L’artiste et la discipline
A mes si chers étudiants de l’Insaac, en vue de les instruire un tant soit peu des valeurs et dangers de leur futur métier d’artiste !
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Les rapports que les artistes entretiennent avec la discipline ont toujours été conflictuels. Dire cela ne revient nullement à offenser les créateurs, mais plutôt à poser, avec clarté, la problématique des conditions (de tous ordres) dans lesquelles l’art, le véritable, naît.
En effet : la discipline se veut respect de l’ordre et de la loi donné et imposée. Dans le fond, elle est le propre du gendarme, du policier, du militaire, du curé, enfin de cette catégorie de citoyens faits et formés pour obéir aux institutions. L’apprentissage et l’exercice de leurs métiers respectifs se résument à des injonctions ou à des formules incantatoires : faire triompher la loi, l’ordre ; aimer Dieu et se soumettre à Lui.
Tout à l’opposé, croît et professe l’art. Ici, tout semble s’écrire au vocabulaire et à la grammaire du refus, dans une sorte de syntaxe de la différence où l’artiste affirme haut et fort sa liberté, mais surtout, son amour étrange pour le désordre.
Désordre. Oui, l’art est désordre ; mais un désordre organisé, en vue de soumettre le monde à un autre type d’ordre : celui de la déraison. En cela, l’art est le jumeau de l’amour, ce sourd et aveugle qui n’entend et ne voit rien d’autre que ce que lui dicte le cœur, son seul et unique interlocuteur. Dans l’atelier d’un artiste, se joue constamment une partition : celle du refus de ce qui est. C’est un bel hymne païen aux dieux rebelles qui guident l’artiste au seuil de l’inspiration. Mais qu’est-ce que l’inspiration sinon le moment ultime où l’artiste, débridé, fait éclater les barrières du vieux monde pour célébrer l’enfant nouveau dont il doit accoucher incessamment ? Le Monde se (re) crée ainsi selon les codes d’une liturgie inédite de l’enfantement ! C’est pourquoi, à l’examen, l’art apparaît comme un culte au chaos — un ‘‘big bang’’ provoqué par l’homme —, dans une éternelle remise en cause de tout : la mort, la vie, la femme, le sexe, la nuit, la lumière, les vérités admises sans fondement réel.
Oui, l’art est chaos. Mais c’est d’une adhésion et une admiration passagères pour le chao qu’il s’agit ; car l’indiscipline de l’artiste se veut productive : elle est l’énergie décisive qui lui permet d’accéder au sanctuaire d’où, à la fin de la messe athée avec les dieux païens qui l’y ont convoqué, il reviendra avec ‘‘la chose’’ que le public attend : le grand-œuvre !...
Même l’homme du commun est instruit de la nature de cette relation singulière que l’artiste entretient avec l’ordre et la discipline ; c’est pourquoi il tolère si facilement les incartades des grands créateurs. La demi-nudité d’un Fela (le saxophoniste au slip d’une propreté douteuse) provoque ainsi plus d’intérêt que de dégoût. Marley et Alpha, herbivores d’une autre espèce, ne figurent ainsi pas dans les fichiers de la brigade des stupéfiants ! Aucun flic, en Côte d’Ivoire, ni même ailleurs, ne s’avisera aujourd’hui à aller perquisitionner chez Alpha Blondy pour y débusquer quelque trace de ‘‘gandja’’ — l’herbe-qui-rend-fou certes, mais aussi, l’herbe qui a, peut-être, contribué à faire de lui un être d’exception ; cet homme impossible qui nous fascine cependant, et dont le voisinage ou le commerce, que nous recherchons, nous requalifie...
L’artiste n’est pas un être sage, cela est connu ; mais il n’est pas non plus ignorant des voies et voix de la sagesse. C’est pourquoi il est juste et bon que, de temps en temps, la loi (ce si utile gendarme domestique) l’interpelle, pour le ramener à son identité première (il est un citoyen) et lui rappeler sa vocation essentielle : procurer plaisir et paix à la société. Gare donc aux petits voyous et farceurs qui, sous le prétexte de l’art, s’amusent à enfreindre aux codes de bonne conduite sociale !
Tiburce Koffi
in Fraternité matin du 23 mars
Le Sanctuaire
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