Interview de Henri Nkoumo, Directeur du livre, poète.
2013 passant lentement à l’agonie, nous avons rencontré le directeur du Livre de Côte d’Ivoire pour faire un bilan. Monsieur Henri N’Koumo, immense poète dans l’âme, auteur d’ouvrages de fortes flammes, nous a reçus dans son bureau de la Tour E au Plateau. Avec le sourire cinq étoiles qu’on lui connaît, l’homme s’est excellemment prêté à nos questions. Place à l’interview…
133 œuvres parues cette année de 55 auteurs connus et 52 à leurs premières œuvres, 100 ouvrages plus ou moins bien accueillis par la critique, 26 dans les geôles avec des cravates qui n’ont vu le passage d’aucun critique, 7 qui ont vu s’étirer les kalachnikovs acerbes des critiques, comment jugez-vous le travail de tous ces acteurs du Livre ?
Le livre en Côte d’Ivoire au sortir de la crise que nous avons connue n’est plus très présent dans la vie des ivoiriens. Pour ce qui est de la production, les chiffres que vous communiquez sont effectivement rassurants pour un pays en pleine reconstruction. Mais j’ai aussi une lecture double. D’abord il faut saluer ces maisons d’éditions qui font confiance aux nouveaux auteurs. Parce que dans de nombreux pays, les premiers auteurs peinent pour avoir un espace de visibilité. Et il est heureux que des maisons leur accordent une place de choix. Les auteurs dits confirmés ont également une tribune. Ce qui fait que nous avons en Côte d’Ivoire une double présence qui est assez significative. Maintenant la question de la réception des ouvrages par le public et par la critique est une question seconde. Il faut savoir que le destin d’un livre n’est pas de limiter sa vie au regard porté sur lui ici et maintenant. L’histoire de la littérature nous enseigne que des ouvrages qui ont été laissés au bord du chemin ont pu retrouver une pleine vie. Alors j’invite tous les jeunes auteurs qui n’ont pas connu la fortune à la sortie de leurs premiers bouquins à continuer de travailler, à remettre l’ouvrage sur le métier, et demain ces auteurs pourront atteindre la lumière. Ailleurs, en France particulièrement, elles sont nombreuses les publications qui occupent les rayons de librairie. Cependant elles sont très peu celles qui attirent l’attention, et du public, et de la critique. Et il y a de nombreuses œuvres qu’on oublie, dont on ne signale même pas l’existence. Il ne faut pas que la Côte d’Ivoire perde de vue l’idée que le destin de tout livre, c’est où d’être vu et aimé, ou de ne pas être vu et de rester sous silence jusqu’à ce que la fortune puisse le gagner. Je pense que dans l’ensemble nous avons une vie du livre qui reflète notre production. Une production qui a envie de s’asseoir. Une production qui fait ses pas. Et il faut que nos maisons d’édition continuent d’avoir cette double marche : celle avec les auteurs confirmés, et celle avec les jeunes auteurs qui, petit à petit, vont apprendre pour devenir demain, ceux-là même qui vont donner à nos belles lettres, et la force, et la lumière.
Justement, pourquoi alors toujours les mêmes auteurs, ces anciens, à tous les rendez-vous littéraires ? La politique du bras lié ? Ou de l’avarice assidue envers les plus jeunes ?
Non. Voyez-vous, quand il y a des rencontres internationales, la Côte d’Ivoire doit se donner les moyens d’y aller avec ses meilleurs représentants. Et le Ministère de la culture et de la francophonie s’est imposé le devoir de faire briller notre étendard partout où la Côte d’Ivoire est appelée. Ce qui fait que nous allons avec les meilleurs de nos hommes pour le moment. Les plus jeunes demain seront également appelés à intégrer la marche.
Si on l’entend avec les cinq sens, cela veut dire donc que les meilleurs, ce sont les anciens ?
