose sur l’agriculture. Et un jour, ce jour où le soleil passe la main au bordel et à son visage, quelques carrés des récoltes des Boffai disparaissent. Pour retrouver les voleurs, le couple Boffai fait intervenir des « flics » de bons galons. Enquête concluante : les voleurs sont retrouvés et mis aux arrêts. Mais les voleurs sont des fils de Mossah, « territoire cousin » de Nagoda. Et les deux peuples vivent en parfait partage et bonne harmonie depuis bien des étoiles. Le Roi de Mossah et son peuple voient l’acte comme une insulte innommable et une indignation caractérisées auxquelles riposter est une voie, peut-être la plus sensée. Le temps chauffe et les problèmes de terres rejaillissent. Mossah accuse de Nagoda de détenir ses terres. Nagoda accuse Mossah de souiller l’histoire. Et vice-versa. La mère de Baffai 1er alors native de Mossah pleure le venin et est triste car son fils « ne fait rien pour un règlement pacifique de la crise » quand elle ignore que son fils est le piège d’une tradition, qu’il n’est que symbole du trône, l’exécutif étant la chose des anciens qui ne veulent que la guerre. « Le conflit » se construit. On marche et on détruit. On plante et on ruine. On arrache et on abat. Même les autorités mandatées par le gouvernement sortent les visages jaunes et ne réussissent aucunement à concilier les anciens « voisins et frères ». Baffai 1er, roi par théorie, cloué à la guise des anciens, sorciers et mystiques de la terminale, aura-t-il les forces et le discernement pour s’imposer, grossir son pouvoir et régler ce conflit, lui l’homme pacifiste ? Les deux royaumes survivront-ils ?
De la couverture du livre où l’homme tourne dos à son peuple jusqu’à son contenu émouvant et enceinte de leçons, ce livre attendrit et corrige les perceptions. La terre, laurier de l’Etat, ne devrait-elle pas connaître un partage désormais clair et définitif pour éviter de sombrer dans le noir frais de la mort et des guerres ? Vouloir changer le laid par le beau demande un préalable d’harmonie glacée et de mélodie liquide. Baffai 1er avait-il perdu ce repère, lui l’enfant resté si loin de son Afrique ? Toutefois, le cœur de la vie s’émeut de compassions quand notre volonté de bien faire est sincère et ferme. Hier encore, nous voguions dans le silence et l’hypocrisie, peut-être serait-il midi aujourd’hui, où nous devons réclamer les liens qui unissent et revendiquer leurs titres de pères.
Manchini Defela, journaliste Critique Littéraire
BEIRA Ehi Marc, Le Conflit, Roman, Les Editions BRANIAN, 2013
In Le Nouveau Courrier du 25 avril 2014
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