LA MISÈRE SE L’ÉCRIVAIN IVOIRIEN ET AFRICAIN
On dit souvent de l’écrivain qu’il jouit d’un certain prestige et d’une grande considération au sein de la communauté où il vit. Il est l’objet de respect et d’admiration de la part de la multitude. Hier, peut-être. Ailleurs, peut-être. S’il est vrai que c’est un génie, un inspirateur, en Côte d’Ivoire et peut être partout en Afrique – il faut l’avouer ‑ l’écrivain ne jouit pas de cet admirable égard évoqué plus haut.
Le type de société dans laquelle vit l’écrivain ivoirien n’est pas favorable à son épanouissement. Il nage, en effet, dans un milieu où l’argent est érigé en une valeur cardinale. La culture littéraire, l’érudition, la science, les diplômes, la sagesse ne sont pas les valeurs les mieux partagées. Aujourd’hui, la seule possession qui attire le respect des autres ce sont les billets de banque, ces fameux billets qui rendent fous, qui désagrègent l’honneur et qui pervertissent le talent. Une belle maison, une voiture luxueuse sont des unités de mesure nationales par lesquelles on jauge de la valeur d’un homme. Or, il est de notoriété publique que nos écrivains ne sont pas riches, matériellement s’entend. Jean-Marie Adiaffi a été connu comme le propriétaire d’un engin poussif qui lui servait de voiture. Nos écrivains, dans leur grande majorité, sont réduits à emprunter le bus et le taxi wôro‑wôrô. Ceux qui ont pu rendre une visite à Bernard Zadi Zaourou se sont rendus compte que le prestige dont il jouit ne rime pas avec opulence. Il vit dans un cadre modeste ; et si ce cadre est décent c’est parce qu’il est enseignant à l’université et non parce qu’il est écrivain.
L’écrivain ivoirien ou africain ne saurait être un crésus, un nanti car ses productions littéraires ne lui rapportent pas de subsides dont il est en droit d’attendre. Le métier d’écrivain ne nourrit pas son homme. Le peuple ivoirien et les Africains en général – c’est maintenant un lieu commun – ne lisent pas suffisamment. Et comme ils ne lisent pas, il n’achètent pas les œuvres littéraires. On s’étonne souvent de découvrir que les écrivains ivoiriens vendent difficilement, dans leur grande majorité, 1000 livres. En dehors d’Isaïe Biton Koulibaly dont les œuvres sont prisées par la population féminine notamment, ils sont rares les écrivains ivoiriens qui vendent régulièrement des livres au point de ne vivre que des dividendes de la vente de leurs productions. Et d’ailleurs, dans la chaine de la publication d’un livre, l’écrivain est certainement celui qui gagne le moins dans la vente du livre. La part du lion, il faut le dire clairement, revient aux diffuseurs et distributeurs. Après ceux-là viennent certainement les imprimeurs, les éditeurs et les libraires. L’auteur n’est servi qu’après tout ce monde. Autrement dit, c’est à lui que revient ce qui reste dans l’assiette quand les premiers ont fini de se servir. Pour être plus précis : le quota de l’écrivain pratiqué presque partout dans le monde et en Côte d’Ivoire ne dépasse pas 10%. Avec ce pourcentage l’écrivain est condamné à la pauvreté. S’il veut profiter de sa transpiration créatrice, il doit lui-même pouvoir éditer son œuvre à compte d’auteur. Or, le processus d’édition d’une œuvre coûte extrêmement cher. C’est à croire que l’écrivain est pris au piège, coincé dans un cercle vicieux.
En outre, la misère de l’écrivain ivoirien et africain est liée au fait que la lecture et le livre ne sont pas prisés dans nos sociétés. Même l’école qui devait être le lieu d’une plus grande promotion de la lecture ne favorise pas une affection du livre. Les œuvres littéraires sont achetées par les élèves seulement parce qu’elles sont imposées. Les apprenants sont à l’image de leur société. La société moderne est plus tournée vers les activités qui ne mobilisent pas de façon permanente ses facultés intellectuelles. Or, la lecture demande attention, réflexion et effort de compréhension. Ainsi, on aime avec avidité le sport, l’internet, la vidéo. Dans un tel monde, l’écrivain ne peut que faire partie de la grande masse des anonymes, des hommes ordinaires. Un prix remporté par Jean Marie Adiaffi suscite moins de passion que le ballon d’or de Drogba. Le Grand Prix Littéraire de l’Afrique noire a été remportée par Bernard Dadié, Aké Loba, Jean Marie Adiaffi, Bandaman Maurice et Véronique Tadjo. Soit cinq fois par les écrivains ivoiriens. Ils sont donc dans le domaine de la littérature des stars. Mais combien de fois ont-ils bénéficié de l’hommage du peuple ou de l’Etat ? Combien de fois la télévision nationale en a fait son chou gras ? Combien de fois ont-ils été reçus par nos chefs d’état ? Nous avons rapporté une seule fois la CAN : celle de 1992. Mais on continue de s’en enivrer. On connait le nom de tous les héros de ce triomphe en terre sénégalaise. Mais qui reconnait Bernard Dadié entrain de faire des courses dans un supermarché ?
