LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Coup de gueule/ Sidney Krams: le miroir de nos démissions

Mon Dieu ! Que d’étranges ballets et que d’étranges besognes. Nous sommes avant tout les bienfaiteurs de nos peuples... Se mentent à eux-mêmes la plupart des dirigeants du monde. C’est une phrase qui est devenue obsédante. Et l’histoire y est pour quelque chose. Cela, pour le plus grand bien de l’humanité ou bien pour son plus pénible mal. Ainsi, le décor est planté.

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Ce monde du Livre et sa boue, ce monde que l’on cogne, et l’on cogne. L’on cogne sur notre frêle Littérature. Tous ces pouvoirs, toutes ces autorités vandalisent les cornes de l’éducation. Les amoureux du Livre s’offusquent en silence. Et des hauts grades, pas des confitures, s’amusent à nourrir cette intrigue, le trident à la main. Et surtout le verbiage des vieux jeux dans la gorge. On va tout droit paître, malheureux  parmi autant de sombres moutons si on n’y prend pas garde. Parce que c’est horrible de chasser (de toute façon il n’y a pas d’autre qualificatif aussi tendre voudrait-on) toutes les bonnes volontés qui, par ouverture au monde, décident de donner des couleurs cascades à l’éducation de notre peuple, de la jeunesse sous la gouaille évocatrice de la mauvaise analyse de la chose « Livre ». Les sens tous en éveil, le noir abattu, c’est un drame qui caresse les larmes, qui pille l’esprit, qui fauche le cœur. Et la République toujours roucoule, et le Livre maintient toujours son éternel rang : dernier de classe.

On nous dira : « c’est la même chose partout » ! C’est vrai. Sauf qu’ici, la littérature n’est jamais dans le classement. C’est à l’usure qu’on apprend qu’elle fut classée dernière, inutile. Vous êtes étonnés ? Vous riez ?  Non, n’en riez pas. Et puis à vrai dire, ce n’est pas méchant, croyez-nous. C’est ainsi sous nos tropiques. Ici, trouver une subvention pour n’importe quelle activité liée au Livre, c’est courir le risque d’épuiser vos sandales (surtout éviter de mettre des souliers cirés), jusqu’à les percer … Il n’y a rien pour vous ! Et n’attendez pas un scandale. C’est un fait réel que vous dira même « l’homme à la tête », au pied du vieux ministère, assoupi sur son flanc. 

Sidney Karams, ce nom vous dit quelque chose ? Non, évidemment. Le contraire aurait fait couler nos morves. L’homme est un ivoirien, et son nom à l’état civil : Gbané Karamoko Sidiki. Aussi cultivé qu’ouvert d’esprit, noble éclairé, grand philanthrope, doublé d’un homme de terrain, Sidney est une personne aujourd’hui heureuse. Pourtant, son histoire n’est pas du pollen. Parce que l’homme s’est vu refuser l’aide, et de partout, sans la moindre virgule. Et chasser presque pour avoir insisté. Et bien oui, n’insistez pas auprès de ces donateurs et mécènes maladroits, surtout quand ils ont déjà lancé le « non » à la dent dure, surtout quand il s’agit du Livre et de son visage de diable. Sidney s’est donc vu – comme beaucoup d’autres d’ailleurs - dans l’ample manteau littéraire de l’obscurité du rejet. Handicapé physique de surcroît, il a douté prenant parfois pour un délit pervers et une insulte aux autorités son rêve de créer une bibliothèque et un espace d’échanges et de culture.

Ironie du sort hélas, et comme si c’est une mode qui doit vivre, on  continue à ficeler allégrement tant de victimes sur des silences inutiles mais, volontairement imposés pour mieux les asservir, et faire d’eux ce que l’on veut.  Sidney – comme tous les autres - s’était oublié, ou avait oublié le fonctionnement de ces systèmes « impressionnants » Et bien oui, de grosses têtes, pas des photos, ni de pâles copies, se tapissent insidieusement dans la pénombre des gîtes les plus viles. Et avec le temps, sans s’en rendre compte, les maîtres, les décideurs de tous les destins, se laissent envelopper et sans sourciller, par une carapace épaisse de goudron qui se lie avec la noirceur des cœurs froids, comme morts. Et des tas de brutes sans rang et sans vergogne suivent la trace de ces mauvais dirigeants. Hélas ! Mais le Livre n’est pas mort. Il ne peut mourir. Des mains généreuses l’éveillent, le réveillent, le cueillent. Elles affrontent – viscéralement – les plumitifs des classements qui les enfoncent aussi involontairement. Mais il vit. Le Livre vit. Et Sidney avec sa cabane en bois nue mais inondée de savoirs et de livres nous fait prendre conscience qu’il y a dans notre pays quelque chose à faire, des autorités à circoncire, la tutelle à ranimer, des bibliothèques à créer en chants et danses, des foires du Livre à planifier, la lecture couronne du savoir à encourager, l’écriture nid du quotient intellectuel à susciter, les écrivains à applaudir, et le Livre à côtoyer… impitoyablement. 

 

Manchini Defela

in Le Nouveau Courrier du 6 septembre 2013

 

 

 

 



08/09/2013
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