LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

HISTOIRES SI ÉTRANGES de Regina YAOU: Au-delà de la raison

 

Du XVIème jusqu’ au XVIIIème siècle, le siècle des lumières, en Europe, les hommes d’esprit ont consacré le triomphe de la raison. Ils présentaient l’intelligence humaine comme la faculté cardinale capable de tout comprendre et de tout expliquer. La science et la technique, clamait déjà le très rationnel Descartes, ont rendu l’homme maître  et possesseur de l’univers. Un scientisme qui se caparaçonnait du manteau  du dogmatisme reproché à la religion ! Au fil des siècles, l’on a du réviser cette position radicale.  L’on a pu se rendre compte qu’il y a un champ qui échappe à la raison humaine.

 


Il y a, en effet, une réalité qui refuse de se soumettre à toute approche  rationnelle, n’en déplaise aux adeptes de l’incrédule Thomas. Dans l’Afrique traditionnelle, l’on n’ignore pas le fait. Bien au contraire. Les Africains peuvent s’enorgueillir d’avoir fait sienne cette axiome un peu plus tôt que les Occidentaux. Eux, ont toujours cru à l’existence d’un monde mystérieux, incompréhensible au-delà du nôtre qui entretiendrait cependant des rapports complexes réguliers avec le monde réel et visible. D’aucuns ont parlé d’hérésie, de superstition voire de crédulité infantile. Cependant, les faits  sont  là et se multiplient. Les phénomènes paranormaux et parapsychiques relèvent du quotidien et de la réalité du microcosme nègre. C’est cette vérité que témoigne le recueil des « Histoires si Etranges » de Régina Yaou publié par les éditions Valesse.

 

Un rendez-vous avec l’insolite

 

L’écrivaine, qui n’a plus rien à prouver sur sa capacité à imaginer des histoires, cette fois-ci, couche sur papier des témoignages qu’elle a glanés dans son environnement proche et moins proche : « Tous les faits, ici rapportés, sont réels. J’ai rencontré certains protagonistes (ou un membre de leurs familles) de ces histoires » (page 10) avertit-elle. L’univers que peint ce livre est déroutant et mystérieux. Les récits qu’elle déroule charrient des événements violemment irrationnels. Le monde des vivants et celui des morts semblent ne pas être séparés par une frontière étanche. Les morts et les vivants se côtoient. Le visible et l’invisible ne s’opposent guère. Il existe une interaction incroyable entre le naturel et le surnaturel. Des histoires à vous donner du tournis. Des frissons servis au lecteur ! Surprise et frayeur exponentielles au fil des pages !

Dans le premier récit (Atchran assala ou l’apparition), un jeune homme passe de vie à trépas sans que personne ne sut les raisons réelles. Aucun nom, aucun personnage désigné par un patronyme. Comme pour alourdir l’atmosphère du mystère et annoncer les couleurs dès le départ. Trente sept récits, trente sept historiettes, trente sept raisons de frémir. Et des faits paranormaux qui ne s’arrêtent pas de se déployer et de se succéder et d’étonner. Ici c’est une faux qui fauche un paisible dormeur ; là c’est un époux meurtrier qui se retrouve mort et  enfermé dans un placard par des mains invisibles ; après, c’est un kangourou neuf qui rompt pour laisser choir un bébé de trois mois ; plus loin, ce sont des morts, inhumés, qui se retrouvent en vie ailleurs. Un peu plus loin encore, ce sont des enterrés qui viennent offrir de l’argent aux vivants. Et que dire de cet enfant exécrable qui pousse la canaillerie jusqu’à violer sa mère et qui, après avoir été tué par cette dernière, revient au monde par le biais d’une génitrice avec des dispositions plus humaines.

 

La raison déroutée

 

Le lecteur se laisse transporté loin de l’ordinaire et du commun. Il se retrouve dans un monde de tous les possibles, où l’extraordinaire se retrouve à la portée des sens. L’étrangeté des faits rapportés est un moment d’évasion, de dépaysement, loin de la quotidienneté faite d’ennui et de routine paralysante. Le lecteur en revient la raison troublée, les convictions ébranlées…

Le recueil est lourd de mille interrogations. Morceaux choisis : « qu’avait-il vu qui l’ait effrayé au point que son cœur lâche »(p13) ; « que s’est-il passé cette nuit-là ? »(17) ; « mais comment une telle chose pouvait-elle arriver à un homme si pieux… »(p 27) ; « est-ce un être humain »(p 35) ; « aurait-elle monté de toutes pièces cette histoire ? »(p 41) ; « comment est-ce possible »(p55) ; « une forêt sacrée, une cimétière ? »(p 100) ; « est-ce possible de revenir de l’au-delà pour mettre de l’ordre dans sa chambre… »(p115) etc. Des questions…drues, nombreuses, troublantes. A chaque récit son avalanche d’interrogations. Le narrateur interroge. Le lecteur s’interroge. L’étonnement et le trouble sont au rendez-vous. Le champ des connaissances humaines se retrouvent limités.

Très vite, l’on est obligé de se plier à cette vérité : l’univers ne se résume pas au visible, encore moins au rationnel.

 

Du plaisir au questionnement

 

Régina semble ici inviter les hommes à rompre avec le confort des convictions et des idées arrêtées. Il s’agit d’aller plus loin et plus haut dans le regard que l’on porte sur le monde et les événements. Le questionnement, dès lors, s’impose comme l'acte majeur : Comment les choses se passent-elles ? L’ubiquité et le dédoublement relèvent-ils de la réalité ? De quelle puissance émanent-elles ces histoires? La réponse la plus partagée se résume au mot « diable ». « Cela pourrait laisser perplexe plus d’un, mais c’est la seule explication logique qui ait, jusque là, été apportée – preuves à l’appui – concernant ce phénomène »(p 10) soutient l’auteur en avant-propos. Une chose est sûre, l’intelligence humaine est encore loin d’expliquer tous les phénomènes.

Si la simplicité de Régina permet une lecture coulante de ce livre, on en arrive souvent à se laisser gagner par l’ennui. La monotonie provient non pas par le nombre de ces histoires mais par l’insuffisance de leur variance. Les récits hantés par les revenants reviennent de façon obsessionnelle.  Heureusement que les trois dernières nouvelles viennent par leur intensité et leur originalité briser la monotonie. Le regroupement des nouvelles par affinité thématique et ce, sous des titres englobants  aurait pu aider le lecteur à mieux gérer son plaisir.

L’ouvrage « Histoires si étranges » édité par les éditions Valesse, vient confirmer une autre variante du talent de Régina Yaou. Ce livre se situe presque dans la même perspective que « Les Souris de Simakouss » un recueil de nouvelles paru chez Nei-Ceda cette année 2012, que le lecteur pourrait lire pour combler sa soif de faits insolites.

 

Etty Macaire

 

 

Régina Yaou, Histoires si étranges, éditions Vallesse, Abidjan, 2012

 

publié dans Le Nouveau Courrier d'Abidjan le 28 septembre 2012



28/09/2012
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