L'HOMME POLITIQUE ET L'ECRIVAIN
L’écrivain et critique littéraire ivoirien nous propose ici une lecture pour comprendre la différence entre le monde de la création littéraire et le monde politique, entre l’écrivain et le politicien.
Voici un monde étrange où il ne fait ni jour ni nuit, ni chaud ni froid : Le temps y est brumeux en permanence et donne l’air d’avoir toujours devant soi une vaste baie vitrée, embuée et opaque. Les serpents de toutes les espèces rampent par terre et sont partout, cherchant à mordre. Les scorpions et les mygales, aussi. Des tessons de bouteilles sont étalés sur tout le sol de latérite où jonchent aussi des ronces et des épines pour s’enfoncer dans la plantes de vos pieds. Des barbelés qu’on ne voit pas sont tendus dans l’air pour blesser votre peau et votre chair. Des épées virevoltent dans l’air pour vous couper la tête. En permanence, des gens adroits et tapis, on ne sait où, vous visent et lancent des pierres pour vous atteindre à l’œil, et des flèches pour vous atteindre au cœur. Des embuscades et des guets-apens vous sont tendus au coin des rues. Partout, l’on sent l’hostilité. Les paroles entendues ressemblent à des aboiements de loups et à des grognements de renards. Vous sentez, dans ces brumes et ces ombres de la vie, que quelqu’un d’effrayant et de cynique peut subitement surgir de nulle part pour vous poignarder le dos ou le flanc. Tout, dans ce monde étrange, est suspect et louche. La méfiance est votre alliée le plus sûr. Vous voulez boire de l’eau pour étancher votre soif, l’empoisonnement vous guette. C’est pareil quand vous voulez manger pour satisfaire votre faim. L’air que vous respirez est infecté de cyanure. Le mensonge est la monnaie de change. La trahison, aussi. Voilà le monde étrange que crée l’homme politique.
L’écrivain de génie, d’un coup de plume, mage de la pensée, prophète des temps heureux, vient et fait que l’envers soit à l’endroit : le jour succède à la nuit, les brumes et les ombres disparaissent au lever du soleil, le pâtre est à son labeur, le semeur est à ses sillons, le matelot est à son esquif. L’oiseau nourrit sa nichée dans la charmille, et l’homme nourrit les siens chez lui. L’écrivain rend le sourire au misérable qui n’espérait plus rien de la vie, et redonne le goût de vivre au mutilé. Il fait de l’espoir une nécessité, et de cette nécessité fait sortir l’utile. Il donne des ailes aux ambitions et des roues au progrès. Il offre au jonc la rosée nécessaire à son fleurissement et à l’enfant le hochet utile à son épanouissement. Il fait sourire la crèche autant qu’il rend pieux le tombeau. L’homme, sous sa plume, est le Lazare revenu à la vie et le Job retrouvant ses richesses. L’écrivain est le devin sacré de la société. Il sublime les misères et épouvante les méchancetés. Il écrase sous son talon le serpent nuisible à la vie et la souffrance inutile au bonheur. Il est l’épée de Damoclès qui tournoie au-dessus de la tête des tyrans. L’écrivain est un génie, un démiurge qui fait penser à Zeus, à Apollon...
Sylvain TAKOUE,
Ecrivain-Journaliste
Critique littéraire et d’Art,
Contact : (225) 58 30 40 00
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