LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

LE SANCTUAIRE D'ETTY MACAIRE

Interview/ Mathurin Goli-Bi-Irié, écrivain, auteur de « La Lycéenne»

 

 

Le roman « La Lycéenne » fait partie certainement des romans qui, ces dernières semaines, ont eu un écho favorable auprès des lecteurs. Son auteur qui est à son cinquième livre s’appelle Mathurin Goli-Bi-Irié. Il est professeur de lettres modernes au Lycée Municipal 2 d’Attiécoubé. Ensemble, tout au long de cette entrevue, nous avons essayé de révéler la richesse sémantique de son œuvre. Interview…

 

 


Vous êtes à votre cinquième livre, pourtant votre nom ne fait pas assez d’écho dans le monde des lettres ivoiriennes.


Je suis en effet auteur d’une œuvre poétique « Hideur des tropiques », d’une œuvre biographique, « Le messager au sommet de l’art », d’un recueil de nouvelles « Mon adultère pour un enfant » et un ouvrage scolaire dénommé « Top Chrono français » chez les éditions Matrice.   « La lycéenne » qui est ma cinquième publication est une œuvre romanesque. Dans peu de temps, avec pratiquement quatre publications en moins de deux ans dont deux ouvrages didactiques vendus en côte d’Ivoire et dans la sous région africaine, mon nom fera écho dans l’univers littéraire de notre pays.

 

Vu la gravité des problèmes que vous posez dans votre roman, on se demande pourquoi a-t-il porté le titre « La Lycéenne » ?


Vous avez raison. Ceux qui voient le titre « La lycéenne » pensent immédiatement à un roman à l’eau de rose. Le titre est choisi à dessein. En effet, Koukougnon Mireille Ozoua, la lycéenne, en tant que personnage principal est au centre de la trame narrative. C’est par elle que surviennent tous les scandales au lycée. Elle est  à l’image de la boîte de Pandore. Elle est présentée comme le sceau indélébile des maux qui assaillent le lycée.  En lisant l’œuvre on se rend bien compte que sans Mireille, on aurait rien su du lycée. Elle est successivement à l’origine de l’amour passionnel considéré comme un crime de lèse majesté, de l’affront porté contre l’examinateur de fortune, de l’émeute des lycéens et de l’accroc avec le professeur vantard et défaitiste.  Porté à la cime des événements scandaleux, un tel personnage mérite d’être une référence.

 

L’histoire entre la lycéenne Mireille Ozoua et le professeur Galaty est quand même singulière. Comment le pédagogue réputé sérieux peut-il se retrouver dans un lit avec celle qu’il a fait exclure ?


J’ai voulu mettre en exergue à travers cet acte sexuel inimaginable, ce que j’appelle « le rire du destin ». Il ne faut pas que les intellectuels pensent toujours que leur savoir livresque suffit pour prévenir les vicissitudes de la vie. Quand,  haut de son titre de professeur, Galaty clouait la lycéenne au pilori - quand, fort de son rang social,  il la lorgnait- quand, imbu de sa personne, aveuglé par la mégalomanie, il ne savait pas qu’elle pouvait braver les avatars de la vie – quand, enfin, il disait à sa collègue sans sourciller qu’il n’aimait pas la lycéenne, le destin, lui, à l’affût, riait. Seul, le destin savait ce qu’il allait faire de celui qui ne savait pas de quoi est fait le lendemain. Autant que nous sommes sur la terre, nous ne devons pas faire de notre aisance, de notre privilège, une raison du triomphalisme infaillible.  Les hommes, quand ils sont sur le cheval fougueux de leur orgueil, ils ne peuvent pas imaginer qu’ils peuvent connaître un jour le revers de la vie. Les leçons de la vie nous enseignent que l’homme est souvent rattrapé par les effets du ridicule qu’il souhaite à son prochain. J’ai traduit en substance qu’il ne faut jamais dire « jamais ». Galaty était immergé dans le flot impétueux de son orgueil, c’est pourquoi, il est tombé dans le traquenard du destin. 

 

La chute du livre semble consacrer le triomphe de Mireille Ozoua, la lycéenne que vous peignez comme une jeune fille effrontée et dévergondée. Je me pose des questions sur vos intentions…


De cette séquence de la vie de Mireille, il faut tirer deux leçons de la vie. On doit comprendre que la souffrance devient inéluctablement le levain du courage. Tout ce qu’elle a subi lui a forgé le mental au point qu’elle s’est signalée en fin de compte sous les oripeaux de l’amazone. En seconde leçon, je n’ai fait que rappeler que rien sur cette terre des hommes ne vient ex-nihilo. Je suis de ceux qui pensent que le hasard n’existe pas. Ce que vous peignez comme le triomphe de Mireille Ozoua, est le fruit de la conviction, la leçon de la persévérance. Son dévergondage est une suite logique de l’inconséquence psychologique et comportementale de son entourage. Au départ, Mireille est caricaturée sous les traits d’une fille pleine de pudeur. Elle est sortie, hélas de son équilibre parce qu’elle a été précipitée et plongée dans la gadoue des attardés. En quoi aimer peut-il être une offense à la morale de l’humanité ? Ne pouvant donc pas éviter d’être à l’image de la société, elle a fini par être dépravée et dévergondée. 