Je crois qu’il n’est pas faux, de surcroît, d’affirmer que nos écrivains ne sont pas aussi célèbres comme on le laisse croire. Leur popularité se limite aux milieux culturels, littéraires et universitaires. S’ils sont connus par le citoyen lambda, cela se limite à leur nom. Toutes les universités du monde étudient Bernard Dadié, mais sa présence dans un bureau ne suscite pas d’engouement en comparaison de celui de Kolo Touré ou de Zoumana. L’écrivain et dramaturge égyptien Mohamed Salmawy racontait cette anecdote fort enrichissante :
« J’ai récemment visité une école secondaire privée. Ses étudiants présentaient ma pièce de théâtre d’un seul acte « Le suivant ». Dans une rencontre avec eux, j’ai demandé : qui d’entre vous souhaitait devenir écrivain. Personne n’a alors levé la main. Mais après quelques minutes embarrassantes, l’un d’entre eux a levé la main avec timidité et m’a dit : « J’écris de la poésie, mais je voudrais travailler dans une compagnie étrangère de pétrole ». J’ai rétorqué : « et la poésie ? ». « Je l’écrirais, dans mes heures libres », a‑t‑il répondu. Je lui demandé alors s’il ne voulait pas devenir poète. Il a répondu par la négative et m’a affirmé que la poésie ne pouvait pas être considérée comme une profession ». Il avait raison, cet étudiant. Se consacrer entièrement à l’écriture c’est se condamner à la pauvreté. Pour ne pas mourir de misère, les écrivains ont trouvé deux palliatifs. Primo : ne pas faire de l’écriture un métier. La plupart des écrivains ont nécessairement un premier métier et considèrent l’écriture comme une activité secondaire. Quelques écrivains prétendent vivre de l’écriture mais une enquête minutieuse révélera qu’ils écrivent des articles, font des piges, animent des ateliers culturels, prononcent des conférences pour avoir au moins leur argent de poche. La misère matérielle ne date pas d’aujourd’hui. Les bohèmes littéraires désargentés et surendettés étaient légion dans l’histoire de la littérature française. Charles Baudelaire, pour survivre, faisait de la critique littéraire. Albert Camus était journaliste et écrivait des articles à scandale. Sous le règne de Louis XV, l’écrivain français se battait pour survivre en faisant de petits travaux d’édition et de leçons. D’aucuns recevaient des pensions de noblesse. Jean Jacques Rousseau était copiste de musique.
Secundo : faire la politique. Cette voie est certainement la meilleure pour soulager nos créateurs de leurs faims (faim de reconnaissance, faim de popularité, faim d’argent, faim d’une vie décente). Entrer dans un gouvernement par exemple apparait pour l’écrivain comme une bouée de sauvetage sur laquelle il ne saurait cracher. Les écrivains devenus ministres, cela a toujours existé dans le monde entier. En Côte d’Ivoire, il y a eu Bernard Dadié, Zadi Zaourou, Bandaman Maurice, Sery Bailly, Koné Dramane etc. Ceux qui n’ont pas réussi à entrer dans le gouvernement trouvent leur consolation à des hauts postes dans l’administration. Venance Konan est devenu DG de Fraternité Matin et Tiburce Koffi Dg de l’Insaac. Les écrivains, eux aussi, ont le droit de participer à la gestion des affaires publiques.
En tant que défenseur des causes justes et dispensateur des valeurs morales et sociales, l’écrivain peut être utile dans la difficile tâche d’humanisation de l’Etat. Il se pose cependant le problème de l’embourgeoisement cause d’engourdissement et de stérilité créatrice (Nous reviendrons sur le sujet sous le titre : l’Ecrivain ivoirien et le pouvoir). Mais combien sont‑ils les écrivains qui ont eu la chance d’être nommés ?
Dans leur grande majorité, ils sont pauvres. Certes cette pauvreté est relative, mais en comparaison aux nuits blanches qu’ils passent pour interroger le monde, pour créer, pour produire, on doit reconnaitre qu’ils sont mal lotis. Combien pèse financièrement un prix littéraire ? Presque rien. Une jeune fille élue miss beauté reçoit une voiture ou une villa avec un chèque qui donne le tournis. Pourtant, c’est par le nombre d’écrivain dans un pays qu’on peut juger du niveau de conscience de la population. Une société sans écrivain est une société sans éclaireur, sans guide vouée à mourir d’overdose de propagande et de discours politiciens. Que faire ? Abandonner la plume ? Impossible. Le besoin d’écrire est une nécessité pour tout écrivain. Quand bien même il ne tirera pas de profit matériel, quand bien même il n’y aura personne pour le lire, il continuera comme un fou à faire le même geste : écrire. C’est bien là que se trouve la chance de la société.
ETTY Macaire
publié dans le quotidien ivoirien LE TEMPS du samedi 2 novembre 2011
A découvrir aussi
- Coup de gueule/ la problématique de la littérature de gare
- Coup de gueule / DEBOUT, ET TRAVAILLONS A L’UNISSON !
- Coup de gueule/ Sidney Krams: le miroir de nos démissions
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 284 autres membres