Non, les meilleurs ne sont pas les anciens. Ce que nous disons, c’est que les meilleurs, les auteurs confirmés doivent tirer la machine et les autres suivent le mouvement. Ce n’est pas l’âge de l’écrivain qui fait la valeur d’une œuvre. C’est sa qualité intrinsèque, et cette qualité là, on l’a, ou on ne l’a pas. Et nous avons une chance, c’est que les écrivains de Côte d’Ivoire ont dans leurs écrits quelque chose qui est une sorte d’énergie qui attire. Et nous sommes heureux d’aller avec ceux que nous considérons comme étant les meilleurs.
En Côte d’Ivoire la Critique est vue comme un démon sur le plafond, rien n’est fait pour honorer ceux qui donnent de la visibilité aux œuvres, pourquoi selon vous ?
Les critiques donnent l’impression d’agiter un drapeau rouge…(Rire) Alors que ce n’est pas cela la vocation de la critique. Le rôle de la critique, c’est d’abord mettre en lumière des œuvres significatives, appeler l’attention sur des œuvres porteuses d’énergie. Mais c’est également inviter celles qui ont une démarche moins heureuse à pouvoir retrouver une dynamique pour que ces œuvres-là aussi arrivent à grimper jusqu’au sommet. Et puis les critiques, partout dans le monde, ont la plus mauvaise des places. Parce qu’on estime que les critiques sont faites pour ternir le bâton. Non. Les critiques sont là justement pour animer la vie littéraire et faire comprendre au public qu’il y a des œuvres qui existent, des œuvres qui méritent l’attention et il y en a sincèrement dont on pourrait se passer pour le moment, ou à un moment donné de notre histoire. Le travail des critiques est toujours à saluer. Ces gens-là se donnent les moyens et le temps d’entrer dans les œuvres, de les faire découvrir et de les partager avec nos populations. Ils font un travail admirable, remarquable. Mais aussi un travail égoïste. Parce que dès lors qu’on porte un regard appréciatif ou dépréciatif, on est appelé à être soit bien vu, soit mal vu par les différents destinataires. Alors je pense que les critiques n’ont pas à rougir. Il faut qu’il fasse leur boulot. Car ce sont les belles lettres de Côte d’Ivoire qui vont en tirer profit. Maintenant pour ce qui est de la valorisation des critiques, il faut savoir que par le passé, et à notre initiative, les critiques avaient été mis à hauteur d’yeux. Il y avait un prix de la critique. Mais les circonstances ont fait que ce prix a pris du recul. Aujourd’hui le ministère est entrain de mettre en place un pool de critiques qui devrait permettre de consolider le travail de leurs aînés déjà en activité, mais également d’intégrer dans le cercle les personnes qui veulent faire de la critique. Parce qu’on ne peut parler de livre sans la critique. Les critiques sont le premier moteur de l’activité littéraire dans un pays. Ce sont les critiques qui sont les passeurs d’énergie. Et ce sont eux qui ouvrent les portes des livres aux différents publics. Ce sont eux qui appellent l’attention.
Le SILA a fermé ses portes. Et les anges ne sont pas encore blancs. Parce que la lecture est un scandaleux supplice pour les populations, la politique du livre est d’une insuffisance chronique, quel est le véritable problème ? Ou la véritable solution ? Qu’attend l’Etat de la part des écrivains pour relever le flambeau de la littérature ivoirienne ?
Partout dans le monde le livre est dans un état piteux. Du point de vue de sa visibilité. En France les écrivains et professionnels du Livre se plaignent. Il n’y a plus d’espace pour le Livre dans les médias publics, les médias chauds. Les émissions littéraires passent à des heures impossibles. Et la Côte d’Ivoire pour l’heure n’échappe pas à la règle. Le Ministère s’active, bien sûr avec le concourt de la direction générale de la RTI, à produire une bonne émission littéraire. Cela permettrait de tirer le livre vers le haut. Mais il y a derrière tout un encadrement à mettre sur pied au profit justement des critiques pour qu’ils soient ces passeurs d’énergie. Ceux-là doivent aider à une vitalité des clubs littéraires dans les établissements. Il y a comme cela tout un programme que nous sommes entrain de mettre en marche. La fin c’est de donner au Livre le destin qu’il lui faut, c’est-à-dire, l’outil d’accomplissement, d’accompagnement, et d’intégration de l’ensemble de nos populations.
