LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Quel écrivain, digne de ce nom et rêvant de gloire et de succès littéraires, n'aurait pas voulu dominer, comme Victor Hugo dans la France du 19ème siècle, son temps et ses contemporains en usant à merveilles de tous les genres de la littérature?

Etre écrivain, c'est, avant tout, avoir cette ambition et cette renommée qui atteignent jusqu'à l'universalité et à l'immortalité. C'est dominer la société des hommes ordinaires, c'est à dire, se placer au-dessus des mêlées et être, dans la cosmogonie de la littérature, le Zeus ou l'Apollon des Arts créatifs.

N'est pas créateur littéraire qui veut.

Nous voilà donc, caricaturement, en présence d'une ambition qui donne à l'écrivain l'aspiration à surpasser tout, ici-bas, en étant ce dieu qui ne s'exprime que par ses créations d'idées. On se rappelle, ainsi, le poème L'ALBATROS si ingénieusement composé par le brumeux Charles Baudelaire dans LES FLEURS DU MAL, et qui décrit merveilleusement le statut idéal du détenteur du génie d'Art, le poète, l'écrivain, le penseur...

L'écrivain, alors, devrait être vénéré des autres hommes de la société, comme un dieu. C'est par dépit qu'il est "obligé" de "redescendre" sur terre pour attirer l'attention de tous sur lui en se mêlant au vécu de la masse, de la société, en ouvrant surtout un oeil interrogateur sur les conditions de vie sociale du genre humain. Et ce qui, du coup, frappe ce regard scrutateur, ce sont, justement, ces conditions humaines et sociales, malheureuses pour la plupart, et pour lesquelles un Victor Hugo a écrit LES MISERABLES.

Le choc moral naît à partir de ce moment, et là naît aussi la fonction sociale de l'écrivain: affirmer sa vocation d'éveilleur de conscience, sa conviction de défenseur de peuple, son aspiration à lutter pour un monde meilleur. C'est cela, l'expression de la littérature engagée. Que serait donc l'écrivain authentique ainsi dépeint sans cette vocation existentielle propice à la lutte pour des idées de progrès et de mieux-être? Il y a, là, forcément, une nécessaire connexion de cette lutte littéraire engagée avec la politique, qui gouverne la société.

A l'époque de la lutte contre le colonialisme en Afrique, on se souvient que l'écrivain Camara Laye était ainsi accusé de ne pas participer à la littérature négritudienne de combat des Léopold Sédar Senghor,  Léon Gontran Damas, Aimé Césaire...

Quels sont les écrivains qui, en Côte d'Ivoire, font de la littérature un art utilitaire dirigé contre les forces politiques qui génèrent le mal social, et qui sont capables d'amener le peuple à se reconnaître en leurs causes? Depuis Bernard Dadié, on peut les citer, pêle-mêle, sur le bout des doigts, et je ne citerai que ceux qui me semblent épouser ce portrait de l'écrivain engagé, Venance Konan, après Tiburce Koffi et Serges Bilé...

Avec ceux-là, répondre à la question "un écrivain doit-il s'engager en politique?" devient plus aisé, car pour moi, la vocation existentielle d'être un écrivain de son temps consiste à ne jamais se taire devant les injustices sociales causées par les forces politiques régnantes. Ce qui m'amène, tout naturellement, à poser un regard inquisiteur sur les écrivains ivoiriens de notre temps. Beaucoup sont ceux qui, parmi eux, ont démissionné depuis longtemps de cette vocation authentique, pour devenir des esprits corrompus dès qu'ils atterrissent de plain-pied dans l'arène politique, et deviennent bénéficiaires de postes juteux dans les sillages du pouvoir. Ceux qui résistent à ces tentations peuvent aussi être comptés sur le bout des doigts. Le pouvoir de l'argent leur fait oublier la cause première, qui est de veiller, impartialement, à la bonne marche de la société, et d'être des libres-penseurs authentiques.

Sylvain Takoué,

Ecrivain-Journaliste ivoirien.

in LE NOUVEAU COURRIER du 20 janvier 2012