 

Ce qui semble être la déchéance de l’enseignant exemplaire qu’était Galaty traduit-il le pessimisme de l’auteur ?


La vie est faite de la jonction de l’ordre et du chaos. Nul ne peut échapper à la dictature de la dialectique. Le destin a rappelé à Galaty qu’il était un homme. Il est rentré dans le cocon des humains par l’entremise de l’effraction du destin. Sa déchéance est symptomatique de l’essence humaine. C’est donc normal qu’on soit quelquefois auteur des vices. Ce n’est pas un souhait mais c’est inscrit ainsi dans la nécessité de la nature. C’est pourquoi, je reste toujours confiant, optimiste. On aura bien veillé sur soi-même, on aura bien calculé pour ne pas être victime des déboires, mais vaille que vaille, on sera emporté par le contraire. C’est ce qui est arrivé à Galaty. 

 

Dans ce roman vous établissez un rapport entre la société et l’école. Pouvez-vous être plus explicite ?


L’école et la société forment un nœud gordien. Par le jeu de la métaphore, la société est le corps et l’école est l’esprit. Jamais il ne peut avoir d’esprit sain dans un corps en putréfaction. Tous les maux qui assaillent l’école sont générés par la société. La dépravation des mœurs, la vanité, l’incurie, la tricherie, l’arbitraire et que sais-je encore, sont les caractéristiques irréversibles de la société. Plus ces maux sont récurrents et nocifs dans la société, moins on aura une école, concurrentielle et performante. 

 

Le livre est très critique sur le monde scolaire ivoirien. Dois-je parler d’amertume d’un enseignant ?


Je serais un fieffé menteur si je vous disais que je ne suis pas un enseignant déçu. L’école en Côte d’Ivoire va à vau-l’eau. J’ai mal au monde scolaire de mon pays. Tous les partenaires de l’école en Afrique travaillent dans le sens du génocide intellectuel. Un exemple patent. A l’oral du Bac, dans plusieurs directions régionales du pays, on convoque plus les professeurs du privé au détriment de leurs collègues du public qui ont eu une formation avérée à l’ENS. Les raisons sont connues de tous... A la correction, certains professeurs du privé sont correcteurs à la fois dans au moins trois centres de corrections. On fait tout ça pour se remplir les poches.  A cette allure, en rusant avec notre propre bonheur, Nous Noirs, nous resterons pour longtemps à la remorque de l’Occident. Si tous les maux que j’ai soulevés dans ce roman, n’interpellent personne, le taux d’échec scolaire va s’accroitre et l’Afrique deviendra plus qu’hier le berceau des idiots et des attardés. L’école faite pour former des élites  est devenue de nos jours, le creuset des affairistes, l’univers du clientélisme. Tous les maux qui promeuvent la médiocrité ont pris en otage l’éducation nationale de la république imaginaire de mon roman.

 

Votre roman, au niveau de la fiction ivoirienne, est sûrement celui qui est allé en profondeur sur les maux qui minent l’école ivoirienne.


Merci pour cette remarque qui décerne une palme spéciale à mon roman. En effet, j’ai été inspiré par des flots successifs d’échecs scolaires enregistrés aux examens à grand tirage dans notre pays.  Etant enseignant, personne ne pouvait faire mieux que moi…Si nous faisons des tares nos valeurs, si nous rusons inconsciemment avec l’excellence, nous resterons pour longtemps à la remorque des pays nantis. Au su de cette réalité, je ne pouvais m’empêcher de hurler mon indignation. On a souvent dit que qui aime bien, châtie bien. Ce rappel permet de comprendre qu’à travers cette satire acerbe, j’ai bien voulu d’une manière indirecte, indiquer la voie à suivre pour sauver l’école ivoirienne de son marasme moral et psychologique. Contribuant à ma manière à l’édification du temple du savoir, mes critiques servent de tremplin à l’éveil de conscience. Ce fut pour moi laborieux en révélant au grand public la face hideuse de mon propre temple. Mon mérite sera certainement le fait d’avoir produit un roman qui vaut à lui seul, les états généraux sur l’école ivoirienne.

 

Pourquoi est-il indispensable pour les Ivoiriens de lire « La lycéenne » ?


‘’La lycéenne’’ est un livre révélateur des maux qui minent les établissements secondaires de nombre de pays africains. Il donne, entre autres détails, les raisons du taux d’échec trop élevé aux examens scolaires dans notre pays. Les ivoiriens doivent lire cette œuvre pour penser au palliatif du mal afin de mieux panser les plaies de l’école ivoirienne. C’est un livre qui est comme le miroir à travers lequel l’on perçoit les traits définitoires des maux qui minent l’univers scolaire.

 

Interview réalisée par

Etty Macaire

In Le Nouveau Courrier du 03 mars 2013



03/03/2013
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