Nous notons 0,1/350 écrivains qui vivent de leur art en Côte d’Ivoire. Quel combat menez-vous pour réparer ces chiffres plutôt alarmants ?
Il ne s’agit pas de chiffres alarmants… Dans le monde entier, très peu de personnes vivent de leurs plumes. En France, elles sont nombreuses les personnes qui écrivent, et très peu celles qui vivent de leurs livres.
Sauf qu’en France on a comme chiffre 1/10…
Oui. Mais je ne trouve pas ces chiffres alarmants. C’est partout pareil dans le monde.
Qu’est-ce qui est pareil au juste : les chiffres ou la problématique ?
La problématique bien sûr. Maintenant vous donnez des chiffres pour la Côte d’Ivoire… C’est bien. Mais est-ce que cela est scandaleux ? Non, car partout dans le monde seuls quelques élus ont le privilège de pouvoir vivre pleinement des ressources tirées de leur travail. Et la Côte d’Ivoire n’échappe pas à cette situation. Quelques écrivains vivent de leurs plumes. Mais le grand nombre vit d’un métier qi lui permet de survivre. L’écriture doit être perçue dans nos contrées et également partout dans le monde comme avant tout une activité ludique.
Pourquoi ? Cela veut dire qu’on écrit et ensuite on va se coucher… ? C’est un art comme tous les autres, non ?
L’écriture vient pour compenser dans le programme individuel les faiblesses intérieures qui font qu’on prend la plume. Les écrivains s’amusent… d’abord. Et en s’amusant, ils peuvent sensibiliser sur les faits de société, etc. Ce n’est donc pas une activité qui est faite pour nourrir son homme à moins que l’écrivain ne connaisse la fortune.
Alors, vous ne comptez rien faire pour que ces jolis chiffres aillent vers le haut ? Puisque c’est d’une parfaite universalité…
Ce n’est pas ce que je dis. Nous faisons le meilleur pour nos écrivains.
Y a-t-il sincèrement un problème entre le Ministère de la Culture et l’AECI ? Ou entre la Ministère et le président de l’AECI ?
L’association des écrivains de Côte d’Ivoire, son président Josué Guébo et le Ministère de la culture et de la francophonie travaillent en parfaite harmonie. Et le ministère soutient de façon forte toutes les activités conduites non seulement par l’AECI mais par tous les professionnels du Livre. Sachez que l’AECI bénéficie d’un appui budgétaire du Ministère de la Culture pour conduire ses activités. Et le ministère donc joue son rôle avec les écrivains, et avec tous les acteurs du Livre. Il s’active à ouvrir les portes de l’extérieur aux écrivains, nos éditeurs et libraires en créant des espaces d’expression. Alors, les écrivains sont bien logés, voire bien chaussés (rire). Et nous sommes heureux du travail fait par le président de l’AECI qui vient justement de lancer un important prix littéraire ; le prix littéraire Bernard Zadi Zaourou qui est fortement soutenu par le ministère de la culture.
Des écoles sans bibliothèque courent tout le pays, la lecture est sans parent, autant de lettres mortes pour nos tutelles… Quelles perspectives pour les années à venir ?
L’éducation nationale est un espace qui concerne l’ensemble de nos populations. On parle d’éducation nationale parce que c’est dans ces endroits là que la nation forme ses enfants. Et par le passé, le Président de la République Félix Houphouët Boigny faisait l’effort de construire une bibliothèque dans chaque école offerte. Mais depuis la crise économique de 1980, les bibliothèques ont commencé à fermer. Et les locaux réutilisés comme salle de classe puisque l’Etat ne construisait plus d’école. Mais aujourd’hui, le Ministère de la culture et le ministère de l’éducation nationale travaillent pour remettre à flot les bibliothèques dans les écoles. Et l’année 2014 connaitra les couleurs de ces belles et denses initiatives. Bonne et heureuse année 2014.
Interview réalisé par Manchini Defela
In le nouveau courrier du 27 janvier 2014
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